« Mais ne joue pas avec moi, car tu joues avec le feu » (The Rolling Stones, 1965)

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Par Hervé Goulletquer Publié le 2 juin 2020 à 13h57
Chomage Partiel Entreprises Penicaud 1
@shutter - © Economie Matin
20%Le taux de chômage aux Etats-Unis approche les 20%.

Comment ne pas considérer que réussir à gérer, avec succès et à la fois la sortie d'une épidémie, une reprise de l'économie, des enjeux politiques et sociétaux et une dispute avec un de ses principaux partenaires commerciaux, tient de la gageure ? Le questionnement ne peut qu'être encore plus fort quand on sait que cela concerne les deux pays les plus puissants du moment, à savoir la Chine et les Etats-Unis. Est-ce que cette réalité inspire confiance ? Pas forcément ; pourtant le marché est optimiste.

Revenons sur les nouvelles des derniers jours. Elles ont été très sino-américaines. Commençons par la crise à Hong Kong et plus particulièrement par la réaction de Washington à la remise en cause (avec quel degré ?) de l'autonomie de la Région Administrative Spéciale (RAS) par le pouvoir chinois. Le discours que le Président Trump devait tenir vendredi soir était très attendu. N'avait-il pas fait « monter la pression » tout au long des jours précédents, au point que l'on s'attendait à l'annonce de mesures substantielles ? Puisque les avantages économiques consentis par les Etats-Unis à Hong Kong (dont Mainland China profite au travers des flux de marchandises, de services et de capitaux) sont la contrepartie du principe « un pays, deux systèmes », la remise en cause du second doit entrainer celle des premiers.

Disons que le « locataire de la Maison Blanche » est resté au niveau du « contextuel », se contentant de mettre en avant des généralités. Après avoir rappelé toutes les mesures prises récemment par son Administration à l'encontre de la Chine, il a annoncé qu'il lançait le processus de « démontage » des privilèges accordés et a promis des sanctions contre les dirigeants impliqués dans la perte d'autonomie de la RAS. « Les actions seront fortes et significatives ». Mais lesquelles et avec quel calendrier ; on ne sait pas ? Ce manque de « spécifique » (si c'est le dégât collatéral que paraît être la sortie des Etats-Unis de l'Organisation Mondiale du Commerce – OMS –) a rassuré les marchés. Et Pékin de se « contenter » de réagir en demandant à des entreprises publiques de commerce de produits agricoles de suspendre des importations de soja en provenance des Etats-Unis. Une étape, nouvelle et déterminante, à la hausse dans la montée des tensions bilatérales n'a pas (encore ?) été franchie. Il n'en demeure pas moins que ce « tutoiement » de part et d'autre de la « ligne jaune » est inconfortable. « Jouer avec le feu », sans se faire bruler et sans créer un incendie, demande, soit du doigté, soit de la chance.

Restons sur le terrain politique et interrogeons-nous sur les conséquences électorales des protestations, voire des émeutes, consécutives aux Etats-Unis à la mort d'un homme à la peau noire alors qu'il était aux mains de la police. La dimension « raciale » de l'élection va-t-elle être augmentée ? On a déjà insisté sur les thèmes de campagne du candidat Trump : une meilleure aptitude à faire repartir l'économie après l'épidémie et une plus grande fermeté face à la Chine (bien sûr les deux constituants sont partiellement en contradiction). Va-t-il dorénavant essayer de mobiliser de façon plus directe sa base électorale (le plus souvent, blanche, masculine et avec un niveau d'études plutôt faible) en mettant en avant la nécessité de renforcer l'ordre et la loi, menacés par des groupes de radicaux ? Il n'y aurait alors qu'un pas à franchir pour privilégier un angle d'attaque vis-à-vis de Joe Biden : sa dépendance à l'extrême-gauche d'un Parti démocrate considéré comme proche de ces groupes dangereux et violents. Comment le marché peut-il se positionner par rapport à cette perspective ? En tant qu'« entité propre » défendant ses intérêts, une certaine préférence va au programme économique de Donald Trump. Pour ce qui est de ses membres, les sensibilités sont assurément beaucoup plus diverses, surtout si on élargit les thématiques de l'économique vers le sociétal.

Les indices PMI chinois de mai ont été publiés. Disons que l'alignement entre les résultats pour le secteur manufacturier de la livraison officielle et celle de Caixin n'est pas parfait. La première pointe une deuxième baisse consécutive, même si le niveau reste au-dessus de 50, signalant une activité en hausse : 50,6 après 50,8 en avril et 52 en mars. La seconde fait entrevoir un mieux : 50,7 après respectivement 49,4 et 50,1. Il n'empêche que dans les deux cas, la dynamique paraît modeste ; en notant qui plus est qu'elle serait meilleure côté offre que demande. Si le secteur non-manufacturier fait preuve de plus de tonicité (53,6 après 53,2), cela serait avant tout le fait de la construction, dont l'activité est bien soutenue par la politique économique. Le message qu'on a envie de recevoir est celui d'une amélioration en pente douce, avec une langueur qui persisterait au niveau des dépenses finales. Bien sûr, il est trop tôt pour se prononcer. Mais la crainte liée à cette lecture est que ménages et entreprises ressortent de l'épreuve de l'épidémie avec des comportements plus attentistes, plus prudents. La « messe n'est pas dite », mais l'interrogation vaut. La question n'est pas celle de la réalité de la reprise qui pointe, mais celle de sa force. On ne sait pas (encore) répondre.

Regardons maintenant devant et intéressons-nous à ce qui fera l'actualité de l'environnement des marchés au cours de cette semaine écourtée. Il y aura d'abord jeudi la réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE. L'équation de politique monétaire est facile à écrire. Elle comporte quatre variables : les perspectives d'inflation, la stabilité financière, les mesures prises par les exécutifs européens (dont Bruxelles) et le processus de résolution de la difficulté ouverte par le verdict rendu le mois dernier par la Cour constitutionnelle allemande (la cour de Karlsruhe, CR). Les premières se sont dégradées, la seconde s'est renforcée, les troisièmes deviennent plus conséquentes et le quatrième est engagé. Quelle synthèse, ou, pour mieux dire, quelle résolution ? Evidemment, le premier argument est celui qui pèse le plus lourd et la BCE reste engagée à en « faire plus ». Au point de « graver dans le marbre » l'engagement dès ce jeudi ? Le marché est plutôt à y croire.
Il y aura ensuite la nouvelle série de discussions entre Londres et Bruxelles sur les relations futures entre le RU et l'UE. Il s'agir normalement de la dernière avant la décision que doit prendre le Cabinet britannique. D'ici au 1erjuillet, il doit dire si la période de transition post-Brexit se termine au 31 décembre prochain ou si une demande de prolongation est faite. On a discuté ici il-y-a quelques jours des tenants et des aboutissants de la position du gouvernement Johnson, sous sa double dimension tactique et stratégique. C'est compliqué ! Retenons pour le moment l'idée que Londres ne devrait pas demander de prolongation. De quoi créer du suspens pour la seconde partie de l'année !

Finissons par les chiffres de l'emploi de mai aux Etats-Unis. Ils seront publiés vendredi. La dynamique resterait exécrable, mais moins qu'en avril. Celui-ci ne reculerait que de quelque 8 millions, contre 20 millions un mois auparavant, et le taux de chômage ne progresserait que de cinq points, contre dix ; ce qui ne l'empêcherait pas de s'approcher des 20%. A quel rythme va-t-il baisser dans les prochains mois ? On ne sait pas répondre. Et pourtant une partie du sort de l'économie et de la politique américaines en dépend.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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