Avec le vote au Parlement Européen le 15 avril et le lancement des stress tests sur les banques européennes le 30 avril dernier, la mise en place finale d’un projet lancé en 2012 n’a jamais été aussi proche. Mais de quoi parle-t-on précisément lorsque l’on évoque l’Union Bancaire, pourquoi est-ce présenté comme un projet crucial pour l’Europe et quels défis reste-t-il ?
Concrètement l’Union Bancaire est avant tout un grand pas en avant vers plus de fédéralisme européen. Ce qui était autrefois une prérogative de chaque Etat, agrémenté d’exigences européennes minimales et d’une légère coopération[1]est délégué au niveau européen. L’Union Bancaire concentre les pouvoirs de supervision et de gestion de crise financière dans les mains d’agences européennes, un peu comme la création de l’Euro a centralisé la politique monétaire.
Quel est la structure de l’Union Bancaire ?
L’Union Bancaire est constituée de 3 piliers interconnectés : 1) le Mécanisme de Supervision Unique ou « Single Supervision Mechanism »[2], 2) le Mécanisme de Résolution Unique ou « Single Resolution Mechanism »[3], et 3) le fonds de garantie des dépôts européens.
1 - Le Mécanisme de Supervision Unique
Voté en septembre 2013, le MSU est entré en fonction le 1erjanvier 2014. La Banque Centrale Européenne (BCE) devient le superviseur unique des banques, chargée par exemple de contrôler l’application de Bâle III, ou les modèles de risque des banques. Les banques concernées sont celles des pays de la zone euro ainsi que des pays de l’Union Européenne désirant participer au MSU.
Mais toutes les 6000 banques de la zone euro ne sont pas sous supervision directe de la BCE. Seules celles dont les actifs sont supérieurs à 30 milliards d’Euro, ou dont le poids dépasse 20% du PIB, ou qui ont bénéficié d’un soutien de la part du FESF ou du MES sont concernées. Toutefois, les 3 principales banques de chaque pays sont d’office placées sous la supervision de la BCE. Avec ces critères, environ 130 banques, représentant 80% des actifs de la zone euro sont placées sous la responsabilité de la BCE. Toutefois, le nombre définitif ne sera divulgué qu’en novembre 2014, une fois les résultats de l’AQR[4] et du stress test[5] des banques de la zone euro, auront été divulgués. Les autres banques, resteront à la charge des superviseurs nationaux, mais la BCE a aussi le droit d’intervenir auprès de n’importe quelle banque d’un Etat participant au MSU, si elle le juge nécessaire.
C’est Danièle Nouy (ancienne secrétaire général de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, autorité en charge de la supervision bancaire en France) qui a pris en janvier 2014 la tête du comité de direction du MSU pour 5 ans. Elle sera épaulée par Sabine Lautenschläger, membre du comité exécutif de la BCE, en tant que vice-présidente. Toutes deux ont été nommées par le conseil de l’Union Européenne et approuvées par le Parlement Européen. En outre, 3 représentants de la BCE (Sirkka Hämäläinen, Julie Dickson, Ignazio Angeloni) ainsi qu’un représentant de chaque institution de supervision nationale des Etats participants au MSU, complètent le conseil de direction du MSU.
Le MSU aura la possibilité d’imposer des exigences de coussins de fonds propres et d’appliquer des mesures plus contraignantes afin de lutter contre le risque systémique. Enfin, en cas de manquement aux exigences de fonds propre, la BCE et les régulateurs nationaux auront la possibilité d’imposer des sanctions administratives aux banques comme des amendes ou astreintes.
2 - Le Mécanisme de Résolution Unique
Voté le 15 avril 2014, le MRU doit entrer progressivement en fonction à partir de janvier 2015. Contrairement au MSU, le MRU n’est pas directement intégré à la BCE et reste une institution relativement indépendante, mais est, de par sa fonction, très liée à la BCE et doit rendre des comptes au Parlement Européen. Le champ géographique du MRU est le même que celui du MSU.
La création du MRU ayant été récemment voté, à ce jour aucun membre du futur comité de direction n’est encore connu, mais la structure devrait être assez semblable à celle du MSU. Le président, ainsi que le vice-président et 4 membres permanents seront nommés par le Conseil de l’Union Européenne et validé par le Parlement Européen. A cela s’ajoute des représentants des autorités nationales concernées par le processus de résolution (sessions exécutives) ou de toutes les autorités nationales participant au MRU (sessions plénières) ainsi que des représentants de la BCE en tant qu’observateurs.
La principale nouveauté est la mise en place du « Bail-in » lorsqu’une banque rencontre des difficultés. Les banques devront d’abord utiliser leurs capitaux propres (le numérateur du ratio de solvabilité de Bâle III) pour couvrir leurs pertes, puis elles feront appel à leurs investisseurs et enfin à leurs créanciers (les détenteurs de dette de la banque), dont font partie les déposants (dans la limite de la garantie des dépôts décrite ci-dessous). Dans ce cadre de « Bail-in », les banques devront fournir de plans de résolution ou « living wills », pour janvier 2015. Le MRU est chargé de d’appliquer ces plans de résolution ou de liquidation d’une banque.
Le MRU dispose aussi d’un fonds, qui pourra être appelé une fois que 8% du passif de la banque au moins aura été consommé dans la restructuration et afin de permettre un fonctionnement minimum pour les clients de la banque lors de la restructuration ou de la faillite de celle-ci. Ce fonds, qui fut l’objet de nombreux débats que nous évoquerons plus bas, sera constitué progressivement sur 8 ans (12.5% par an). Il est calculé sur la base des dépôts couverts par la garantie des dépôts et représentera à terme 1% de ces derniers. A partir de 2015, chaque régulateur national aura la responsabilité, chaque année durant la phase de transition, de collecter les contributions des banques sous sa juridiction. Ces contributions, récoltées au niveau national, seront progressivement mutualisées au niveau européen (40% des fonds collectés la première année, puis 60% la deuxième et enfin 6.7% chaque année). A terme, en janvier 2024, ce fonds représentera 55 milliards d’euro mais aura aussi la possibilité d’emprunter sur les marchés si cela s’avère nécessaire, et voire aussi s’adresser au Mécanisme Européen de Stabilité (MES). Mais aucun Etat ne pourra abonder ce fonds, ou uniquement de manière transitoire lors de la phase de montée en puissance.
Dans le cadre de la résolution d’une banque, le MRU peut être sollicité par la BCE (MSU) ou bien se saisir lui-même s’il l’estime nécessaire. Trois conditions doivent être remplies pour qu’une banque soit prise en charge par le MRU : (1) la banque est en faillite ou quasi faillite, (2) il n’existe pas d’alternatives impliquant le secteur privé, (3) une action de résolution est nécessaire dans l’intérêt général (« public interest »). Une fois que la BCE (MSU) et le conseil de direction du MRU ont établi que ces 3 conditions sont remplies, un schéma de résolution est mis en place par le MRU, la Commission Européenne ainsi que le Conseil de l’Union Européenne disposent de droit de veto[6] sur les plans de résolution proposés par le MRU. La procédure prévoit une approbation par défaut (« silent procedure ») si la Commission ne se manifeste pas. Si le rejet est basé sur le fait que le point (3) n’est pas respecté, la banque se voit alors appliquer la loi de son Etat de résidence. L’objectif est qu’un plan de résolution puisse être mis en place en moins de 32h (délais entre la fermeture des marchés aux Etats-Unis le vendredi et leur réouverture le lundi en Asie). Le conseil de direction du MRU peut prendre des décisions en session exécutive si le montant du renflouement est inférieur à 5 milliards. Au-delà la session plénière peut prendre en charge le dossier si elle considère cela nécessaire. Les décisions lors de la session plénière seront prises à la double majorité qualifiée : si elle ne ponctionne que le fonds préexistant, il faudra réunir une majorité simple et 30% des contributions du fonds, s’il faut emprunter ou engager des fonds non encore constitués, il faudra une majorité des 2/3 et 30% des contributions (50% lors de la phase de transition).
3 - Le fonds européen de garantie des dépôts
Mise à part la décision en 2010 d’harmoniser la garantie des dépôts au sein de la zone euro à 100 000 euro, aucune structure n’a encore été mise en place. La gestion et le provisionnement de ce fonds restent pour le moment à la charge de chaque Etat. Dans le cadre du 3eme pilier de l’Union Bancaire, une mutualisation des fonds collectés auprès des banques de la zone euro est prévue avec pour objectif de constituer un fonds provisionné, couvrant 0.8% des dépôts couverts sur une période de 10 ans à partir de la date du vote de ce projet. A ce jour, les négociations sont en cours. Ce fonds ne verra donc très probablement pas le jour avant 2025 au mieux.
- Résumé de l’Union Bancaire et de son calendrier d’implémentation
Conclusion
Trois piliers constituent l’Union Bancaire, ces derniers sont interdépendants et mis en place progressivement entre 2014 et 2024. La structure définitive du fonds de garantie reste en suspend, car aucun accord définitif n’a encore été trouvé à ce sujet.
Notes:
[1] Des collèges de supervision ont été mis en place depuis 2010 afin de renforcer la coopération des entités chargées de la surveillance du système financier, comme le « European Systemic Risk Board ».
[2] Voir l’article sur BSI Economics de Victor Lequillerier : « Et le Mécanisme de Supervision Unique est arrivé … »
[3] Voir l’article sur BSI Economics de Morgane Delle Donne : « Union bancaire: le Mécanisme de résolution unique (SRM) va-t-il remplacer l’Emergency Liquidity Assistance (ELA) dans la gestion des crises de liquidité bancaire? »
[4] L’« Asset Quality Review » mené de février à octobre 2014, par l’ABE (Autorité Bancaire Européenne) a pour objectif de scruter les bilans, les engagements hors bilan, les pondérations des actifs dans le ratio de solvabilité, structures de financement et leur vulnérabilité aux chocs de liquidité
[5] Les scénarii du stress test ont été divulgués le 30 avril 2014 et comportent un scénario de base d’évolution de l’économie entre 2014 et 2016, ainsi qu’un scénario adverse bien plus sévère. Les banques ont jusqu’à octobre pour transmettre les informations quant à l’impact de ces scénarii sur leur bilan.
[6] Le rôle, conféré à la Commission, de validation des plans de résolution est dû au fait que les décisions au niveau européen doivent être prises par des instances européennes pour ne pas nécessiter une modification de la constitution européenne.
Références:
- Agarwal, Sumit, David Lucca, Amit Seru, and Francesco Trebbi, (2012), ―”Inconsistent Regulators:
Evidence from Banking »,‖National Bureau of Economic Research, No. 17736, January.
- BCE, (2014), « Progrès réalisés dans la mise en oeuvre opérationnelle du règlement relatif au mécanisme de surveillance unique », Rapport trimestriel du MSU 2014/2
- Jézabel Couppey-Soubeyran, (2013), Interview, « L’Union Bancaire, un projet incomplet », BSI Economics
- Christian de Boissieu, (2014), “Towards a Banking Union: Open Issues”, report of Conference co-organised by the College of Europe and the European Commission's Joint Research Centre in Bruges in April 2013
- Duncan Lindo, Katarzyna Hanula-Bobbitt, (2013), “Europe’s banking trilemma”, Finance Watch
- Jeffery Gordon, Georg Ringe, (2014), « How to save bank resolution in the European banking union », Vox
- MEMO/13/1176, Commission Européenne (2013)
- MEMO/14/295, Commission Européenne (2014)
- Morgane Delle Donne, (2013), « Union bancaire: le Mécanisme de résolution unique (SRM) va-t-il remplacer l’Emergency Liquidity Assistance (ELA) dans la gestion des crises de liquidité bancaire? », BSI Economics
- Patrick Artus, Agnès Bénassy-Quéré, Laurence Boone, Jacques Cailloux et Guntram Wolff, (2013), « Un chemin en trois étapes pour réunifier la Zone Euro », Document de travail du CAE
- Rishi Goyal, Petya Koeva Brooks, Mahmood Pradhan, and al., (2013), “A Banking Union for the Euro Area”, IMF Staff Discussion Note February 2013 SDN/13/01
- Thorsten Beck, (2013), « Banking union for Europe – where do we stand?”, Vox
- Victor Lequillerier, (2013) , « Et le Mécanisme de Supervision Unique est arrivé … », BSI Economics
- Zsolt Darvas And Silvia Merler, (2013), « The European Central Bank In The Age Of Banking Union”, Bruegel Policy Contribution Issue 2013/13 October 2013