Le terme de plein emploi à 5% est-il une mystification ou un non-sens ?

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Par Daniel Moinier Publié le 9 mai 2019 à 5h41
Emploi Intention Embauche 2
@shutter - © Economie Matin

C’est la deuxième fois que j’interviens sur ces termes qui m’irritent au plus haut point quand on a connu avec les 30 glorieuses, une France pour ainsi dire sans chômage.

Lors d’une interview sur RTL, Madame Nathalie JANSON (1) a repris la déclaration d’Emmanuel Macron : nous allons atteindre 7% de chômage en 2022 et le plein emploi en 2025. En ajoutant, cet objectif est-il réellement atteignable ? Attention cet objectif de plein emploi en 2025 ne signifie pas 0% mais plutôt 5% sur tout le territoire. Cela me semble très « ambitieux », avoue l'économiste en rappelant une promesse similaire faite par François Hollande.

Alors un plein emploi avec 5% de chômage, qui a pu inventer une pareille ineptie ? Demandez aux 5% de chômeurs s’ils ne sont pas au chômage ! Ils représenteraient encore 1.825.000 pour la seule catégorie A et 3.800.000 pour les 5 catégories (A B C D E) !

C’est l’économiste britannique Arthur Cecile PIGOU qui a pour la première fois, employé ce terme même si sa valeur n’a rien à voir avec la notion que l’on en a aujourd’hui :

« Le plein-emploi, existe toujours, ce terme étant interprété au sens large comme l’emploi de tous les gens désireux d’être salariés, moins ceux qui sont empêchés de l’être, en raison d’une insuffisante mobilité, et autres frictions semblables ».

C’est ensuite dans les années 1930, que Keynes le définit plus clairement. Avec lui émerge l’idée que le plein emploi n’a du sens que dans une société essentiellement salariale, et qu’à la condition que soit théoriquement reconnue la possibilité du chômage involontaire.

Ce terme de plein emploi n’a véritablement été repris que fin des années 1990 mais surtout avec le rapport de Jean Pisani-Ferry, associé de Jean-Paul Fitoussi et Olivier Blanchard, intitulé « Croissance et chômage » demandé par Lionel Jospin premier ministre, dans le cadre du CAE. (Conseil d’Analyse Economique créé en 1997).

Le rapport avait été structuré en 3 grandes parties (Cadrage, Analyses, Orientations) et 5 chapitres (« Une rupture bienvenue » ; « Qu’est-ce que le plein emploi ? » « Enjeux macroéconomiques » ; « Marché du travail et retour au plein emploi » ; « Pour le plein emploi »). La dernière partie constitue une synthèse de l’ensemble du rapport. Il s’est efforcé de définir la notion de plein emploi dans les sociétés contemporaines avant d’en analyser sa portée économique et sociale. Une deuxième partie analytique, porte sur les questions macroéconomiques (conditions d’une croissance forte et durable dans le contexte de l’euro, chômage structurel) et sur le marché du travail (notamment, l’inactivité, l’équilibre entre offre et demande de travail pour les différentes qualifications, et le fonctionnement du marché du travail).

Sa conclusion favorite se résume dans cette phrase : « Le plein emploi n’est ni un rêve ni un slogan. C’est un projet. (…) La société du travail reste notre horizon, le plein emploi est son contrat fondateur ».

C’est principalement lui qui a parlé de « chômage structurel », définissant ainsi le terme de plein emploi qui serait bien la partie du chômage dite incompressible.

Tableau du chômage en France de 1968 à fin 2018 par tranche d’âge.

Sur ce deuxième tableau de courbe du chômage, il est possible de constater qu’en 2000/2001, date de mise en place des 35 heures, le chômage a augmenté jusqu’en 2006. C’est encore plus flagrant pour le chômage des jeunes (tableau ci-dessus)

La France quant à elle aurait un régime à part pour l’OCDE ! Elle serait en situation de plein emploi avec 7 % de chômage ? (Contre 8,6 % au premier trimestre 2019, au sens du Bureau international du travail). Pour l’OIT (Organisation internationale du travail), le niveau de plein-emploi est en général estimé à un de taux de chômage inférieur à 5 %, conditions que remplissent 13 pays d’Europe début 2019 qui sont : la République Tchèque 2,1%, l’Allemagne 3,2%, les Pays-Bas et la Hongrie 3,6%, la Pologne 3,7%, Malte 3,8%, la Roumanie 3,9%, le Royaume-Uni 4%, l’Estonie 4,2%, l’Autriche et la Bulgarie 4,8%, le Luxembourg 4,9% et le Danemark 5%.

Voir le tableau ci-dessous des taux de chômage en Europe à fin 2018. La France est 25ème sur 28 ! Seuls 3 pays font moins bien : La Grèce, l’Espagne et l’Italie.

Depuis deux ans, la France crée des emplois

Aujourd’hui, beaucoup d’économistes estiment que le plein emploi est un objectif à atteindre pour les gouvernements. Mais pour Nathalie Janson : "Le plein emploi se définit par rapport au niveau incompressible en-dessous duquel le chômage ne peut pas baisser, c'est-à-dire que même s'il y a une très forte croissance, ce chômage ne baisserait pas".

La dernière fois que le taux de chômage était de 7% en France, c'était en 1983, juste avant le tournant de la rigueur du premier septennat de François Mitterrand.

Depuis deux ans, la France a créé à nouveau des emplois dont une grande part d’emplois industriels, mais elle est encore très loin des objectifs qui viennent d’être définis. Rien que pour atteindre les 7%, il faudrait diminuer le nombre de chômeur de 750.000 !

Alors pourquoi avoir sorti « du chapeau » ce terme de plein emploi, mais aussi les termes de structurel, conjoncturel et même frictionnel ?

Le chômage prenant des proportions de plus en plus importantes, les gouvernants sentant le poids électoral que cela allait représenter, ont commencé à détricoter le taux en en créant jusqu’à huit, en 2019 cinq. Puis n’arrivant plus à le faire baisser, ils ont commencé à ressentir qu’il devait exister un seuil où ils ne pourraient plus agir, y compris avec des moyens financiers et structurels importants.

Mais pourquoi ce seuil, alors qu’après-guerre, il n’existait pas ? C’est seulement le 13 juillet 1967 que l’ANPE a été créée, le chômage commençant à atteindre les 1%. Le plus bas taux après 1945/49 a été en 1963. Avant l’ANPE (ancêtre de Pôle Emploi), il n’existait que les bourses du travail (Créées en 1892) pour gérer et contrôler l’entre deux emplois.

En 1968, Georges Pompidou « estimait à ce moment-là que si l’on dépassait les 400.000 chômeurs ce serait l’explosion ! La France est prospère, certes, mais elle doit lutter contre une inflation inquiétante. Inférieur à 2% de la population active, le chômage s'est brutalement accru au cours des premiers mois de l'année 1968 ».

Ce qui a certainement contribué au chômage dit structurel, c’est la progression constante des aides sociales : paiement du chômage, création du RMI, puis RSA et aussi toutes les mutations industrielles qui obligeaient les salariés devenus chômeurs à devenir mobiles sous peine de rester au chômage. C’était encore plus criant dans les campagnes où les emplois étaient très localisés.

Autre critère amplifiant, la fidélité à la même entreprise. Comment une personne licenciée à 50/55 ans après 30/35 ans de travail au même endroit et souvent dans le même poste, puisse mentalement, familialement, prendre un emploi éloigné, voire déménager !

Pour réduire le chômage, la seule solution c’est la création d’emplois. Mais comment créer suffisamment d’emplois : Donner du pouvoir d’achat supplémentaire aux salariés sans mettre en péril les entreprises : Seule solution : Augmenter les temps de travail et d’activité. La productivité globale serait boostée, les marges des entreprises seraient augmentées, les déficits de l’état diminués et même passant aux excédents, et cela dans un délai relativement court.

Un seul exemple de hausse : une personne au Smic à 40 heures gagnerait 210 euros de plus par mois.

Les délais du Président dits ambitieux, pourraient même être facilement atteints et même réduits.

(1) Nathalie Janson, Professeur Associé d'Economie chez Neoma Business School. Doctorat en Economie à l'Université Paris I-La Sorbonne.

www.danielmoinier.com

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Daniel Moinier a travaillé 11 années chez Pechiney International, 16 années en recrutement chez BIS en France et Belgique, puis 28 ans comme chasseur de têtes, dont 17 années à son compte, au sein de son Cabinet D.M.C. Il est aussi l'auteur de six ouvrages, dont "En finir avec ce chômage", "La Crise, une Chance pour la Croissance et le Pouvoir d'achat", "L'Europe et surtout la France, malades de leurs "Vieux"". Et le dernier “Pourquoi la France est en déficit depuis 1975, Analyse-Solutions” chez Edilivre.

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