Travail détaché: Macron pour un libre-échange protectionniste

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Par Eric Verhaeghe Publié le 25 août 2017 à 10h29
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cc/pixabay - © Economie Matin
290000En 2016 il y avait en France plus de 290 000 travailleurs détachés.

La tournée d’Emmanuel Macron auprès des pays du groupe de Visegrad pour obtenir une réforme de la directive sur le travail détaché n’est pas aussi triomphale qu’il ne voudrait le faire croire. Elle donne lieu à une très belle invocation de l’esprit européen, le fantasme des élites françaises…

C’est l’histoire d’un pays qui participe à la fondation de la Communauté Européenne en 1957 et qui, 70 ans plus tard, a laissé filer tous ses comptes publics et ses comptes sociaux. Pour y travailler, il faut verser un euro de cotisation sociale chaque fois qu’on y verse un euro de salaire. Ce même pays vit dans la croyance extravagante selon laquelle il pourrait former un marché unique avec tous les pays européens, y compris les plus pauvres, leur ouvrir ses frontières, sans souffrir du coût de sa protection sociale.

Et le jour où il découvrirait qu’un travailleur roumain ou bulgare coûte moins cher qu’un travailleur français, il jouerait une comédie de boulevard où l’esprit européen de 1957 serait brutalement rendu cocu par les volages bulgares, roumains, polonais, hongrois et autres membres du groupe de Visegrad.

On n’est pas bien sûr que la pièce soit très drôle, mais les acteurs (en l’espèce Emmanuel Macron) donnent tout ce qu’ils peuvent pour la rendre crédible.

Quand les élites françaises vivent dans le fantasme de « l’esprit européen »

Il faudrait un bon divan de psychanalyste pour faire accoucher Emmanuel Macron de toutes les croyances naïves sur l’Europe qu’il porte encore, comme si, derrière son masque d’adulte, demeuraient des impressions d’enfance jamais digérées.

Par exemple, Emmanuel Macron croit que l’élargissement de l’Europe aux pays de l’ancien bloc communiste n’altère pas le sens originel du Traité de Rome. Appartenir à l’Europe, c’est toujours plus de protection pour les salariés. Et plus de protection pour les salariés, c’est forcément une augmentation constante du coût du travail et la mise en place d’un système public d’assurance sociale appelé sécurité sociale. Tous ceux qui ne tendent pas vers cet objectif n’ont pas l’esprit européen.

Voilà ce qu’on pourrait appeler une belle croyance naïve: imaginer qu’un Polonais ou un Bulgare entre dans l’Europe pour bénéficier, enfin, des lumières françaises et pour espérer, enfin, disposer d’une sécurité sociale comme la nôtre. Pas un instant, Emmanuel Macron n’a la lucidité suffisante pour comprendre que la France, la grande malade de l’Europe, et son modèle sociale qui crève sous ses charges et ses dépenses publiques, constituent de véritables repoussoirs pour les autres.

En réalité, la Pologne et la Roumanie rêvent peut-être d’Europe, mais ils ne rêvent plus de ressembler à la France. Ce rêve est mort depuis les années 90, voire avant. Ce que les élites françaises imaginent comme la définition de l’esprit européen n’est qu’un vieux fantasme coupé des réalités.

Le mensonge du dumping social expliqué aux élites

Dans leur conception obsolète de l’Europe, les élites françaises dénoncent donc le dumping social. Cette expression est évidemment hypocrite, parce qu’elle fait croire que les Roumains ou les Polonais casseraient illégalement le coût de la main-d’oeuvre lorsqu’ils envoient leurs travailleurs en France pour conduire des camions ou pour se livrer à des travaux ingrats qu’aucun Français n’accepte plus de faire.

C’est évidemment un mensonge que de prétendre que ce système est illégal. La Pologne comme la Roumanie ont décidé de ne pas se suicider économiquement en étouffant sous une protection sociale coûteuse et peu efficace. Ils en récoltent les fruits, parce qu’ils sont plus compétitifs que nous.

Sauf à imaginer que le monde entier fait du dumping, il faut bien un jour admettre que tous les pays du monde ne sont pas obligés de suivre le modèle français. Ou alors, on renonce à intégrer des espaces économiques communs avec ces pays, et on assume son protectionnisme.

Macron est-il l’homme du libre-échange protectionniste?

Dans sa tournée des pays orientaux, Macron livre sa stupéfiante vision de l’esprit européen. « En même temps », notre Président est pour le libre-échange ET pour le protectionnisme.

D’un côté, il nous explique qu’il faut être ouvert, internationaliste, et autres rengaines bien-pensantes qui soutiennent mordicus que le libre-échange, c’est la lumière, et que le protectionnisme, c’est les ténèbres. Cette soupe nous a été servie pendant plusieurs mois durant la campagne électorale.

D’un autre côté, notre président souhaite que l’ouverture des frontières ne remettent surtout pas en cause les choix politiques et sociaux français. Donc, le libre-échange oui, à condition qu’ils ne nous oblige pas à être compétitifs en réduisant le coût de notre travail ou en nous contraignant à des réformes systémiques.

C’est toute la difficulté d’élire des courtisans aristocrates à la tête d’un État: ils pensent que les discussions de salon suffisent à gouverner. Mais un jour les belles idées qu’on égrène dans les dîners mondains ont un impact sur la réalité, et il faut savoir l’assumer.

Donc le marché unique, présenté dans les salons parisiens comme l’alpha et l’oméga de l’humanité, comme une marque de culture et de civilisation qu’on ne peut critiquer sans être taxé d’obscurantisme fascisant, n’est pas seulement une idée de bisounours. C’est aussi l’ouverture à des pays où la main-d’oeuvre moins chère concurrence la nôtre, ce qui, invariablement, produit du chômage dans les milieux populaires (ceux qu’on bannit par principe des dîners où l’on se gargarise d’européisme béat).

Avec une naïveté confondante, Macron le découvre aujourd’hui.

L’esprit européen vu de Roumanie

Par une série de décisions suicidaires (mais incritiquables au nom du sacro-saint angélisme européen), la France a acquiescé à l’élargissement européen. Elle a donc imaginé qu’elle pourrait créer un espace économique commun avec des pays où le salaire minimum est trois ou quatre fois inférieur au nôtre, et où les dépenses sociales ne représentent pas la moitié des nôtres. Dans le même temps, elle a continué, sur son sol, à faire vivre le fantasme d’une protection sociale en expansion constante.

Pour les nouveaux venus, cette situation est une aubaine. Elle leur donne l’occasion inespérée d’accélérer leur développement ou leur rattrapage vis-à-vis des pays occidentaux en profitant au maximum de leurs avantages compétitifs et, au premier chef, de leur main-d’oeuvre pas chère.

Tout étudiant en première année d’économie le sait: l’avantage compétitif est la base du libre-échange. C’est aussi l’esprit européen depuis l’Acte Unique de 1986.

Imaginer que ces pays nouveaux entrants vont, du jour au lendemain, renoncer à leur avantage est soit naïf soit idiot.

Au passage, la proposition française de faire cotiser les Roumains détachés en France a une contrepartie: faire cotiser les 200.000 Français détachés dans les pays de l’Est de l’Europe aux régimes sociaux de ces pays. On s’en délecte par avance.

Benoît Mayrand, conseiller consulaire UDI cité par le Point

« Si la France obtient une révision de la directive détachement qui lui permettrait d’obliger les travailleurs étrangers détachés sur son territoire à cotiser à l’Urssaf, aux Assedic et aux caisses de retraite complémentaire, et à acquitter l’impôt sur le revenu, s’insurge Benoît Mayrand, il est bien évident que les pays d’origine de ces salariés appliqueront la même politique. Ils exigeront que les travailleurs détachés français cotisent auprès de leurs propres organismes sociaux et se soumettent à leurs fiscalités. Mais quel Français sera prêt demain à effectuer une mission à l’étranger s’il doit renoncer à sa couverture sociale, à ses droits au chômage et à la retraite ? La remise en cause de la directive détachement au sein de l’Union européenne affectera gravement près de 200 000 Français de l’étranger qui bénéficient de ce statut. »

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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