Etats-Unis : quand infrastructure politique (l’emploi) et superstructure politique (la Chine) se font la courte-échelle

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Par Hervé Goulletquer Publié le 27 juillet 2020 à 13h52
Trump Dollars Cheque 1
@shutter - © Economie Matin
5%Le PIB américain a chuté de 5% au premier trimestre 2020.

La gestion aux Etats-Unis de l’épidémie a été chaotique ; on le sait. Quelles en seront les conséquences économiques ? Les signaux les plus récents envoyés par le marché du travail ne sont pas, en la matière, très favorables. D’où, semble-t-il, l’ambition de l’Administration Trump de déplacer les initiatives de recherche de soutien électoral de la croissance au politique, avec un durcissement de l’attitude vis-à-vis de la Chine. Comme une réinvention de l’histoire de l’arroseur arrosé ?

USA Inc. a à court terme a géré deux problèmes, l’emploi et la Chine. Qui plus est, sans doute ne sont-ils pas indépendants.

On se souvient que la publication, le jeudi de la semaine dernière, de la statistique hebdomadaire du nombre de nouveaux chômeurs indemnisés (pour la semaine au 18 juillet) a envoyé comme un message de vigilance auprès des marchés de capitaux. Le consensus pariait sur une poursuite de la baisse, même à un rythme très ralenti. Ce fût une hausse : 1,416 million après 1,307 million pour la période précédente. Même si « un point ne fait pas une tendance », comment ne pas craindre que la difficulté rencontrée par le pays à lutter contre l’épidémie de COVID-19 vienne nuire à la normalisation de la situation économique ? Une statistique, publiée depuis peu par le Census Bureau, qui retrace sur une base hebdomadaire les personnes employées, envoie un message similaire. Depuis la fin juin, l’orientation est baissière. Bien sûr, la série n’est pas désaisonnalisée et donc une (bonne) surprise est peut-être possible. Il n’empêche qu’un repli des créations d’emplois entre dans le domaine du possible. La déception, si ne ce n’est l’inquiétude, serait alors grande dans la communauté financière.

La Maison Blanche a lancé une vraie offensive, au moins diplomatique, contre la Chine. On parlait l’autre jour de la décision de fermer sous soixante-douze heures le Consulat chinois de Houston, pour des raisons d’espionnage industriel. La réaction à une activité somme toute courante (même si Pékin paraît la pratiquer à une échelle inusitée) est très forte et guère dans les usages diplomatiques. On se contente habituellement d’expulser les agents consulaires qui se sont transformés en espions.

Il faut aussi noter la salve de discours très critiques, prononcés récemment par des « hauts gradés » de l’Administration américaine : le directeur du FBI, le conseiller à la Sécurité Nationale, le ministre de la Justice et celui des Affaires Etrangères. Avant de s’interroger sur le sens à donner à ces initiatives et sur les implications économiques à anticiper, mettons en avant quelques-unes des formules choisies par les uns ou les autres. Elles donnent le ton, comme on dit.

− Robert O’Brien, le conseiller à la Sécurité Nationale : « le Parti communiste chinois est une organisation marxiste-léniniste et son Secrétaire général se voit comme le successeur de Joseph Staline » ;

− William Barr, le ministre de la Justice : « l’ambition ultime des autorités chinoises n’est pas de commercer avec les Etats-Unis, mais de les dévaliser » ;

− Mike Pompeo, le ministre des Affaires Etrangères : « il ne faut pas agir sur la base de ce que les autorités chinoises disent, mais sur celle des initiatives qu’elles prennent ; le Président Reagan disait qu’il négociait avec les Soviétiques en fonction du principe consistant à faire confiance et à vérifier ; avec le Parti communiste chinois, il faut faire preuve de méfiance et vérifier »

Quel est le message derrière ces mots denses et puissants ? Je pense qu’il est triple.

Les Américains doivent admettre que la Chine n’a pas pris le chemin du libéralisme économique et politique. Malgré son ouverture sur le monde (d’abord économique) et les avantages que le pays en a tiré, le Parti communiste refuse de répondre favorablement aux aspirations démocratiques des citoyens. Il n’empêche qu’in fine il devrait subir le sort de l’Union soviétique.

Le peuple chinois, qu’il n’est jamais question de confondre avec l’appareil du Parti-Etat, doit être encouragé à forcer à ce que des changements interviennent.

L’ambition ne peut pas être d’« endiguer » la Chine ; elle s’est déjà « répandue » aux quatre coins du monde. Il faut l’empêcher de remettre en cause le modèle économique et politique sur lequel le monde est organisé. Pour ce faire, l’ONU, l’OTAN le G7 et le G20 (un peu étonnant, la Chine n’en est-elle pas membre ?) doivent unir leurs efforts (a-t-on le droit de dire que ce discours n’est pas très « trumpien » ?).

Si ce n’est pas un appel à un changement de régime, alors c’est au minimum une demande forte à que tout un jeu de pressions externes et si possible aussi internes s’organise dans le but de pousser à une évolution en profondeur du régime chinois.

Il ne faut pas se tromper. Pour partie, cette rhétorique est à vocation domestique et plus particulièrement électorale. L’Administration Trump est persuadée qu’elle lui sera favorable dans les urnes en novembre prochain. Pourrait-elle passer des paroles aux actes ? C’est évidemment possible et cela pourrait aller au-delà des sanctions imposées à telle ou telle personnalité chinoise ou à tel ou tel groupe de ressortissants du pays. L’arme des droits de douane ne devrait pas être utilisée côté américain. Le Président Trump semble être désireux de préserver l’accord de phase 1, signé en janvier dernier. Sans doute faut-il alors être attentif aux éventuelles initiatives de plusieurs services fédéraux (nous reprenons ici une approche proposée par la société indépendante de recherche, Gavekal) :

− le bureau de l’industrie et de la sécurité (département du Commerce), en charge du suivi et du contrôle des transferts de technologie ;

− le bureau du contrôle des actifs étrangers (département du Trésor), en charge des sanctions financières ;

− le comité sur les investissements étrangers aux Etats-Unis, inter-agences fédérales et présidé par le département du Trésor, qui étudie les projets au regard des questions de sécurité nationale ;

− l’ « initiative Chine », mise en place au département de la Justice, dans le double but d’enquêter sur les crimes et délits, commis en relation avec des institutions chinoises, et de traduire les personnes accusées devant la justice.

Voilà pour l’analyse des actions prises par la Maison Blanche et pour les points de surveillance. Il est fondé de s’interroger sur ce que sera l’attitude de Pékin ? Sans doute prendra-t-elle avant tout la forme d’une réponse « du tac au tac ». La Chine monte en puissance assurément ; jusqu’à prendre des initiatives de confrontation directe avec les Etats-Unis ? Sans doute pas.

Intéressons-nous plutôt à la dynamique économique induite par l’attitude de l’Administration américaine. Pour les entreprises, l’ambiance, dans le sillage de l’épisode du COVID-19, était déjà à préférer la résistance (la résilience comme on dit en bon franglais) à l’efficacité, avec des chaines de valeur plus courtes et plus proches des lieux de vente. Eu égard au rôle de la Chine dans l’organisation de ces chaines, et ceci pour de nombreux secteurs, de plus fortes tensions entre Pékin et Washington ne peuvent que renforcer le mouvement. La préservation des résultats financiers passera par un contrôle plus strict des coûts. La perspective n’est pas des plus encourageantes pour les ménages, au vu de ses implications en matière d’emploi et de rémunération.

Le diagnostic sur l’économie américaine n’envoie pas un message spécialement encourageant pour celle de la Chine : le risque d’un retrait d’une partie de l’offre, avec des implications potentiellement négatives sur l’accès à la technologie, et un manque d’entrain de la demande en provenance du reste du monde.

Bien sûr, tout sera question de proportion ; et on ne sait pas bien dire. Il n’empêche que cumuler les incertitudes accroît le risque d’être déçu sur le momentum de la croissance.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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