Vie professionnelle – vie personnelle sous le prisme de la messagerie professionnelle

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Par Catherine Davico-Hoarau Publié le 17 novembre 2020 à 6h30
Vie Professionnelle Personnelle Sous Prisme Messagerie Professionnelle
@shutter - © Economie Matin
45.000 EUROSLe fait, commis de mauvaise foi, d'ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d'en prendre frauduleusement connaissance, est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

Les entreprises mettent à disposition de leurs salariés du matériel informatique pour les besoins de leur activité professionnelle, lesquels bénéficient d'une messagerie électronique professionnelle et d'une adresse mail professionnelle.

Comment concilier les principes de protection de la vie personnelle et du secret des correspondances avec les impératifs professionnels nécessitant l'utilisation des outils informatiques mis à disposition de l'employeur dans le but de répondre aux obligations professionnelles découlant de l'exécution du contrat de travail.

Le contenu de la messagerie professionnelle ne devrait-il être, par nature, professionnel ?

Les évolutions et revirements jurisprudentiels sur cette dualité, sphère professionnelle/sphère personnelle, nous obligent à appréhender ces sujets avec nuance et circonspection.

1/ Les textes

L'article 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, proclame le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

L'article 9 du Code Civil dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée ».

La correspondance étant considérée juridiquement comme étant de nature privée, la violation du secret des correspondances engage la responsabilité pénale de l'auteur de l'infraction sur le fondement de l'article 226-15 du Code pénal : « Le fait, commis de mauvaise foi, d'ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d'en prendre frauduleusement connaissance, est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Est puni des mêmes peines le fait, commis de mauvaise foi, d'intercepter, de détourner, d'utiliser ou de divulguer des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie électronique ou de procéder à l'installation d'appareils de nature à permettre la réalisation de telles interceptions. »

2/ Appréciation de ces textes dans la vie professionnelle

Tous ces textes ne sont applicables dans la sphère professionnelle qu'à partir du moment où les correspondances conservent leur caractère privé.

a) Les courriels sont présumés avoir un caractère professionnel

Le principe est que les courriels provenant de de la messagerie électronique mise à la disposition des salariés par l'entreprise sont présumés avoir un caractère professionnel.

Si les courriels sont présumés avoir un caractère professionnel, pour autant les salariés conservent la faculté d'utiliser la messagerie électronique à des fins personnelles, quand bien même l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur.

A cet égard, l'article L.1121-1 du Code du travail dispose : «  nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché . ».

Ainsi, l'employeur au prétexte de mise à disposition de matériels informatiques ne peut, de façon illimitée, prendre connaissance de tous les messages envoyés ou reçus par le salarié sur sa messagerie professionnelle.

b) L'employeur ne peut pas ouvrir les fichiers ou courriels identifiés comme personnels

Le salarié peut créer des fichiers identifiés expressément comme personnels qui sont, en conséquence, protégés.

L'employeur n'a pas le droit d'ouvrir ces fichiers.

En revanche, tous les courriers ou tous les fichiers ne portant aucune mention les faisant apparaître comme personnels, peuvent être ouverts par l'employeur (Cass soc., 15 déc. 2010, n° 08-42.486).

c) L'employeur n'a pas à justifier d'un motif pour consulter la messagerie professionnelle

Les courriels adressés par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour les besoins de son travail, étant présumés avoir un caractère professionnel, l'employeur est en droit de les ouvrir même hors la présence de l'intéressé, à l'exception de ceux que les salariés auraient identifiés comme étant personnels.

Pour cette même raison l'employeur n'a pas à justifier d'un motif pour consulter la messagerie électronique professionnelle de salariés. (Cass. soc. 3 avril 2019 n° 17-20.953 et s.).

d) l'employeur a le droit de sanctionner les salariés en raison du contenu des messages et/ ou de les produire en justice

L'employeur peut sanctionner un salarié pour des propos ou agissements résultant de sa messagerie électronique dès lors que les courriels proviennent bien de la messagerie électronique mise à disposition de l'employeur, qu'ils ont un caractère professionnel, et que leur contenu ne relève pas de la vie privée du salarié.

En effet, si les courriels adressés ou reçus par le salarié à l'aide de l'outil informatique sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors de la présence de l'intéressé, sauf s'ils sont identifiés comme personnels, l'employeur ne peut pas utiliser le contenu de ces courriels pour sanctionner le salarié s'il s'avère que ces courriels relèvent de la vie privée du salarié.

L'arrêt de la Cour de Cassation du 9 septembre 2020 (Cass. soc.,n° 18-20.489), donne un éclairage sur ce qui relève ou non de la vie privée.

En l'espèce, une salariée avait, par le biais de sa messagerie instantanée, eu des échanges avec une autre salariée dans lesquels elle critiquait sur un ton grossier et méprisant ses collègues, supérieurs ou subordonnés à titre personnel et en dehors de toute considération de travail, montrant, également, son désaccord sur la stratégie de l'entreprise et adoptant un comportement irrespectueux et déloyal incompatible avec la confiance et le sentiment d'exemplarité qu'un cadre dirigeant doit pouvoir inspirer à son employeur.

Ces messages échangés ont été transmis par la secrétaire du cadre dirigeant, qui avait accès à sa boîte mail en l'absence de celui-ci, à l'entreprise qui l'a licencié pour faute grave.

Après avoir rappelé que les messages électroniques échangés à l'aide de l'outil informatique mis à la disposition du salarié par l'employeur pour les besoins de son travail provenait d'une boite à lettre électronique professionnelle et qu'ils n'avaient été pas été identifiés comme personnels, ce dont il résultait que l'employeur pouvait en prendre connaissance, la Cour de Cassation, a jugé que «  les messages échangés avec un collègue automatiquement transférés à l'assistance du salarié avec l'accord de ce dernier, comportaient d'une part, des propos insultants et dégradant envers des subordonnés et supérieurs et d'autre part, de nombreuses critiques sur l'organisation, la stratégie et les méthodes de l'entreprise de sorte que ces messages en rapport avec l'activité professionnelle, ne revêtaient pas un caractère privé et pouvaient, dès lors, être invoqués au soutien d'une procédure disciplinaire contre le salarié  ».

En revanche, par un arrêt du 23 octobre 2019 (n° 17-28.448), la Cour de Cassation a jugé que des messages électroniques échangés au moyen d'une messagerie instantanée provenant d'une boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle étaient couverts par le secret des correspondances.

Ainsi, le fait qu'une messagerie instantanée ait été installée sur un outil professionnel ne suffit pas à présumer du caractère professionnel des échanges qui y sont contenus. Au contraire, Il existe une présomption irréfragable du caractère privé des messageries privées utilisées par les salariés sur un outil professionnel. Mais en revanche, à partir du moment où ces messages sont transférés dans la boite mail professionnelle et qu'ils ne sont pas identifiés comme personnels, l'employeur a le droit d'en prendre connaissance et d'en disposer.

La complexité de ce sujet milite, dans les intérêts respectifs des deux parties contractantes, employeur et salarié, en faveur de la fixation de règles écrites, soit dans le règlement intérieur, soit dans des Chartes sur l'utilisation des outils informatiques.

Rappelons également le rôle de la CNIL qui a adopté le référentiel relatif aux traitements de données personnelles mis en œuvre aux fins de gestion des ressources humaines, intégrant la mise à disposition des salariés d'outils de travail.

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Avocat associé – Coblence avocats Catherine Davico-Hoarau est Avocat associé au sein du cabinet Coblence avocats. Elle accompagne les entreprises sur l'ensemble de leurs problématiques sociales et tout particulièrement lors de leurs opérations stratégiques et sur leurs enjeux RPS. Elle a acquis une expertise particulière en droit syndical et sur les contentieux à risques et / ou de masse et a, par ailleurs, développé un réel savoir-faire en droit pénal du travail.

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