Travailleurs détachés : L’adversaire, c’est le libéralisme pas le travailleur roumain

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Par Eric Bocquet Modifié le 14 décembre 2013 à 7h20

La directive européenne sur le détachement des travailleurs, initiée en 1996 par la Commission européenne, visait à l’origine à protéger et encadrer les travailleurs issus d’un autre État membre, mais elle portait dès le départ le gène de la concurrence déloyale (1). En effet, les cotisations sociales sont versées au pays d’origine du travailleur, ce qui crée une différence de coût important pour l’employeur.

Il faut rappeler que le différentiel de cotisations sociales entre la France et la Pologne peut aller jusqu’à 30 % ! L’Europe d’aujourd’hui est construite sur un dogme libéral. Ceux qui ont œuvré en faveur de cette Union européenne ne peuvent pas aujourd’hui faire mine de découvrir ses méfaits. La crise grave qui sévit ainsi que les élargissements successifs de l’Union Européenne à des pays de l’Est européen aux conditions sociales nettement inférieures (le salaire mensuel minimum en Bulgarie est égal à 158 euros) ont fortement accentué la concurrence et ont instauré une politique du « tous les coups sont permis ». Face à la pression, les entreprises tentent de réduire au maximum leurs coûts notamment via des compressions de masse salariale.

Pour compenser les baisses des effectifs, elles font ensuite appel à des travailleurs détachés, moins chers. Les exemples sont légions, prenons le cas des abattoirs Gad soumis à une impitoyable concurrence allemande où, c’est le comble, on ferme le site de Lampaul-Guimilliau, on licencie 900 personnes dans le Finistère, mais on embauche une centaine de travailleurs roumains sur le site de Josselin. On pourrait aussi prendre l’exemple du projet d’aménagement urbain de Clermont-Ferrand, le Carré de Jaude, avec des travailleurs à 2,86 euros de l’heure qui peuvent faire jusqu’à 55 heures par semaine ou encore la construction du siège de SFR à Saint-Denis avec 35 nationalités recensées sur le site pour une misère et le chantier emblématique de l’EPR à Flamanville…

Ces exemples montrent comment la législation européenne est détournée, ils montrent aussi que l’élargissement de 2007 avec l’entrée de 10 nouveaux pays européens de l’Est dans l’UE a également eu un impact sur l’augmentation du nombre de travailleurs détachés, car personne ne s’est préoccupé de l’harmonisation sociale entre les différents pays européens. Résultat : le nombre de travailleurs détachés en France est passé de 7 000 à 145 000 entre 2000 et 2011. Cela dit, il ne faut se tromper d’adversaire. Ce n’est pas le travailleur roumain, mais le libéralisme qui permet cette forme de dumping social. L’Europe génère peur et ressentiment chez nos concitoyens.

Le problème de fond est la logique de libre — concurrence qui provoque une compétition acharnée entre les États membres d’abord et entre les salariés eux-mêmes ensuite. Seulement, à ce jeu-là, il y a beaucoup de perdants et peu de gagnants. Il y a une véritable urgence à concrétiser la révision de cette directive. On assiste aux prémices d’un repli xénophobe dans plusieurs pays européens, qui est extrêmement inquiétant. Il faut agir pour empêcher un vote du désespoir lors des prochaines élections européennes. Il faut s’attaquer au problème en inscrivant le principe de l’harmonisation sociale au cœur du projet européen.

Compte tenu des disparités sociales qui existent aujourd’hui en Europe, il est indispensable d’engager rapidement un processus pour qu’à moyen terme nous puissions arriver à un socle de droits sociaux au niveau européen. Malheureusement, la révision de cette directive traîne en longueur : elle est en discussion depuis des mois. Les pays européens devaient normalement trouver un accord avant la fin de la présidence tournante irlandaise de l’UE en juin 2013. Aujourd’hui, ils ne parviennent toujours pas à s’accorder sur un texte. La France fait partie des pays qui souhaitent encadrer davantage le détachement des travailleurs au sein de l’UE. Elle est soutenue par des pays comme la Belgique, l’Espagne et, dans une moindre mesure, l’Allemagne (où d’ailleurs il n’existe pas aujourd’hui de salaire minimum). En face, les pays libéraux – notamment les nouveaux entrants de l’Est de l’Europe – font bloc derrière le Royaume-Uni, qui prône comme toujours la dérégulation. Dans cette configuration qui oppose deux idéologies, il est difficile de trouver un compromis. Les discussions doivent reprendre en décembre à l’occasion d’une nouvelle réunion des ministres européens de l’Emploi. Dans ce contexte, j’ai été chargé par le Sénat de préparer une mission d’information sur ce dossier.

À l’issue de cette mission, une résolution a été adoptée à l’unanimité par la commission des Affaires européennes puis par celle des Affaires sociales. Nous avons donc trouvé un consensus très large sur plusieurs mesures clés. Tout d’abord, il faut limiter à 3 le nombre de sous-traitants. Aujourd’hui, la chaîne de sous-traitance peut aller jusqu’à 12 intermédiaires ! On ne sait plus qui fait quoi et personne n’est responsable. Par ailleurs, nous souhaitons élargir le cadre de la directive à l’ensemble des activités économiques, car pour l’heure, elle n’encadre que le secteur du BTP. Il s’agit du secteur ayant recours le plus massivement aux travailleurs détachés, mais le phénomène touche aussi des secteurs tels que les transports, l’agriculture et maintenant l’événementiel. Enfin, il est nécessaire d’instituer la responsabilité solidaire du donneur d’ordre. Cela signifie que tout commanditaire d’un contrat est responsable de l’application du droit par ses prestataires.

Même en l’absence d’un accord européen, on peut éventuellement imaginer que la France applique des réformes au niveau national, par exemple, pour les marchés publics, qui pèsent encore un poids non négligeable dans l’économie française. Pourquoi ne pas mettre en place une clause de responsabilité sociale ? Le scandale des travailleurs détachés montre une fois de plus la perversité de cette Europe où les hommes sont piétinés et qui a exploré les performances d’un nouvel esclavagisme. Cette Europe-là doit cesser de nuire, elle doit être entièrement réorientée au service des peuples qui en font sa force. Il est temps d’abandonner le dogme de la concurrence libre et non faussée qui non seulement met en péril notre tissu économique, mais dans sa phase ultime, fournit le terreau de la xénophobie et du racisme.

Plus que jamais, c’est l’urgence d’une Europe solidaire et sociale qui s’affirme avec force à travers la problématique des travailleurs détachés.

(1) Le texte de cette tribune est en grande partie issu d’un entretien publié sur le site euractiv.fr, propos recueillis par Cécile Barbière.

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Élu maire de Marquillies en 1995, il a été réélu à chaque scrutin municipal depuis cette date. Il est également conseiller communautaire de Lille Métropole Communautéurbaine. Pour les élections sénatoriales de 2011, il est désigné tête de liste du Parti communiste français dans le département du Nord. Le 25 septembre 2011, il est élu sénateur du Nord.

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