Les taxes augmentent de part et d’autre et les propos tenus deviennent moins aimables. Au point de bloquer la poursuite des négociations ? Ce n’est sans doute pas ce que le Président Trump souhaite. Mais toute stratégie réussie ne doit pas uniquement se centrer sur les éléments de fond. La forme compte aussi ; et même beaucoup.
Le ministère chinois des finances vient d’annoncer les mesures de rétorsion, suite à l’élévation, décidée par l’Administration Trump, des droits de douane sur 200 milliards de dollars de marchandises importées de Chine. Les taxes sur 60 milliards de dollars de biens made in USA vont être alourdies à compter du 1er juin, jusqu’à des niveaux de 20% et 25%. Rappelons que le gouvernement de Pékin a du mal à opérer selon la loi du talion. Les montants sur-taxables sont limités, relativement à ce que les Américains peuvent faire.
Le marché a réagi négativement. Aux Etats-Unis, l’indice S&P recule de 2,4% et le rendement d’une obligation d’Etat à 10 ans baisse de 7 points de base. Les mouvements ont été moins marqués en Europe. En fait, les investisseurs et les opérateurs expriment une double préoccupation. D’abord, une escalade, à la fois en paroles et en actes, qui entraverait la capacité d’aboutir à un accord. Pour ce qui est du maniement du verbe, le Président Trump est assez loin hier en matière de remarques dédaigneuses[1]. Alors que le Vice-premier ministre chinois, Liu He, appelait de ses vœux un accord nécessairement équilibré et préservant la dignité de son pays (la double référence aux « traités inégaux » et au « siècle d’humiliation », imposés par l’Occident, est presque transparente), il a évoqué une Chine « battue si fort au cours des récentes négociations ». Pour ce qui est des actes, la crainte est évidemment que Washington fasse faire un tour de plus à cette machine infernale de renchérissement des droits de douane. De fait, hier dans la soirée, les services du Représentant américain au Commerce ont publié la liste des marchandises importées de Chine, pour une valeur de 300 milliards de dollars, qui pourraient être taxées à 25% dès la fin du mois de juin prochain. Tous les biens made in China seraient alors « frappés ». In fine, l’acrimonie de part et d’autre serait devenue si profonde que l’appétit pour trouver les voies et moyens menant au compromis aurait disparu.
Avec le risque ensuite, et le marché l’a parfaitement en tête, de voir un commerce mondial, à peine convalescent, réenregistrer une inflexion baissière. Peut-on être certain qu’un momentum économique, qui commence tout juste à être plus favorable, et un « changement de pied » de la politique monétaire (à nouveau accommodante) sont des remparts efficaces contre les conséquences négatives d’échanges internationaux à nouveau mal orientés ?
Comment sortir de cette impression de subir des évènements qu’on a le sentiment de ne pas très bien comprendre ? Si seulement on pouvait mieux saisir ce que le Président Trump a « derrière la tête ». Bien sûr, on sait qu’il fait à la fois de l’économie et de la politique. Quand la première va bien, la tentation de se préoccuper de sa base électorale et de dynamiser davantage sa cote de popularité devient plus forte. Mais sans prendre de risque du côté de la croissance ou de la bourse. L’équilibre n’est pas très facile à trouver. Alors quelle est la place des affaires étrangères dans la démarche politique du locataire de la Maison Blanche ? Abordons trois sujets : sa « doctrine » en matière de politique extérieure, son ambition vis-à-vis de la Chine et sa conception des échanges commerciaux.
La politique étrangère du Président Trump s’appuie sur trois piliers. Premièrement, elle se décline, au moins pour partie, dans le sillage de la politique intérieure. L’« Américain moyen » est insatisfait des conséquences de la globalisation. Il faut en tenir compte. Deuxièmement, l’organisation des relations internationales (un monde ouvert dont chaque pays profite) est de moins en moins à l’avantage de ses promoteurs, les Etats-Unis au premier chef. Troisièmement, les rapports entre Etats-Nations doivent être fondés sur le principe que chacun d’entre eux recherche et poursuit son propre intérêt. La poursuite de buts communs ne peut être que de deuxième ordre.
Avec le Président Trump, les Etats-Unis seraient entrés dans la quatrième phase, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, des relations avec la Chine :
- empêcher les Communistes de prendre le pouvoir ;
- rouvrir les relations avec la Chine de Mao (Nixon et Kissinger) dans le but de « contenir » les ambitions de l’URSS (début des années 1970) ;
- Intégrer la Chine dans l’ordre économique international, afin de « canaliser » sa montée en puissance (il y a un peu moins de vingt ans);
- Forcer la Chine à se comporter selon les règles en usage dans les relations internationales et/ou l’empêcher de contester l’« ordre américain » (aujourd’hui).
L’ambition qui sous-tend l’enclenchement de cette quatrième phase bénéficie d’un large soutien dans l’opinion américaine et aussi dans le reste du monde. Reste à ce que le prix à payer, en termes économiques et financiers, ne soit pas considérer comme insupportable.
La conception des échanges commerciaux de Donald Trump est assez rustique. Disons qu’il partage avec le courant mercantiliste l’idée qu’exporter est une bonne chose et importer, une mauvaise. Au titre que vendre à l’étranger participe de la création de richesse alors qu’acheter à l’étranger est un substitut « malheureux » à la création domestique de richesse. Il faut donc combattre les obstacles mis à la vente de biens et services américains dans le reste du monde et ne pas s’en faire de trop en matière de freins mis à l’entrée de produits étrangers aux Etats-Unis. Bien sûr, une partie de l’entourage du Président américain essaie de lui faire comprendre que l’approche est largement erronée. Mais avec quel succès ?
Comment ne pas comprendre que Donald Trump veut vraiment faire reculer la Chine ? Seules les implications négatives en termes économiques (et de marchés financiers) sont à même de canaliser ses initiatives. Le point est évidemment tout à fait repérer à la Maison Blanche (même si l’approche du commerce extérieur du Président pose problème). Un autre ne doit pas être oublié : tout accord sino-américain doit pouvoir être présenté comme étant gagnant-gagnant. Au risque sinon de remettre en cause une démarche qui a sa part de rationalité.
[1] Notons toutefois que le président américain a fait part un peu plus tard de sa volonté de rencontrer son homologue chinois en marge des réunions du G20 les 28 et 29 juin à Osaka. La perspective de la poursuite du dialogue explique sans doute la meilleure orientation des marchés chinois ce matin. Ainsi l’indice CSI 300 progressait de 0,3% à 07h30 (heure de Paris), après il est vrai un repli de 1,7% lors de la séance précédente.