21H18, un soir d’hiver, sur le trottoir mouillé d’une rue parisienne. Je viens de béquiller à la va-vite mon scooter et m’enquière - un peu tardivement, je le confesse - de ce sésame (‘le code ?’) auprès de ma passagère préférée : ma femme. Sous la masse de cheveux que libère son casque, je lis dans son regard un vaste doute et un brin d’inquiétude.
Comme d’habitude, nous sommes partis précipitamment de la maison en ne nous assurant pas d’avoir sur nous la précieuse série de chiffres et de lettres qui nous ouvrira le lourd vantail de l’immeuble où nous sommes invités à dîner. Un rapide coup d’œil à nos smartphones respectifs nous confirme que nous avons tous deux oublié de le noter. Quelques appels au seul numéro de téléphone en notre possession. Pas de réponse, hormis ce stupide message formaté par l’opérateur et que l’intéressé – volontairement ou involontairement – n’a pas pris le soin de personnaliser.
Un autre appel est tenté auprès de l’un de nos enfants ensommeillés. Nous lui demandons nerveusement de retrouver le bout de papier sur lequel j’avais pensé griffonner le précieux code avant de l’oublier dans la précipitation. En vain. Nous allons donc continuer de passer une bonne partie de la soirée sur le trottoir et il ne fait pas spécialement chaud… Le strident grésillement qui provient d’une des portes de l’immeuble nous apporte soudain un espoir. Le battant s’entrouvre et laisse échapper un chien visiblement pressé, tenant en laisse son maître … comme c’est souvent le cas à cette heure avancée de la nuit à Paris.
Avant que la porte ne se referme, nous nous engouffrons dans le hall cherchant des yeux l’interphone qui donne accès à la cage d’escalier. Huit boutons lumineux nous accueillent ; chacun portant un numéro. Lequel est le bon ? Bonne question. Le franchissement du portail principal n’était qu’une première épreuve. Résoudre le dilemme du bon bouton d’interphone se révélait le challenge ultime. Sonner au hasard ? Indélicat à cette heure tardive. Raisonner sur la base de souvenirs passés ? Certes l’appartement est en étage élevé, mais l’ordre des boutons correspond-il à cette réalité ? Le temps de pester sur notre inorganisation partagée et la lumière de l’ascenseur inonde le sas d’entrée.
Au jeune homme boutonneux qui peu après ouvre la porte vitrée pour sortir, nous demandons l’étage et le côté du palier où habitent nos hôtes. Un instant d’hésitation et dans son grommellement, nous comprenons ‘quatrième droite’. L’ascenseur nous emporte et nous emmène prestement là où nous prendrons cinq bonnes minutes à nous confondre en excuses sous l’œil amusé d’une assemblée visiblement affamée. Ce soir-là, nous n’avions pas le code (‘Unvalid command’ comme dirait mon ordinateur). Et ce soir-là est semblable aux jours de la plupart de nos concitoyens. Et de chacun d’entre nous à de multiples instants de nos vies. Dans le quotidien le plus trivial, le code est partout.
Lui seul vous donne l’accès à votre immeuble dans les grandes cités, l’accès à vos mails, à vos comptes bancaires, à votre dossier médical, à votre répondeur à distance … voire au bouton nucléaire … Vous êtes censé le maîtriser, mais il se refuse souvent à vous. Il a ses coquetteries de forme (‘huit lettres minimum’, ‘une majuscule en son début’, ‘au moins, un chiffre, mais pas d’accent’, …) et d’usage (‘à taper à l’abri des regards malveillants’, ‘associé avec une adresse mail, un pseudo, un mot-clé’, etc). Pour ne pas l’égarer dans le méandre de ses synapses ou dans une page de répertoire téléphonique, on tente de l’universaliser, de l’associer à une tranche de vie (bien réelle et personnelle, elle !)
Le code se refuse toujours au plus mauvais moment. Il est hacké, vous êtes inquiet. Vous l’oubliez, vous êtes bloqué. Vous l’aviez noté dans votre i.Phone ? Il est justement déchargé… La société numérique tente de s’en débarrasser progressivement et ne trouve rien de mieux que de tout faire pour davantage connecter la machine au corps (empreinte digitale, reconnaissance faciale, pupillaire ou vocale, puce glissée sous la peau, …). Petite revanche salutaire de l’unique sur le commun !
Extrait du chapitre 5 d' «Un Regard Peut Tout Changer ». Les conseils impertinents d?un consultant (Editions Salvator) La suite est à lire dans « Un Regard Peut Tout Changer », en vente dans votre librairie préférée ou sur les principaux sites de vente en ligne.