La France est-elle réellement la « bombe à retardement » décrite par « The Economist » ?

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Par Captain Economics Modifié le 16 novembre 2012 à 15h12

L'influent journal libéral anglais "The Economist" consacre cette semaine sa Une et un dossier spécial de 14 pages à la situation économique française. "Ah sympa ces anglais, toujours prêt à saluer nos avancées récentes en termes de compétitivité, le chiffre de croissance du troisième trimestre supérieur aux attentes et notre magnifique victoire en match amical contre l'Italie"... Euh non, pas vraiment ! Le titre est évocateur : "Une bombe à retardement au coeur de l'Europe". Ajoutez à cela l'image et vous avez vite compris que la France n'allait pas être encensée pendant 14 pages .

Avant de rentrer dans le fond du sujet, il faut tout de même savoir que "The Economist" n'en est pas à son coup d'essai en ce qui concerne le buzz provocateur. Juste avant les élections, le journal anglais avait consacré deux "Unes" aux élections françaises : la première avec comme titre "France in denial" (La France dans le déni) et la seconde "The rather dangerous Monsieur Hollande" (Le plutôt dangereux Monsieur Hollande). Mais ne vous inquiétez pas, nous ne sommes pas dans une simple rivalité franco-anglaise... Tout le monde en prend pour son grade ! La preuve en image.

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Mais que raconte donc ce dossier spécial sur la France, et quels sont les arguments permettant d'affirmer que la France est une bombe à retardement pour l'Europe ? Comme bien souvent avec The Economist, qui, selon Monsieur Montebourg, est "le Charlie Hebdo de la City" (merci Arnaud !), mis à part les Unes qui sont clairement caricaturales (pour faire vendre du papier), les articles sont de bonnes factures, (orientés politiquement à droite) et les critiques se révèlent bien souvent, avec du recul, particulièrement bien-fondées. Le journal se vante d'ailleurs du fait que le dernier dossier spécial de 14 pages consacré à un pays européen était celui de juin 2011 sur Silvio Berlusconi et la l'Italie ; quelques mois seulement après, la situation italienne s'envenimait, les taux d'intérêt s'envolaient et Silvio Berlusconi était contraint de démissionner.

Voici un petit extrait du dossier sur l'Italie de l'époque : "Many things contribute to these gloomy figures. Italy has become a place that is ill at ease in the world, scared of globalisation and immigration. It has chosen a set of policies that discriminate heavily in favour of the old and against the young. Combined with an aversion to meritocracy, this is driving large numbers of talented young Italians abroad. In addition, Italy has failed to renew its institutions and suffers from debilitating conflicts of interest in the judiciary, politics, the media and business. [...] It is time for Italy to stop blaming the dead for its difficulties, to wake up and have a shot of that delectable coffee it makes." (source : "Oh for a new risorgimento")

Un extrait du Special Report de cette semaine est disponible sur le site de The Economist ("So much to do, so little time"). La conclusion sur le cas français ressemble à celle sur le cas italien au temps de Berlusconi "Unless Mr Hollande shows that he is genuinely committed to changing the path his country has been on for the past 30 years, France will lose the faith of investors—and of Germany. As several euro-zone countries have found, sentiment in the markets can shift quickly. The crisis could hit as early as next year." Espérons, de droite comme de gauche, que The Economist n'ait pas une seconde fois raison !

Mais quels sont donc les arguments pour justifier cela ? Et bien finalement, rien de bien nouveau. C'est l'analyse classique, avec une vision libérale, de la situation économique française depuis plusieurs années. C'est à dire celle d'un pays ayant pourtant d'innombrables ressources (tourisme, investissement étrangers, grandes multinationales, bonnes infrastructures, grandes écoles, bonne démographie...) mais qui n'accepte pas le changement et qui s'enlise petit à petit dans une situation qui devient insoutenable. L'idée d'un pays vieillissant, se reposant sur ses acquis (un exemple flagrant est le fait qu'aucune entreprise nouvellement créée n'ait intégré le CAC40 depuis 1987, contrairement à la situation américaine avec Google, Facebook...), avec un marché trop régulé (taxis, pharmacies...), des dépenses publiques trop importantes, et l'omniprésence de l'Etat occupant une place bien loin de ses fonctions régaliennes.

Vous avez sûrement entendu cela 10.000 fois, et même si vous ne partagez pas toutes les idées ci-dessus, j'espère que vous admettez au moins une chose : il faut accepter le changement ! Stéphane Hessel, l'auteur du célèbre livre "Indignez-vous", a lui-même déclaré "nos sociétés doivent choisir : "la métamorphose ou la mort". Cela ne veut pas dire qu'il faille remettre en cause tous les acquis sociaux ou abandonner totalement notre fameux modèle social français. Ni d'ailleurs qu'il faille nécessairement suivre un schéma de libéralisation de l'économie à tout prix. Mais il faut simplement accepter le changement, sans opposition idéologique stérile, et en tentant d'instaurer un vrai dialogue entre les partenaires sociaux, loin du "les patrons tous des pourris, les politiciens tous des vendus, les ouvriers tous des grévistes, les fonctionnaires tous des incapables" ("belle phrase à deux balles de politicien ça Captain' ") !

Nous allons, il est vrai, devoir indirectement payer pour les largesses passées des différents gouvernements depuis 1981 ! C'est bien dommage, mais lorsque l'on vit au-dessus de ses moyens durant de nombreuses années, il faut bien un jour passer par une période inverse de rattrapage ou de "retour à la moyenne". Il est toujours possible d'accuser les banques, l'article 123 du traité de Lisbonne, l'euro, la non-optimalité de la zone, la Chine, le capitalisme... Et il y a sûrement aussi du boulot de ce côté là ! Mais le vrai problème de la crise est selon moi beaucoup plus simple ; notre société est immobile et refuse quasi idéologiquement la métamorphose, face à des pays émergents ultra-dynamiques, en pleine mutation, et qui s'adaptent beaucoup plus rapidement pour répondre aux enjeux de la mondialisation.

Conclusion: "Il faut donner du temps au temps" disait François Mitterrand. Malheureusement, ce vieil adage ne sera pas possible pour François Hollande, qui se doit d'agir vite (et bien). Pour résoudre un problème comme celui de la France, il faut tout d'abord (1) ne pas être dans le déni et avouer qu'il existe effectivement un problème et (2) étudier les causes du problème et avoir un "business plan" cohérent pouvant donner de la stabilité et de la visibilité à moyen terme (disons jusqu'en 2017) pour les différents acteurs de l'économie. Arrêtons de changer de cap tous les trois mois et de justifier cela par "oh c'est la crise, c'est pas de notre faute". Nous avons, je pense, passé la 1ère étape, et l'on peut voir depuis quelques jours une légère amélioration en ce qui concerne la seconde étape. Mais nous sommes encore assez loin du compte... Français, le changement la métamorphose, c'est maintenant !

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Doctorant en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et professeur d'économie à l'IESEG Paris, Thomas Renault est le créateur du site Captain Economics, un blog ayant pour but de démystifier l'économie, en abordant cela sans prise de tête ni prise de parti.  

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