Le trading en ligne soulève des questions concernant la valorisation des marchés

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Par Stéphane Monier Modifié le 10 février 2021 à 10h13
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@shutter - © Economie Matin
50%Certains fonds d'investissement ont annoncé des pertes de 50% à la suite de l'affaire GameStop.

Lorsqu'en janvier dernier, des investisseurs particuliers se sont réunis sur le média social Reddit pour acheter des actions dans quelques entreprises cibles de paris baissiers, les commentateurs en ont déduit que le trading en ligne pouvait faire bouger les marchés. Cet épisode a coûté des millions aux hedge funds qui vendent à découvert. Il a également suscité des questions concernant la valorisation des marchés boursiers et la générosité des banques centrales dans leurs réponses à la pandémie.

Jusqu'au mois dernier, le nom GameStop était inconnu du grand public. Sans qu'il y ait eu de changement majeur dans sa situation financière ou dans ses perspectives économiques, les actions de cette société basée au Texas ont grimpé de 19 dollars le 1er janvier à 483 dollars le 28 janvier. Au 5 février, l'action se négociait à 63,77 USD. Le titre de cette entreprise, qui distribue des jeux vidéo et remet à neuf des consoles dans plus de 5 000 enseignes physiques, est devenue une cible pour les vendeurs à découvert qui anticipaient une baisse de son cours.

La vente à découvert consiste pour l'investisseur à emprunter un titre et puis à le revendre sur le marché à un prix plus élevé que celui auquel il va ensuite le racheter au moment de le rembourser. Cette opération représente l'un des exercices les plus exigeants en matière de trading. En partie parce que les positions courtes ouvrent théoriquement la porte à des pertes illimitées si les prix augmentent. D'ailleurs, les vendeurs à découvert effectuent généralement des recherches approfondies afin d'évaluer les fondamentaux des entreprises. La vente à découvert joue également un rôle utile sur les marchés ; en pariant contre des sociétés qu'ils estiment surévaluées, les vendeurs à découvert contribuent à éliminer des faiblesses, créant de la liquidité et réduisant l'écart entre le cours du titre et les fondamentaux de l'entreprise. Pourtant, dans le cas de GameStop, les positions courtes ont représenté jusqu'à 138% de ses actions flottantes, ce qui signifie que ces titres ont été empruntés plus d'une fois dans le cadre de transactions à découvert.

Lorsque les investisseurs particuliers ont commencé à acheter les actions de treize entreprises par l'intermédiaire de courtiers en ligne tels que Robinhood.com, les cours se sont envolés. Cela a obligé les hedge funds spécialisés dans la vente à découvert à couvrir leurs positions en achetant des actions, ce qui a encore accéléré la hausse des cours.

L'action la plus échangée

Le 26 janvier, GameStop Corp. est devenue l'action américaine la plus échangée, et les courtiers en ligne ont suspendu leurs achats pour préserver les exigences réglementaires en matière de fonds propres, certains hedge funds ayant déclaré des pertes allant jusqu'à 50%. Les pertes semblaient s'être concentrées sur quelques fonds, car l'indice HFRX Equity Hedge n'a baissé que de 2,5% environ sur la semaine, en ligne avec le S&P500. Robinhood.com, qui s'est donné pour mission de « démocratiser la finance pour tous », risque des pertes si les comptes des clients subissent des dommages. Selon ses détracteurs, au lieu d'interdire les achats, le courtier aurait pu augmenter ses exigences en matière de marge, afin de rendre les opérations sur les treize actions en question plus onéreuses.

L'affaire GameStop est significative, car c'est la première fois que des investisseurs particuliers américains ont coordonné des transactions collectives via les médias sociaux. L'envergure de ces opérations, amplifiée par les achats de la part de hedge funds et autres investisseurs indiciels, leur a permis de modifier l'orientation des cours. Pour le moment, la perturbation semble s'être limitée aux États-Unis, où le recours plus fréquent au courtage en ligne gratuit, associé à des écarts plus étroits entre les cours acheteurs et vendeurs, a créé les conditions préalables pour une évolution des prix.

La semaine dernière, les autorités de surveillance se sont officiellement intéressées à cette question. Janet Yellen, secrétaire au Trésor américain et ancienne présidente de la Réserve fédérale (Fed), a réuni les responsables de la Fed, de la Securities and Exchange Commission (organisme fédéral de réglementation des marchés) et de la Commodity Futures Trading Commission (autorité de régulation des marchés des dérivés) pour tenter d'évaluer si ces transactions et ces pratiques faussaient les cours.

Trop de liquidités?

L'abondance des liquidités fournies par les banques centrales pour faire face à la pandémie de Covid-19 est-elle à l'origine de cette volatilité des cours? Nous ne le croyons pas. La liquidité des marchés financiers n'est pas la cause première de ces transactions, motivées plutôt par le haut niveau de l'épargne individuelle accumulée durant la pandémie.

Les dépenses américaines destinées à soutenir l'économie en période de pandémie sont les plus élevées du monde développé. Suite aux programmes d'achat d'actifs de la Fed, les actifs inscrits à son bilan représentent environ 40% du produit intérieur brut des États-Unis. Ce qui n'est guère excessif si l'on compare ce chiffre aux 67% de la Banque centrale européenne. A la Banque nationale suisse et à la Banque du Japon, ce ratio est même nettement supérieur à 100%.

Le risque est que le crédit bon marché crée une distribution inefficiente du capital et que les injections de liquidités par les banques centrales échouent à ruisseler dans l'économie réelle. Au lieu de cela, ces mesures soutiendraient les prix des actifs financiers et les investisseurs, exacerbant ainsi les inégalités sociales.

L'administration Biden prévoit d'augmenter les dépenses budgétaires. Si un soutien fiscal plus généreux devait créer des pressions inflationnistes au fil du temps, il paraît probable que la banque centrale pourrait l'anticiper et qu'elle disposerait d'une marge de manœuvre suffisante pour y répondre. Dans l'intervalle, des dépenses supplémentaires continueront à soutenir les actifs risqués.

Des marchés surévalués?

Les valorisations record sur les marchés boursiers sont-elles méritées ? Il est certain que des taux d'intérêt bas favorisent leur proposition de valeur relative et que les liquidités des banques centrales viennent s'ajouter aux flux financiers alloués à ces marchés. Bien qu'elles ne soient pas bon marché, les valorisations actuelles ne semblent pas non plus exagérées. Les marchés ont donc des raisons d'être optimistes.

Une fois résolus les problèmes de santé publique, nous nous attendons à ce que les économies retrouvent rapidement leur niveau d'activité pré-pandémique. Les marchés ont très rapidement intégré une reprise des bénéfices reflétant la promesse de vaccins capables de mettre fin à la pandémie.

La question est de savoir si la récente volatilité de quelques titres suffira à déclencher un déclin plus important des actifs risqués. Certes, les valeurs américaines se négocient à des niveaux qui semblent historiquement élevés. Toutefois, après un effondrement des marchés, comme en mars 2020, les valorisations semblent généralement élevées, surtout dans un environnement de faible rendement et de faible inflation. Cela rend les actifs tels que les obligations d'État et le crédit relativement peu attrayants. En outre, les valorisations sur les marchés boursiers hors États-Unis semblent nettement moins tendues et pourraient profiter de la reprise conjoncturelle. Dans l'ensemble, les investisseurs doivent s'attendre à une plus grande volatilité sur les marchés boursiers, ainsi qu'à des rendements plus modérés.

Les attentes des investisseurs concernant les bénéfices du dernier trimestre 2020 étaient modestes. Avec la saison de publication de résultats toujours en cours, quelque trois quarts des entreprises européennes et américaines ont dépassé les estimations en matière de bénéfice par action, ce qui renforce l'idée qu'une reprise économique est en voie de réalisation. Les secteurs cycliques en particulier ont réservé de bonnes surprises, avec les secteurs financiers et industriels européens, ainsi que les biens de consommation discrétionnaire, les secteurs financiers et des matières premières aux États-Unis. Cela suggère qu'il existe dans ces secteurs un potentiel de révision à la hausse des bénéfices dans le sillage de la reprise.

Les conseils d'un cireur de chaussures

Les investisseurs professionnels examinent peut-être les transactions sur GameStop en se rappelant l'histoire du père de John Fitzgerald Kennedy, Joe Kennedy qui, suite aux conseils d'investissement offerts par son cireur de chaussures, a décidé de vendre à découvert la totalité de son portefeuille actions juste à temps pour éviter le krach de Wall Street en 1929.

Près d'un siècle plus tard, il est devenu difficile de trouver un cireur de chaussures, mais chacun peut aisément échanger des tuyaux sur les médias sociaux et ensuite négocier librement en ligne. La technologie a modifié l'accès aux données en temps réel et met les outils de trading entre les mains de millions de personnes, créant ainsi les conditions propices à d'énormes changements de volumes sur les marchés financiers. Cette évolution crée un nouveau risque de volatilité pour les investisseurs en actions. Les hedge funds prendront probablement des mesures de gestion de risque supplémentaires, par exemple en tenant compte des niveaux de prise de positions courtes dans un titre.

Nous pensons qu'avec un portefeuille bien diversifié incluant des couvertures telles que l'or et le yen japonais, la volatilité des marchés offre des opportunités pour investir dans la reprise économique. Au cours des derniers mois, nous avons maintenu notre surpondération en actions et en classes d'actifs alternatives, tout en réduisant nos avoirs en liquidités et en obligations de qualité.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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