Transition énergétique : les collectivités territoriales peuvent-elles réussir là où l’Etat galère ?

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Par Thierry Legrand. Modifié le 29 novembre 2022 à 10h09

Mercredi 18 juin, Ségolène Royal dévoilait les lignes de force de l'avant projet de loi de programmation pour la transition énergétique. Par contraste, on pouvait aussi déceler les lignes de faille de ce projet dans sa présentation. Première d'entre elles, l'inadéquation entre les objectifs fixés, ambitieux, et les moyens d'y parvenir, flous quand ils ne sont pas clairement insuffisants. Pourtant, là où l'Etat montre ses limites, les collectivités territoriales, épaulées par des escadrilles d'entreprises privées, se remontent les manches et font déjà de cette transition une réalité.

Le temps presse, l'Etat tergiverse

Choisir des objectifs à chiffres ronds, ça présente un désavantage majeur, tout le monde s'en souvient. Aussi n'a-t-il échappé à personne que la France avait un programme plutôt chargé dans les années à venir : réaliser 50 % d'économies d'énergie à l'horizon 2050, et réduire d'autant la part du nucléaire dans le mix énergétique. Et que fait-elle, pour y parvenir ? Elle réaffecte, dans son projet de loi de finances rectificative 2014, 250 millions d'euros de crédits dévolus à la recherche et l'innovation en matière de transition énergétique... vers le budget de la Défense.

Ségolène Royal, pour court-circuiter la polémique naissante, vient d'annoncer qu'une enveloppe de 10 milliards serait débloquée. Si le gouvernement semble enfin se donner les moyens de sa politique (énergétique), reste à savoir s'il les mettra en oeuvre, et si oui, à temps. Il n'est en effet pas inutile de rappeler que la France, en tant qu'Etat membre de l'Union européenne, se doit aussi de respecter les dispositions du paquet climat-énergie : faire passer à 20 % la part des EnR dans le mix énergétique, réduire de 20 % les émissions de CO2 et accroitre d'autant l'efficacité énergétique, le tout à l'horizon 2020. Un sacré chantier en perspective, au regard de la situation actuelle. Le temps presse. Les manoeuvres dilatoires ne feront bientôt plus illusion.

Pour mener ce chantier à bien dans les temps, on serait tenté de multiplier les infrastructures le plus vite possible. Planter des éoliennes et des panneaux photovoltaïques à tout crin, sans vision, n'est pourtant pas la bonne option. Le cas de l'Allemagne renseigne assez sur les limites d'une telle démarche. "Sous-estimée dans sa complexité", selon le ministre de l'Economie et de l'Energie du pays Sigmar Gabriel, la transition énergétique allemande souffre d'un manque d'approche systémique, coûte cher et suscite un scepticisme croissant chez les Allemands et dans le reste du monde.

L'Etat se doit donc de donner une impulsion d'ensemble cohérente. Mais sa logistique est lourde, compliquée à mettre en branle. Plus réactives, d'avantage au fait des spécificités propres à leurs territoires respectifs, les collectivités territoriales s'attèlent à leur échelle à insuffler un certain dynamisme à cette transition, tout en ne négligeant pas d'inscrire leurs efforts dans une logique globale, afin de ne pas constituer de simples épiphénomènes.

Lyon Confluence, Terr'innove... les collectivités territoriales à la rescousse, avec l'aide du privé

Depuis quelques années, sous l'égide des régions, des départements, des communes et communautés de communes, un certain nombre de projets sont activés, préfigurant à taille réduite ce à quoi pourrait ressembler la France de demain, une fois la bascule opérée vers des comportements moins énergivores. Fers de lance de ces projections, les entreprises privées sont sollicitées à tout-va, jouant un rôle important dans cette décentralisation énergétique.

Parmi les projets les plus célèbres, celui du quartier Confluence de Lyon est aussi un des plus aboutis. Chapeauté par la région Rhône-Alpes et financé à 64 % par des entreprises privées, il constitue la modélisation d'un avenir qu'on souhaite proche. Les immeubles y produisent davantage d'énergie qu'ils n'en consomment. Les foyers sont équipés de compteurs communicants Linky, offrant la possibilité à chacun de suivre sa consommation et de la réguler, mais aussi de faire appel aux énergies renouvelables quand une forte disponibilité sur le réseau les rend bon marché. Les rues fourmillent de véhicules électriques. Le tout constitue un système holistique, complet, une micro-société à l'heure de demain, mais ne reniant pas pour autant l'ADN de ce quartier chargé d'histoire.

Dans le même registre, le projet Terr'innove de GDF Suez propose "un bouquet de solutions énergétiques innovantes" à destination des collectivités. En France, les communautés de communes de Charente-Arnoult Coeur de Saintonge, des Pays de Meslay Grez, de Gex, de la Gacilly, et la ville de Mulhouse profitent déjà de cette offre. Elle leur permet de bénéficier "de l'expertise de l'ensemble des métiers de GDF Suez pour concevoir les modalités d'un nouveau modèle énergétique territorial basé sur la sobriété et l'efficacité énergétiques, tout en mobilisant les ressources locales". Objectifs : booster l'économie locale et mettre en place d'une stratégie énergétique transversale sur les territoires, visant à produire, dans certains endroits, plus d'EnR que d'énergie consommée d'ici 2030.

Ces deux exemples sont parlants. Ils montrent que, pour fonctionner, la transition énergétique doit prendre en compte les particularismes propres à chaque territoire, aux premiers rangs desquels la disponibilité de telle ou telle ressource énergétique, et les besoins des consommateurs. Autrement dit, un projet adapté au centre-ville de Lyon ne conviendra pas à une zone rurale de Mayenne, et vice versa. Une conclusion qui émousse la souveraineté de l'Etat, puisque chaque parcelle de cette transition énergétique se doit d'être édifiée sur-mesure, de façon ultra-localisée.

Si la transition énergétique joue l'arlésienne, c'est sans doute que l'Etat refuse d'admettre sa relative impuissance. Dans un modèle prônant de plus en plus une forme de locavorisme énergétique - les EnR étant difficilement stockables et transportables sur de longues distances - les collectivités territoriales sont vouées à s'inscrire au premier plan, épaulées par les entreprises privées. A défaut de pouvoir prescrire de lignes directrices satisfaisantes pour tout le territoire, l'Etat doit cependant donner le rythme, dicter le tempo et, bien sûr, faciliter l'accès aux financements. Ce qu'il fait, mais de façon trop décousue jusqu'à présent, revenant le lendemain sur ce qu'il a dit la veille, rognant au détail les avancées promises en gros.

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Consultant spécialisé sur les smart-grids. Rédacteur en chef de les-smartgrids.fr

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