Faut-il ubériser la filière porcine ?

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Par Eric Verhaeghe Publié le 3 février 2016 à 13h55
Filiere Porc Elevage Technique Uberisation Nouvelles Technologies
@shutter - © Economie Matin
40%Bigard représente 40% de la filière porcine de France.

Tiens ! revoilà la crise de la filière porcine et ses jacqueries que le gouvernement ne parvient pas à éteindre. Les mauvais esprits n’en sont pas surpris. Depuis plusieurs mois, la colère gronde faute de prix suffisants pour faire vivre les éleveurs.

La filière porcine et le dumping

Sur le fond, la crise du porc français est sans surprise. Les exploitations sont majoritairement trop petites par rapport à leurs concurrentes du nord de l’Europe. Les revenus tirés des ventes sont donc trop faibles pour que les éleveurs puissent en vivre. Qui plus est, la faible taille des exploitations ne permet pas de diminuer les coûts de production: pas assez de revenus, trop de charges, la vie de l’éleveur est un enfer.

À ces mauvaises conditions de production s’ajoute les petites astuces des concurrents allemands qui se la jouent Volkswagen. Un collectif de paysans français dépose même une plainte contre eux. Selon les plaignants, les producteurs allemands pratiquent une optimisation fiscale déloyale et une « fraude carrousel » à la TVA qui leur permet de casser les prix. Ces techniques contraires au droit communautaire sont dopées par le recours à des travailleurs détachés payés sous le salaire minimum.

Pour ceux qui imaginent que l’Union Européenne constitue un véritable marché commun fondé sur la concurrence libre et parfaite et une coopération loyale entre ses membres, la crise de la filière porcine constitue donc un superbe désaveu.

La filière porcine et l’intermédiation traditionnelle

L’un des maux majeurs de la filière viande en France tient au rôle des intermédiaires, et tout particulièrement des abatteurs comme Bigard, dont la faculté d’orienter les prix est très importante. Dans la pratique, la concentration des intermédiaires permet à ceux-ci d’être les vrais price-makers du marché. Ce sont eux qui imposent des prix d’achat à la baisse auprès des producteurs et qui sont capables d’affronter les distributeurs, et spécialement les grandes surfaces, pour préserver leurs marges.

À titre d’exemple, le seul Bigard pèse 40% de la viande bovine en France et forme le troisième acteur de l’industrie de la viande en Europe. Lorsque Bigard refuse d’entrer dans le système de cotation du porc en Bretagne, il dispose de la capacité à faire baisser les prix à lui seul. L’émiettement du producteur face à la concentration des abatteurs qui sont les intermédiaires obligés entre l’éleveur et le commerçant introduit un déséquilibre dans la chaîne des prix.

En situation de surproduction, comme c’est le cas aujourd’hui depuis l’embargo russe, l’abatteur dispose évidemment de la faculté de jouer sur la concurrence pour faire « plonger » les producteurs locaux. D’une certaine façon, la crise de la filière viande est largement liée au pouvoir des intermédiaires et à la dépendance des producteurs vis-à-vis d’eux.

L’ubérisation de la filière porcine

Le bon sens consisterait donc ici à réintermédier le marché à partir d’une plate-forme numérique donnant aux producteurs la possibilité d’écouler directement auprès des commerçants et des réseaux de distribution les porcs envoyés à l’abattage. Cette plate-forme devrait permettre de réaliser les transactions en ligne sans interférence des intermédiaires.

Il est assez dommage que les agriculteurs français, « plombés » par des syndicats officiels complètement dépassés par le programme, n’investissent pas dans des innovations disruptives de ce jour, car celles-ci leur offriraient des garanties sur leurs marges et leur redonneraient la main sur la fixation des prix.

L’une des grandes astuces propres aux plate-formes numériques porte en effet sur la fixation du prix: elle n’est plus déterminée dans le secret par le « commissaire-priseur », mais fait l’objet d’un arbitrage transparent qui permet au producteur d’anticiper le montant de la vente. De ce point de vue, la plate-forme agit comme un marché à terme qui garantit une recette au producteur.

Dommage que les syndicats agricoles français ne précèdent pas cette innovation qui tôt ou tard s’imposera d’elle-même.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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