Philippe Herlin est économiste spécialiste du pouvoir d’achat et du Bitcoin, ses deux derniers ouvrages (Pouvoir d’achat : le grand mensonge ; Bitcoin, comprendre et investir, Eyrolles, 2018 et 2021). Il vient aussi de publier une note sur la transition énergétique pour l’Institut Thomas More. Il présente ce qu’il faudrait faire, selon lui, pour que le pouvoir d’achat des Français se remette à augmenter de façon significative. Il annonce par ailleurs son ralliement à la candidature d’Éric Zemmour.
On parle beaucoup d’inflation depuis quelques mois, elle touche tous les domaines de la vie courante, l’énergie, l’alimentation, les biens durables, et les craintes pour le pouvoir d’achat se renforcent d’autant. En réalité l’inflation est présente depuis longtemps, dans un domaine : l’immobilier dont les prix ne cessent de progresser depuis le début des années 2000, depuis que la banque centrale américaine (la Fed) puis la Banque centrale européenne (BCE) ont inauguré leurs politiques monétaires laxistes (baisse des taux, rachat de dettes souveraines). La Fed réagissait à l’époque contre le risque de dépression entraîné par le krach des valeurs Internet et par les attentats du 11 septembre 2001. Outre les actions, l’immobilier en a largement profité, d’autant qu’un nouveau produit d’investissement, les subprimes, allaient attirer ces flux de liquidité. On connaît la suite (la crise de 2008), mais les prix des logements sont repartis à la hausse.
Le taux d’inflation calculé par l’Insee n’a pourtant jamais décollé, pourquoi ? Comme je l’explique dans Pouvoir d’achat : le grand mensonge (Eyrolles, 2018), l’organisme statistique officiel minimise la hausse des prix essentiellement de deux façons :
- En excluant quasiment l’immobilier, qui pèse seulement 6% dans le « panier de la ménagère » servant à calculer l’inflation. Pour quel motif ? Parce que l’acquisition de logement est considérée comme un investissement, il ne figure donc pas dans l’IPC, l’indice des prix à la consommation (un raisonnement spécieux puisque le logement principal ne rapporte pas, contrairement à un placement, il coûte même, et la plus-value ne sert à rien si on se reloge en plus grand dans la même ville).
- En inventant un très fumeux «effet qualité» : votre smartphone vous coûte plus cher que le précédent, cependant, estiment les experts-statisticiens, il est plus puissant, en conséquence «vous en avez plus pour votre argent» et un prix inférieur au prix public est rentré dans la base de l’Insee… Et ça marche aussi pour les jus de fruit, les vêtements, etc., un quart des produits de l’indice !
Or, le pouvoir d’achat correspond à la progression des salaires moins la hausse des prix : si cette dernière est minorée, il s’affiche dans le vert, mais de façon factice. Face aux critiques, l’Insee a créé la notion de «dépenses pré-engagées» ou «contraintes», par opposition aux «dépenses arbitrables» que le ménage peut librement choisir. Et ces dépenses contraintes proviennent majoritairement du logement, qui pèse pour 20 à 30% du budget des ménages. L’organisme statistique reconnaît là le poids du logement, mais il ne change en rien sa pondération dans l’IPC (6%)…
Sans ce parti-pris, le pouvoir d’achat basculerait dans le rouge. On ne peut d’ailleurs pas comprendre le phénomène des Gilets jaunes sans cela : on a affaire à des gens qui ne manifestent jamais, si leur pouvoir d’achat augmentait comme le prétend l’Insee, ils n’auraient jamais eu l’idée de lancer leur mouvement (c’est ce qu’explique Emmanuel Todd dans Les Luttes des classes en France au XXIe siècle, où il cite mon livre, pages 34-41). Une preuve indirecte incontestable que le pouvoir d’achat des Français baisse : seuls 39% d’entre eux disent pouvoir épargner en 2021, alors qu’ils étaient 44% à pouvoir le faire en 2014, et 54% en 2010 (enquête Ifop du 21 octobre 2021).
Il faut comprendre l’impact psychologique et politique d’un pouvoir d’achat durablement dans le rouge : le «modèle social français», qui fuit de toute part (chômage, désindustrialisation, déficits, dette…), peut encore officiellement s’enorgueillir de progresser sur ce plan-là, c’est le dernier argument qui lui reste, s’il tombe…
Alors que faire pour augmenter durablement le pouvoir d’achat des Français dans les années qui viennent ? D’abord contenir l’inflation et revenir sous les 2%, en sortant de la «planche à billets» délétère que mène la BCE. Les États doivent contenir leurs déficits, la remontée des taux d’intérêts, que l’on commence à percevoir, pourrait les y contraindre plus vite qu’on ne le pense.
Mais en plus de l’aspect monétaire, des actions économiques sont à entreprendre. Il faut d’abord stopper les politiques environnementales, qui sont destructrices. La «transition énergétique» va renchérir de façon considérable l’électricité, il faut stopper toute installation d’éolienne et aller vers leur démantèlement complet. La lutte contre les «passoires thermiques» va exclure 7 à 8 millions de logements de la location selon la Fnaim, à cause du nouveau Diagnostic de performance énergétique (DPE), et cette raréfaction de l’offre fera encore augmenter les loyers. L’interdiction des moteurs thermiques en 2035 rendra l’accès à la voiture électrique, plus coûteuse, d’autant plus difficile. La France représente seulement 0,9% des émissions de CO2 dans le monde, et elle est déjà très vertueuse grâce à son parc nucléaire, parler «d’urgence climatique» est une escroquerie.
À court terme, plusieurs actions peuvent être entreprises comme une baisse des taxes (presque 60% du prix sur les carburants !), des impôts et des cotisations sociales, afin de rendre tout de suite des marges de manœuvres aux salariés, tout en améliorant la compétitivité des entreprises. À moyen et long terme, il faut agir sur deux leviers essentiels :
- La réindustrialisation, car c’est l’industrie qui génère d’importants gains de productivité (bien plus que les services) qui seuls permettent une augmentation des salaires qui ne pèsent pas sur la rentabilité des entreprises. «Le progrès technique est le facteur prépondérant de l’évolution des prix, de la baisse des prix réels et de la hausse du pouvoir d’achat» comme l’explique Jean Fourastié dans Pouvoir d’achat, prix et salaires (Gallimard, 1977).
- L’amélioration du marché de l’immobilier, qui croule sous les taxes (le niveau d'imposition le plus élevé de l'UE, ce qui décourage l’investissement locatif), et la réglementation (ce n’est pas tant la spéculation qui fait monter les prix que la planification des sols, la bureaucratie, qui restreint et complexifie la construction). Il faut abolir la loi SRU (obligation d’avoir 25% de logements sociaux dans les communes), qui fait monter les prix du secteur privé, car souvent la mairie est contrainte d’acquérir des logements existants, puis les promoteurs font peser une partie des coûts des logements sociaux sur ceux dévolus au privé. Il faut enfin résolument empêcher d’agir les squatteurs : l’Insee estime le nombre de logements vacants en France à 3,1 millions (8,4% du parc), dont 1 million en Île-de-France et en PACA, des régions très tendues, alors pourquoi ces propriétaires refusent-ils les rentrées financières que leur procurerait leur bien, si ce n’est la peur de tomber sur un locataire malhonnête ? Leur remise sur le marché ferait baisser les loyers au bénéfice de tous.
Parmi les candidats à l’élection présidentielle, Éric Zemmour me semble incontestablement le plus proche de ce qu’il faut entreprendre (diminution des prélèvements obligatoires, baisse des coûts salariaux, arrêt de l’éolien, insoumission à l’apocalypse climatique, réindustrialisation, abrogation de la loi SRU, lutte contre le squat, etc.). C’est pourquoi j’ai décidé de le soutenir, en plus du reste de son programme bien sûr. Une perte massive et généralisée du pouvoir d’achat, comme cela semble se profiler, constituerait une véritable menace pour la cohésion nationale, il est urgent d’agir.