Faut-il supprimer les communes ?

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Par Pascal de Lima Publié le 15 avril 2014 à 2h03

La simplification du millefeuille territorial est de ces réformes dont tous les observateurs reconnaissent la nécessité mais dont aucun ne s’accorde sur la méthode à employer pour les mettre en œuvre.

D’ailleurs, il semble que toutes les tentatives pour progressivement supprimer des strates ont été détournées de leur objectif et ont finalement contribué à complexifier l’enchevêtrement des échelons administratifs et de leurs compétences. Citons les exemples de la création des communautés de communes, crées par la loi Pasqua de février 1992 ou des communautés d’agglomération advenues par la loi Chevènement de juillet 1999. Ce type de mesures sous-entend généralement un objectif de long-terme de diminuer le nombre de communes par leur agrégation progressive en structure plus importante. Cette idée de l’intercommunalité repose sur l’interdépendance objective des villes dans bien des domaines comme l’organisation des transports, l’aménagement du territoire ou encore la dynamisation des économies locales. D’un point de vue purement économique, l’objectif est louable car il permet de gagner en efficacité et de faire des économies d’échelle. Mais dans ce cas précis, au lieu de supprimer une strate, de clarifier les partages de compétences et de réduire ce fameux millefeuille, nous avons fait exactement l’inverse. Et les fonctionnaires se sont multipliés dans les bureaux des administrations locales pour inlassablement faire et refaire le travail déjà fait par l’administration voisine qui lui dispute la même compétence. Cette méthode kafkaïenne d’organisation des administrations locales pourrait faire sourire si elle ne conduisait pas à l’explosion des prélèvements sur les français qui paient toujours plus pour un système qui emploient aujourd’hui plus de 5.5 millions de fonctionnaires territoriaux. De quoi donner le tournis à un allemand qui constaterait que si dans son pays, 50 fonctionnaires territoriaux suffisent pour 1000 habitants, il est nécessaire en France d’en avoir près du double, 90, pour un résultat plus confus.

Mais il en est de même à propos du nombre de nos élus. L’ifrap fait remarquer que la France compte 618 384 élus contre 24 202 au Royaume-Uni, c’est-à-dire un élu pour 104 Français contre un élu pour 2 603 britanniques. La plupart de ces élus français sont conseillers municipaux, ou du moins élus locaux. D’ailleurs, la plupart de ces élus locaux sont d’un grand dévouement et d’une grande compétence et malgré cela, ils sont faiblement indemnisés pour leur action en faveur de la collectivité. Au-delà de la charge financière qu’ils représentent malgré tout, un problème démocratique se pose. En effet, face à une telle cohorte d’élus, on peut s’interroger sur le fait de savoir si l’électeur a les moyens effectifs de suivre et juger l’action des personnages qu’il a élu aux conseils municipaux, communautaires, généraux et régionaux en plus des parlementaires et évidemment du Président de la République. D’ailleurs les compétences respectives de ces différents acteurs locaux se chevauchent parfois, ce qui rend d’autant plus difficile l’évaluation objective de leur action.

Cela signifie-t-il pour autant qu’il faille supprimer les départements comme les commentateurs le répètent souvent, ou les communes, comme ils le proposent parfois, ou encore qu’il faille diviser le nombre de régions par deux comme le propose Manuel Valls ?

Rien n’est moins sûr. Certes, les économies en frais de fonctionnement seraient importantes, bien sûr le contrôle des citoyens sur les élus restants serait plus efficace. Mais il est étonnant que les orientations actuellement préconisées plaident pour la suppression des échelons les plus historiquement ancrés ; les communes et les départements, et le maintien des nouveaux venus ; les communautés de communes et les régions.

Pourtant les communes et les départements sont des héritages de la Révolution Française. Le décret du 11 novembre 1789 a en effet rationalisé les structures administratives françaises en définissant une forme aboutie, notamment, des communes et des départements. Chacune des deux structures suscitera l’adhésion progressive des Français. Les premières correspondent plus ou moins aux paroisses religieuses de l’Ancien Régime, auxquelles les habitants s’identifiaient déjà fortement, tandis que les seconds sont identifiés et nommés selon des critères purement géographiques afin d’en finir avec les provinces d’Ancien Régime, correspondant davantage à des régions culturelles. La pensée jacobine compte ainsi faire émerger une Nation de cet "agrégat inconstitué de peuples désunis" selon la formule de Mirabeau. Les jacobins remportèrent ce pari fou et aujourd’hui, la grande majorité des Français reste attaché à son département.

Ne serait-ce pas hasardeux de brusquer les Français, historiquement attachés au clocher de leur commune, en s’attaquant à ces échelons particuliers, objectivement constitutifs de l’enracinement personnel et familial de chacun ? Alors que dans le même temps, bien rares seront les français se réclamant du Centre ou des Pays de la Loire. Ces régions sont nées seulement en 1955, et il est difficile d’affirmer qu’elles se sont ancrées dans l’imaginaire collectif de leurs administrés.

Il serait hasardeux également de redécouper les régions en fonction de critères culturels. Le spectre du régionalisme et de l’indépendantisme régional n’en demanderait pas plus pour reprendre de la vigueur. Or, ce danger n’est pas à prendre à la légère dans une Europe en phase de potentiel morcellement du fait des volontés d’indépendance catalane en Espagne, vénitienne en Italie, flamande en Belgique et écossaise au Royaume-Uni. Le département, du fait de son inspiration jacobine, a le mérite d’avoir été efficacement conçu pour ne pas créer une identité locale qui serait en confrontation avec l’identité nationale. Ce n’est malheureusement pas le cas de la région. Si la réduction du nombre de régions peut être considérée comme une bonne décision de la part du gouvernement, elle devra se faire sur des critères de cohérence économique et géographique afin qu’elle ne constitue pas une menace pour le caractère un et indivisible de la France. Par exemple, plutôt que de réunifier la Normandie et d’intégrer la Loire Atlantique à la région Bretagne, pourquoi ne pas créer un grand espace Nord-Ouest regroupant l’actuelle Bretagne et la Basse Normandie, tandis que la Haute Normandie rejoindrait un espace Nord et les Pays de la Loire un espace Ouest ?

Se posera alors le problème de la distance entre l’élu et le terrain. Supprimer la commune ou le département au profit de la communauté de commune et de la région, ce serait perdre en proximité et ce serait malheureux étant donné que le maire reste l’élu le plus apprécié et estimé par les français, notamment parce qu’ils le sentent proche d’eux.

La solution serait peut-être de se borner à réorganiser les services administratifs de ces strates, à clairement redéfinir et judicieusement répartir leurs différentes compétences, remettre à plat les affectations des fonctionnaires territoriaux pour plus d’efficacité et enfin réduire le nombre de région certes, mais en se gardant bien de réveiller les régionalismes. En somme, sur ce dossier pourquoi ne troquerions-nous pas les spectaculaires mais dangereuses révolutions territoriales annoncées de plus discrètes mais aussi plus sages et peut être plus efficaces réformes de notre mille-feuille ?

Avec Gwenaël le Sausse.

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Chef économiste, Economiste de l'innovation, knowledge manager des cabinets de conseil en management (20 ans). Essayiste et conférencier français spécialiste de prospective économique, mon travail, fondé sur une veille et une réflexion prospective, porte notamment sur l'exploration des innovations, sur leurs impacts en termes sociétaux, environnementaux et socio-économiques. Responsable de l'offre "FUTURA : Impacts des innovations sur les métiers de demain". Vision, Leadership, Remote of Work, Digital as Platforms...secteurs Banque Finance Assurance, PME TPE, Industrie et Sport du Futur. Après 14 années dans les milieux du conseil en management et systèmes d’information (Consultant et Knowledge manager auprès de Ernst & Young, Cap Gemini, Chef Economiste-KM auprès d'Altran - dont un an auprès d'Arthur D. Little...), je fonde Economic Cell en 2013, laboratoire d’observation des innovations et des marchés. En 2017, je deviens en parallèle Chef Economiste d'Harwell Management. En 2022, je deviens Chef économiste de CGI et Directeur de CGI Business Consulting. Intervenant en économie de l'innovation à Aivancity, Sciences po Paris, ESSEC, HEC, UP13, Telecom-Paris... et Conférenciers dans le secteur privé, DRH, Directions Métiers... J'ai publié plus de 300 tribunes économiques dans toute la presse nationale, 8 livres, 6 articles scientifiques dans des revues classées CNRS et j'interviens régulièrement dans les médias français et internationaux. Publication récente aux éditions FORBES de « Capitalisme et Technologie : les liaisons dangereuses – Vers les métiers de demain ». Livre en cours : "La fin du travail" Site personnel : www.pascal-de-lima.com

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