Pendant que la France s’enlise dans un débat de présidentielle tout à fait lamentable, l’Union Européenne cherche à se réinventer. Passé à peu près inaperçu, le livre blanc de la Commission Européenne doit préparer l’anniversaire du traité de Rome fin mars. Il a donné lieu à un débat intéressant au Parlement Européen.
L’Union Européenne à la croisée des chemins
Une évidence frappe à la lecture du Livre Blanc: l’Union Européenne ne peut plus rester en l’état. Plus personne ne considère, y compris au sein de la Commission semble-t-il, que la construction communautaire a un avenir en tant que tel devant elle. Et c’est peut-être le problème même inhérent à l’Union, qui explique pourquoi elle est tant fragilisée aujourd’hui. Son destin est d’abolir les Etats-nations dans une sorte d’empire auto-proclamé ou choisi. Tant que cet empire bureaucratique n’existera pas, l’Union sera en équilibre instable.
C’est bien le sujet de Jean-Claude Juncker aujourd’hui: comment sortir de l’impasse où se trouve l’Union? comment retrouver le fil de son expansion permanente jusqu’à la disparition des nations.
Pour les europhiles, il est en effet évident que toute pause dans la construction est le début du retour en arrière.
L’Union n’a pas dit son dernier mot
Les hypothèses posées par la Commission ne manquent pas d’intérêt. Si elles reposent sur 5 scénarios, elles se clivent en réalité sur deux visions très différentes. Soit l’Union continue à chercher une unanimité dans son fonctionnement (pour faire plus ou pour faire moins, c’est égal), soit l’Union accepte les géométries variables et laisse aller plus loin ceux qui le souhaitent, en pariant que le rattrapage se fera tôt ou tard.
Ce faisant, tout le monde acte bien qu’une alternative pour l’Europe pourrait consister à laisser certains reprendre le flambeau de l’Union sans les autres. La question est posée.
Dans tous les cas, on voit que l’Europe bouge encore. Même si elle devait se passer à l’avenir de certains de ses membres, ses défenseurs entendent continuer à avancer.
Le débat caché sur l’Etat-nation
Ce que ne dit pas clairement la Commission Européenne, c’est qu’elle se heurte à la résistance vivace des Etats-nations. Après la ruine (passagère) de l’Allemagne en 1945, on avait cru que l’idée était sur le déclin et que le vingt-et-unième siècle en aurait raison. La création de l’euro au début de ce siècle devait sonner le glas de cette vieille idée accusée d’avoir justifié de nombreuses guerres.
Et puis, malgré tout, nos bonnes vieilles nations demeurent et l’attachement des peuples y est vivace. Les eurolatres ont beau lui reprocher d’être rétrograde, vulgaire, obscurantiste, la nation se dresse plus fière que jamais. On voit bien qu’elle est au coeur, sans le dire, de notre débat présidentiel et qu’elle est un puissant clivage dans notre opinion publique, comme elle l’est au Royaume-Uni, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Finlande.
On croyait en avoir fini avec les peuples, et les voilà qui s’obstinent!
Le Parlement européen n’a pas construit d’avenir
Un débat sur la question s’est tenu au Parlement Européen. Là encore, une évidence s’impose: au Parlement européen, on parle de l’Europe, on adopte des réglementations, mais on ne réinvente pas l’avenir de l’Union. La raison en est simple: l’Europe n’a d’avenir que si ses Etats-nations le décident. Soixante après le traité de Rome, le ciment communautaire n’est pas assez solide pour que l’Europe en tant qu’entité supranationale soit légitime pour fixer son cap. Elle est comme un cerf-volant piloté depuis le vieux sol national.
Le livre blanc de la Commission aurait dû commencer par ce constat: l’Europe, on la fait depuis 60 ans, mais elle n’existe toujours pas en dehors de ses peuples.
En attendant la France, l’Allemagne et l’Italie
Sur le fond, rien n’arrivera en Europe tant que la France et l’Allemagne n’auront pas choisi leurs nouveaux chefs (quitte à reconduire les anciens en Allemagne). L’éventuelle relance de l’Union n’arrivera pas avant septembre. Cet état de fait en dit long sur l’échec de ce projet. Ce qui structure l’Europe en 2017 est aussi ce qui structurait l’Europe il y a 2.000 ans. L’Europe vit et respire entre l’Elbe et la Méditerranée. Le fait que Merkel ait pris l’habitude d’ajouter l’italien Renzi à ses conciliabules avec Hollande boucle la boucle. L’Union devait faire oublier l’histoire européenne, elle en est en réalité prisonnière. Tout se joue entre Latins, Gaulois et Germains, qui détiennent, comme depuis toujours, les clés du destin continental.
Peut-être faudrait-il tirer les conséquences de ce constat simple. Les siècles passent, les peuples restent, et vouloir s’en émanciper est un projet sans avenir.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog