Le Traité Transatlantique (TTIP) : impact économique et (nombreux) dangers

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Par Captain Economics Publié le 15 juin 2015 à 5h00
Ttip Europe Etats Unis Economie
@shutter - © Economie Matin
9Les négociations autour du TTIP entre l'Europe et les Etats-Unis en sont au neuvième round.

Le Traité Transatlantique, ou TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), est un accord de commerce et d'investissement qui est en cours de négociation depuis 2013 entre l'Union Européenne et les Etats-Unis.

Mais depuis quelques mois, de nombreuses voix commencent à s'élever contre ce traité ! Des dizaines de manifestations ont en effet été organisées récemment contre le TTIP (bon il n'y a pas encore grand monde... mais le mouvement devient de plus en plus important). Quelques économistes de renom ont publiés récemment divers articles critiquant assez ouvertement certains aspects du Traité Transatlantique ou de son homologue le Traité TransPacifique (voir par exemple Joseph Stiglitz "The Secret Corporate Takeover" ou Dani Rodrik "The Muddled Case for Trade Agreements"). Et enfin cette semaine, le Parlement Européen a reporté un vote concernant le TTIP, officiellement pour des raisons techniques (trop d'amendements, source : "Report du débat et du vote sur les recommandations sur le TTIP : quelles sont les prochaines étapes ?" - Parlement Européen), mais officieusement à cause de forts désaccords et discussions houleuses (source : "Traité transatlantique : les 12 mots qui déchirent le Parlement européen" - Le Monde). Mais en fait, c'est quoi exactement ce Traité Transatlantique ? Et quels sont les avantages économiques potentiels et les dangers de ce traité ?

Il est important, il me semble, de séparer les négociations autour du Traité Transatlantique en deux catégories : (1) les négociations autour de la mise en place d'une zone de libre-échange, avec la suppression des droits de douanes entre les deux zones et (2) les négociations autour de l'harmonisation des normes et des règles commerciales. En ce qui concerne le premier point, nous rentrons en effet dans un cadre très standard concernant les effets de la mise en place d'une zone de libre-échange. Selon la théorie économique classique, la suppression des barrières douanières permet une meilleure allocation des ressources et une optimisation de la production globale, grâce la spécialisation puis à l'échange entre les pays (théorie de l'avantage absolu de Smith ou de l'avantage comparatif de David Ricardo... souvenir souvenir de vos cours d'Economie Internationale). Dans un monde parfait, le libre-échange permet donc d'améliorer la situation de l'ensemble des pays : les prix diminuent, le choix pour les consommateurs augmente, la croissance augmente, et le taux de chômage se réduit.

Selon la Commission Européenne (source : "A propos du TTIP"), le Traité Transatlantique, je cite, pourrait permettre "(1) de créer des emplois et de la croissance dans l'ensemble de l'UE et (2) de faire baisser les prix et d'offrir plus de choix aux consommateurs". La Commission se base en partie sur l'étude "Reducing Transatlantic Barriers to Trade and Investment : An Economic Assessment", qui utilise un modèle tout de même un peu plus complexe que celui de Ricardo (modèle d'équilibre général), mais dont les conclusions sont finalement assez proches de celles de la théorie économique classique. En ce qui concerne l'effet sur la PIB, l'étude de François et al. (2013) estime par exemple que le gain d'une suppression totale des barrières douanières serait de 24 milliards d'euros pour l'Union Européenne et de 9 milliards d'euros pour les Etats-Unis.

Mais comme tout modèle économique, tout cela est basé sur de nombreuses hypothèses qui peuvent être contestées... Dans l'article "The War of Trade Models", Dani Rodrik, professeur à Harvard, remet en partie en cause le modèle utilisé (c'est un peu technique, mais cela vaut le coup d'oeil... voir par exemple le papier "The Trans-Atlantic Trade and Investment Partnership: European Disintegration, Unemployment and Instability" cité par Rodrik). Il existe aussi une littérature empirique assez abondante essayant de mesurer les effets de la mise en place d'une zone de libre-échange sur le taux de chômage... Et idem à ce propos, les résultats sont assez contrastés et le lien entre suppression des barrières douanières et baisse du chômage est loin d'être évident (destruction-créatrice due au commerce internationale... la question est de savoir si la création est supérieure à la destruction).

Malgré ces différentes réserves, si le TTIP ne concernait que la suppression des barrières douanières entre l'Union Européenne et les Etats-Unis, et qu'un référendum était proposé demain (en réalité il n'y aura pas de référendum à ce sujet... ne rêvez pas non plus...), le Captain' irait voté OUI sans grande hésitation ! Sans croire non plus à un miracle économique et en tentant de me défaire du démon de Ricardo, il me semble tout de même que la mise en place d'une zone de libre-échange a tendance à avoir davantage d'effets positifs que d'effets négatifs, bien qu'il soit important de gérer correctement la transition et la modification de l'allocation des ressources (principalement facteur travail qualifié / travail non-qualifié).

Mais arrive alors la seconde (et la plus importante) partie du Traité Transatlantique : les négociations autour de l'harmonisation des normes et des règles, avec entre autre la mise en place d'un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (ISDS - Investor-State Dispute Settlement). Pour faire simple, la mise en place de l'ISDS pourrait permettre à une entreprise d'attaquer un Etat devant un tribunal arbitral international (et d'exiger une forte indemnisation) en cas de pertes de bénéfices liées à la mise en place d'une nouvelle réglementation. Un des objectifs de l'ISDS est d'éviter qu'un état-voyou mette en place une régulation spécifique pour exproprier (directement ou indirectement) une entreprise étrangère. Par exemple si vous ouvrez une entreprise de parpaings au Turkménistan, et que du jour au lendemain le Turkménistan décide de taxer à 200% la production de parpaings, vous pourrez alors obtenir un dédommagement via un arbitrage privé s'il existe un mécanisme de réglement des différends entre investisseurs et Etats signé entre votre pays et le Turkménistan. S'il n'existe pas de mécanisme, et bien tant pis pour vous, vous avez perdu...

Bien que sur le papier l'ISDS puisse en effet avoir une certaine utilité pour protéger les entreprises et donc favoriser l'investissement, les dérives sont très nombreuses. A ce propos, Joseph Stiglitz, prix Nobel d'Economie, a publié récemment une excellente tribune intitulée "La très discrète prise de pouvoir des grandes entreprises" (traduction disponible sur Project-Syndicate - Must Read). Stiglitz donne alors l'exemple du cigarettier Philip Morris, qui poursuit en justice l'Australie et l'Uruguay suite à l'obligation de la mise en place d'un avertissement relatif au tabac sur les paquets de cigarettes, car Philip Morris estime que cela a engendré une perte de bénéfice et réclame donc un dédommagement ! Franchement !!! Sans tomber forcément dans le catastrophisme, il est important de tracer des lignes rouges à ne pas franchir et de veiller à ce que les entreprises privées et les lobbies ne prennent pas le dessus sur l'Etat (c'est d'ailleurs ce qui fait débat actuellement au sein du Parlement Européen). Pour reprendre notre référendum (le Captain' est très démocratique aujourd'hui...), si demain une proposition de TTIP avec accord de libre-échange ET mise en place de l'ISDS sans ligne rouge, le Captain' voterait clairement NON. Et Stiglitz aussi d'ailleurs :

"Devons-nous accepter que des dispositions cachées dans de soi-disant accords commerciaux permettent aux entreprises riches de décider de la manière dont nous allons vivre ? J'espère qu'aux USA, en Europe et dans la région Pacifique la réponse des citoyens sera un NON retentissant." - Joseph Stiglitz

Enfin, en ce qui concerne l'harmonisation des normes et des règles (hors ISDS), il est important de faire la part des choses entre les phrases chocs du type "on va se retrouver avec de la viande OGM partout", "le cinéma va disparaître", "la NSA va nous espionner" et les avantages potentiels d'une harmonisation de certaines règles. Encore une fois, il est très important de tracer une ligne rouge entre ce que l'on souhaite harmoniser et ce qui doit rester en dehors de l'accord, que ce soit pour des questions de protection de l'environnement, de protection de la santé, de protection de "l'exception culturelle"... En effet, une harmonisation des règles fiscales ou des règles légales peut aussi avoir de nombreux avantages et renforcer la place de l'Union Européenne sur la scène internationale. L'économiste Thomas Piketty considère par exemple que les négociations autour du TTIP pourrait justement permettre d'harmoniser la réglementation sur la taxation des entreprises pour tendre vers davantage d'égalité (source : "The myth of national sovereignty helps big corporations screw us over")

The European: This power imbalance between the U.S. and the EU is something that worries many people, especially with regards to the proposed free trade agreement between the two.

Piketty: The TTIP can be an opportunity for both sides – if it stretches beyond the free trade aspect. It must also be a treaty about fiscal cooperation and establish a basis for a common corporate tax. Very often, multinationals on both sides of the Atlantic pay less taxes than small or medium-sized businesses – that's unacceptable! A binding treaty between the U.S. and the EU is the right place to address and solve problems like tax havens and unregulated capital flows. Such a treaty would represent half of the world's GDP. If this powerful bloc of the global economy doesn't manage to find a solution and speak with one voice, then progress seems very unlikely.

Pour terminer avec une dernière lecture, un article récent du CEPII de Sébastien Jean (directeur de recherche à l'INRA) s'intéresse justement aux difficultés de la mise en place d'une "cohérence réglementaire" (c'est d'ailleurs plus vendeur je trouve que le concept "d'harmonisation des règles"), qui est selon lui souhaitable mais qui est loin d'être simple à mettre en place, entre autre à cause de la puissance des différents lobbies (source: "Souhaiter la cohérence réglementaire est une chose, la faire avancer en est une autre").

Conclusion: Il est difficile, vue de l'extérieur, de comprendre la puissance et le rôle des lobbies dans la mise en place (ou le blocage) de différentes mesures ou réformes ! Mais sur les quelques problématiques que le Captain' commence à un peu mieux maîtriser (tout en restant un mioche de 28 ans avec une connaissance ultra-limitée), comme le milieu bancaire/financier ou les problématiques liées à l'ouverture et à la transparence des données, il est impressionnant de voir le décalage entre "la bonne idée sur le papier" et "la mise en place de cette bonne idée" ... Très souvent, les lobbies jouent un rôle bien plus important (et néfaste) qu'on ne peut l'imaginer. Il est donc nécessaire de ne pas donner plus de pouvoir encore aux lobbies (et aux grosses entreprises privées), et donc de refuser la mise en place d'un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (sauf à la rigueur dans des cas très spécifiques d'expropriation pure et dure). La problématique du TTIP est complexe : pas mal de bonnes choses potentielles mais cachées derrière un bon gros nuage, regroupant un peu de mythe certes, mais aussi quelques dangers réels qu'il faut cadrer au plus vite... Et ce avant que la gronde anti-TTIP explose (bon OK pour le moment ce sujet ne passionne pas non plus les foules... mais sais t-on jamais...) !

Article publié initialement sur le site de Captain Economics

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Doctorant en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et professeur d'économie à l'IESEG Paris, Thomas Renault est le créateur du site Captain Economics, un blog ayant pour but de démystifier l'économie, en abordant cela sans prise de tête ni prise de parti.  

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