Bien trop confiants les professionnels qui, après la première vague d'ubérisation de l'économie, pensaient ne pas être impactés à leur tour par les nouvelles technologies. L'hôtellerie, les transports, les taxis, par exemple, ne sont plus les seuls à voir leur secteur envahi par le digital ; les professions réglementées comme l'immobilier, le droit, la santé, qui se pensaient à l'abri des « clics », sont désormais directement concurrencés par les start-up et autres spécialistes de la « tech ». Et si, au lieu de s’y montrer hostiles, ils y trouvaient leur intérêt ?
Annonces immobilières automatisées
Les 6 et 7 novembre derniers, à Paris, se tenait la 7ème édition du salon « Rent » (« Real Estate and New Tech »), où devait se retrouver tout le petit monde de l'immobilier. Au programme, le dévoilement des dernières innovations technologiques en la matière. Comme, par exemple, la visualisation 3D d'un appartement acheté sur plans, l'évaluation de son ensoleillement et de sa luminosité ainsi permise, ou encore l'option serrures « connectées » – activables depuis une application sur smartphone.
Preuve que l'immobilier est définitivement rentré dans l'ère numérique : l'événement a doublé sa surface et son nombre d'exposants (400) par rapport à l'an dernier. Parmi eux, 20 fonds d'investissement et 107 start-up, dont certaines, comme Meero, se proposent d'améliorer la qualité de service des agents immobiliers – prises de vues d'appartements à prix bradés, industrialisation de la retouche photo, etc. –, tandis que d'autres, comme Syllab, automatisent les textes des annonces immobilières, afin d'éviter les fautes d'orthographe.
Au-delà des « jeunes pousses », le secteur a déjà vu l'arrivée il y a quelques années de plateformes type Le Bon Coin qui, avec 1 300 collaborateurs, souhaite même accélérer son emprise sur l'immobilier. D'après Le Monde, le site Internet vient d'acheter A Vendre A Louer et Locasun, ce qui lui permet désormais d'afficher 1,3 million d'annonces immobilières, dont 50 000 concernant le neuf. L'avantage numéro 1 de cette agence 2.0, dans laquelle se rendent 98 % des Français qui ont un projet immobilier ? Les économies qu'elle permet de réaliser sur les frais d'agence, évidemment.
Les « legaltech » à l’assaut du droit
Autre réussite à la française, Doctolib, la plateforme de prise de rendez-vous médicaux, a décroché cette année le sésame qu'espère glaner toute start-up qui se lance : une valorisation financière supérieure à 1 milliard de dollars. Cette « licorne », selon le vocabulaire consacré, qui ubérise depuis 6 ans le secteur (très réglementé) de la santé, a déjà convaincu 75 000 médecins (soit 15 % des quelque 500 000 professionnels de santé) et attire dans son giron en moyenne 3 000 praticiens par mois. Doctolib a également (et surtout) convaincu les patients, puisque le site revendique plus de 30 millions de visites par mois.
Aucune licorne dans le secteur juridique tricolore, cette fois, qui commence néanmoins à voir arriver les nouvelles technologies. Doctrine, par exemple, est une plateforme qui souhaite mettre à disposition des professionnels du droit ou des simples citoyens les décisions de justice qui sont rendues chaque jour, tout en les contextualisant. La start-up, créée en 2016, se présente volontiers comme le « Google des avocats ».
Décloisonner le savoir juridique et judiciaire, le rendre accessible à tous, voilà le pari des « legaltech », qui prônent le recours aux nouvelles technologies et, plus particulièrement, à l'intelligence artificielle (IA) dans le droit. Au nombre d’entre elles également, LexDev, une start-up créée en 2016, qui grâce à un langage informatique propre, à la croisée du droit et du binaire, parvient à automatiser les documents juridiques les plus complexes. Une petite révolution, autrement dit, dans ce domaine feutré qu'est le droit, où l'automatisation n'est pas encore admise au rang des pratiques quotidiennes...
Coopérations et corporations
Le sera-t-elle un jour ? Voilà ce que se demandent, non sans une certaine crainte, les tenants des « anciennes méthodes », hostiles aux évolutions technologiques – et qui n’hésitent pas à judiciariser leur rancoeur en tentant procès sur procès à l'encontre des start-up. Est-il pourtant raisonnable de penser que ces jeunes pousses n'ont aucun avenir dans ces métiers historiques qui rechignent à l'évolution et restent campés dans la tradition ? Non, visiblement, vu l'actuel développement du marché – français et surtout mondial.
Certains, dès lors, estiment qu'il serait bien plus judicieux d'opérer, non une « paix des braves », mais bien une véritable coopération entre les deux camps, afin que naissent, pourquoi pas, des corporations de métiers. Car le risque de voir ces entreprises « disruptives » émigrer vers des territoires bien plus « tech friendly » est grand ; en septembre dernier, le géant allemand des médias Springer rachetait ainsi Meilleurs Agents, spécialiste tricolore de l'évaluation immobilière. Un camouflet pour l'économie française, pourtant évitable, n'était cette crispation contre-productive entre tradition et progrès.
C'est parce que le progrès est quant à lui inévitable, comme l'enseigne l'histoire (de l'économie entre autres), que la révolution numérique ne doit pas effrayer les acteurs établis. Mais, au contraire, les pousser à évoluer eux-mêmes. Dans la finance, par exemple, certains grands établissements bancaires, plutôt que de lancer procès sur procès, ont entrepris de racheter les start-up prometteuses (BforBank pour le Crédit Agricole, Hello Bank ! ou Compte Nickel pour BNP Paribas). Prenant ainsi le parti d'accompagner leur développement, tout en mettant un pied dans la tech.