Trading Haute-Fréquence : A la recherche de la vitesse de la lumière

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Par Captain Economics Publié le 1 février 2016 à 5h00
Vitesse Lumiere Trading Etats Unis
@shutter - © Economie Matin
200 000 kilomètresGrâce à ce câble, l'information parcourt 200 000 kilomètres en une seconde.

En juin 2010, la société américaine Spread Network a inauguré un nouveau câble de fibre optique reliant Chicago au New Jersey (sur une distance de 1330 kilomètres), pour un coût total d'environ 300 millions de dollars.

L'objectif : relier les serveurs de la bourse de Chicago à ceux du NASDAQ (dans le New Jersey, à quelques kilomètres de Wall Street) en moins de 13 millisecondes aller-retour, pour permettre aux traders haute-fréquence de profiter de potentielles anomalies sur les marchés. Pour vous donner une idée, 13 millisecondes pour 2660 kilomètres (aller-retour), cela fait donc une vitesse d'environ 200.000 kilomètres par seconde : une vitesse proche de la vitesse de la lumière. Derrière cette anecdote, se cache un phénomène qui a pris une ampleur considérable depuis une vingtaine d'année : l'importance du développement des infrastructures (câbles sous-marins de fibre optique, antennes-relai micro-ondes...) et la course effrénée à la vitesse dans le monde de la finance.

Supposons qu'un investisseur souhaite vendre un actif financier X au prix de 10$ à Chicago, et qu'un autre investisseur souhaite acheter ce même actif financier au prix de 10,01$ à New York. En tant que trader, vous avez alors devant vous une opportunité d'arbitrage (une anomalie) : vous allez pouvoir acheter l'actif X à 10$ Chicago pour le revendre à 10,01$ New York, en empochant alors 0,01$ sans risque. Le problème, c'est que vous n'allez pas être le seul à essayer de profiter de cette anomalie : pour gagner, il faudra que vous soyez le plus rapide. Le plus rapide à détecter l'anomalie bien évidemment, mais aussi le plus rapide à transmettre les différents ordres d'achat et/ou de vente. La transmission d'information d'un point A à un point B répond alors à des questions "physiques" et le système utilisé à une importance cruciale.

Dans l'exemple de Spread Network, un investissement en fibre optique de 300 millions de dollars a été réalisé pour gagner 0,0000015 secondes par rapport à l'infrastructure précédente, principalement en allant "le plus droit possible" dans la montagne et sous les rivières afin de réduire la longueur du câble et accélérer la vitesse de transmission de l'information. L'image suivante, extraite de l'excellent article "Raging Bulls: How Wall Street Got Addicted to Light-Speed Trading" , montre la différence entre le câble datant des années 1980 et initialement mis en place pour la télécommunication (en rouge, passant Pittsburgh sur une distance d'environ 1000 miles) et le câble de Spread Network installé pour le trading haute-fréquence (en vert, sur une distance plus courte d'environ 825 miles).

Mais la course à la vitesse n'est pas terminée ! Plus récemment, une autre entreprise (McKay Network) a installé des antennes spécifiquement pour les traders haute-fréquence sur une vingtaine de tours entre Chicago et New York pour assurer une communication via micro-ondes et diminuer la vitesse d'un aller-retour entre les deux villes à environ 9 millisecondes (avec cependant le désavantage d'être sensible aux conditions météorologiques, une bonne tempête et le système de transmissions d'ondes dans l'air peut avoir quelques problèmes - voir aussi "The Microgeographies of Global Finance: High Frequency Trading and the Construction of Information Inequality" et "Flash Boys - A Wall Street Revolt").

Au passage, et bien que cela ne soit pas le thème de cet article, il serait intéressant de considérer la "valeur sociale" d'investissements de centaines de millions de dollars en infrastructures uniquement dans le but de gagner 0,000003 secondes dans l'exécution d'ordres financiers (et du "gâchis de capital humain"). Cette activité est créatrice de "valeur privée", que ce soit pour les entreprises réalisant les infrastructures (faisant payer l'utilisation) ou pour les traders haute-fréquence (exploitant les anomalies sur le marché), mais la "valeur globale" est cependant plus douteuse (pertes pour les "low-frequency traders" et les investisseurs "naïfs", manipulations de marchés...).

"The greatest tragedy of high-frequency trading may simply be the wasted capital, both physical and human, in the quest for arbitrage profit. The $300 million cable from Chicago to New York added no tangible societal benefit despite its price tag. Wall Street firms have accelerated their recruiting of the best academic and technological talent in the country in order to run HFT groups, often siphoning these employees from universities and productive businesses." The Rigged Market: A Review of Flash Boys , Harvard Political Review, 2014

"A well-functioning economy needs the correct allocation of talent. The last thing we need is for the next Steve Jobs to forgo Silicon Valley in order to join the high-frequency traders on Wall Street. That is, we shouldn't be concerned about the next Steve Jobs striking it rich, but we want to make sure he strikes it rich in a socially productive way." "Defending the One Percent", Greg Mankiw, Journal of Economic Perspectives, 2013

Bref, retournons à nos infrastructures. Il y a une vingtaine d'années, la place financière de Zurich (Suisse) se situait presque au même niveau que Singapour en ce qui concerne le volume de transactions sur le marché des changes. Désormais, le montant des transactions est presque deux fois supérieurs à Singapour. Pourquoi ? Dans un article très récent, Eichengreen & al., (source : "Cables, Sharks and Servers: Technology and the Geography of the Foreign Exchange Market", 2016, NBER) mettent en avant la géographie comme l'un des facteurs explicatifs de la montée en puissance de Singapour (et de Londres et de Tokyo) par rapport à Zurich. Mais quel est le point commun entre le Japon, le Royaume-Uni et Singapour ? Et bien ce sont ... des îles ; tandis que la Suisse est un pays enclavé, n'ayant pas d'ouverture sur la mer. Etant donné qu'il est beaucoup plus facile (et moins coûteux) de mettre en place un système de câbles sous-marins qu'un système terrestre (enfouissement des câbles et autres contraintes), Zurich a eu du mal à s'imposer face à Singapour en tant que place financière offshore sur le marchés des changes.

"Submarine fiber-optic cables have formed the backbone of the internet for almost three decades. They have given a competitive advantage to financial centers bordered by the sea, like Singapore, over centers located in landlocked countries, like Zurich. […] Digging trenches, tunneling through natural obstacles and obtaining transit rights from property owners are costly and difficult (as colorfully recounted by Lewis 2014) – more costly and difficult than laying cables on the seabed." - Eichengreen & al., 2016

En analysant l'effet de la mise en place d'infrastructures de câbles sous-marins reliant différentes zones géographiques (le premier câble ayant été inauguré en 1988, reliant New York à Paris, et financé par AT&T, France Télécom et British Télécom... voir : "Submarine Cable Map" ), les auteurs du MIT et de la BCE confirment que le monde est devenu "Flashier", c'est à dire que la vitesse joue un rôle de plus en plus important et que l'analyse des infrastructures permet d'expliquer (en partie) le développement des différentes places financières dans le monde.

Conclusion : Dans un monde où le coût des infrastructures technologiques diminue très fortement dans le temps (loi de Moore), il aurait été possible d'imaginer une plus faible concentration géographique des activités financières avec la diminution des coûts fixes ("flatter world"). Mais en réalité, le système financier devient au contraire "flashier" ! La vitesse d'exécution est devenu la clé ... Pour un gain privé très clair (et à la rigueur un effet positif sur la liquidité des marchés...), mais avec une "valeur sociale globale" clairement plus discutable.

Article publié sur le site de Captain Economics

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Doctorant en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et professeur d'économie à l'IESEG Paris, Thomas Renault est le créateur du site Captain Economics, un blog ayant pour but de démystifier l'économie, en abordant cela sans prise de tête ni prise de parti.  

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