L’Ukraine a effectué le 24 juillet dernier un paiement crucial sur sa dette, évitant le défaut de paiement redouté par de nombreux analystes. Kiev devait verser environ 120 millions de dollars d'intérêts sur des titres de dette publique, c’est désormais chose faite. Elle dispose à présent de deux mois pour négocier la restructuration de sa dette publique, avant la prochaine échéance, en septembre, de 500 millions de dollars. Elle sera une nouvelle fois difficile à respecter. Le gouvernement peine à trouver une ligne claire et efficace, et à s’entourer des interlocuteurs susceptibles de l’aider. Ce problème est largement illustré par son incapacité à surmonter la crise gazière à laquelle il est confronté.
L'Ukraine mène depuis plusieurs mois de difficiles négociations avec ses créanciers privés afin de restructurer sa dette publique. Celle-ci a explosé après la dévaluation record de la monnaie nationale, qui a perdu 70% de sa valeur face au dollar en 2014. Ces chiffres se traduisent dans la vie de tous les jours de façon douloureuse. La situation humaine sur place est de plus en plus difficile pour une population contrainte à d'importantes privations, en denrées alimentaires mais pas seulement. Dans l’est du pays, quelque 8.000 séropositifs risquent ainsi d'être confrontés à une importante pénurie de médicaments dans un mois, a mis en garde l'ONU. Ces malades ont besoin à la fois d'antirétroviraux et de produits de substitution à l'héroïne, comme la méthadone, actuellement bloqués aux postes de contrôle de l'armée régulière ukrainienne ou tenus par les rebelles prorusses.
Le pays se trouve sous perfusion financière de ses alliés occidentaux, qui ont appelé les créanciers privés à prendre part à son sauvetage et à renoncer à une partie de leur mise. Pour certains analystes ukrainiens, le paiement de ce 24 juillet est un signe de progrès dans les pourparlers. Kiev avait en effet menacé dans le passé d'imposer un moratoire sur le service de sa dette pour faire pression sur les créanciers, ce qui n'est plus d'actualité. L'Ukraine a bénéficié en mars d'une ligne de crédit de 17,5 milliards de dollars du FMI qui sera versée par tranches successives. Un premier versement de 5 milliards avait alors été immédiatement effectué, un nouveau versement devrait l’être très bientôt. Si ces nouvelles sont de bon augure, tout n’est pourtant pas rose.
Le 31 mai dernier, le Ministre de l'économie et des finances ukrainien annonçait que les dettes publiques et garanties par l'Etat atteignaient la somme vertigineuse de 67,6 milliards de dollars. La dette extérieure du pays atteint désormais environ 44 milliards de dollars, soit 35% de son PIB. Si certains créanciers, notamment les occidentaux, sont susceptibles de se montrer souples avec les délais de remboursement de Kiev, une telle magnanimité ne pourra être attendu du Kremlin, qui avait considérablement contribué à l'économie ukrainienne durant la présidence de Viktor Ianoukovitch. Ces prêts arrivent à leur échéance, et compte tenu de la crise qui oppose les prorusses (et par extension la Russie) au nouveau régime, aucune clémence ne peut être attendue du côté du Moscou.
De leur côté, si les créanciers occidentaux et le FMI sont susceptibles de venir en aide au gouvernement de Porochenko, celui-ci doit encore montrer patte blanche et réaliser de profondes réformes structurelles pour les rassurer. Or l'actuel régime ukrainien collectionne les tuiles et les signes d'incompétence en matière économique. Avec un chômage au plus haut depuis la crise de 2008, et une perte de capitaux étrangers s'élevant à 16 milliards de dollars en un an, on ne peut pas dire que son action ait commencé à redresser le pays. L’Ukraine affichait entre janvier et mars 2015 un solde déficitaire de 1,8 milliard de dollars, alors même qu'elle venait de recevoir 5 milliards d'aide de la part du FMI. Cette mauvaise gestion des fonds d'aide va certainement, si la barre ne se redresse pas, finir par décourager un grand nombre de donateurs souhaitant contribuer à la reconstruction du pays.
En plus de l'incapacité du gouvernement à retrouver le bon cap, un autre facteur clé plonge l'Ukraine dans l'incertitude économique : l'incapacité du pays à négocier un accord sur le gaz russe. Le géant gazier russe Gazprom a confirmé, mercredi 1er juillet, l’arrêt de ses livraisons de gaz à l’Ukraine. L’accord liant la compagnie d'état ukrainienne, Naftogaz, et son homologue russe a en effet expiré. La raison : alors que le prix minimum proposé par Gazprom était de 247,12 dollars, Kiev demandait qu’il soit ramené à 200 dollars les 1 000 mètres cubes. Pour certains analystes, la raison de cet échec est la volonté de Kiev d'amener l'UE à la table des négociations, alors que le Russie souhaitait des accords bilatéraux. Dans tous les cas, il faut trouver un substitut au fournisseur russe, ce que Kiev semble incapable de faire malgré l'existence de plusieurs alternatives dignes d'intérêt.
Il existe en effet d'autres fournisseurs que Gazprom - qui vend chaque année 26 milliards de mètres cubes à Kiev, soit la moitié de la consommation du pays. La meilleure offre est actuellement proposée par le Turkménistan proposant des prix largement inférieurs à ceux de Gazprom. Pourtant le gouvernement, malgré un rapprochement, n'a toujours pas réussi à sécuriser un accord que les deux parties souhaitent ardemment. Certains organismes, créés pour faire face à la crise comme l'Agence de Modernisation de l'Ukraine - initiative internationale de l’homme d’affaires Dmytro Firtash, présentée comme un plan Marshall - paraissent en bonne position pour mener les négociations, mais le gouvernement, avare de pouvoir car fragile, refuse de déléguer, même lorsqu'il est dépassé par les évènements.
Ce faisant, le régime de Kiev, en proie à des divisions croissantes, tourne le dos aux initiatives viables et non violentes visant à un retour au calme. Enferré dans sa paranoïa, il reste aveugle aux solutions qui se présentent à lui. Et les créanciers de l'Ukraine, même les plus favorables au pouvoir en place, semblent perdre patience.