Concurrence : le taxi prend du retard

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Par Pierre Peyrard et Mohammed Bahtiti Publié le 13 février 2014 à 15h40

Lundi 10 Février, les chauffeurs de taxi parisiens ont convergé vers le centre de la Capitale pour manifester leur colère. Nous voilà donc revenus six ans en arrière au point culminant d’une forte mobilisation contre le rapport ATTALI, alors qu’un nouveau conflit majeur s’annonce. Mais au fond, pourquoi ces conflits se multiplient-ils depuis un an, quelles sont les causes profondes du malaise des chauffeurs, comment est-on arrivé à nouveau à un tel blocus ?

J’ai voulu partager mon blog avec une figure du métier, Mohammed BAHTITI, seul et unique chauffeur de taxi qui a osé défier la toute puissante SNGT (Société Nationale Groupement de Taxi) qui exploite un central radio taxi bien connu des parisiens, après huit longues années de procédures jusqu’en Cour de Cassation.

J’avais évoqué dans un précédent billet, son « affaire » tentant d’expliquer les raisons objectives d’une pénurie organisée de chauffeurs de taxi à Paris.

J’affirme ici, que c’est cette « pénurie organisée » depuis trop longtemps qui a été le principal outil marketing fondateur du développement fulgurant des VTC ces deux dernières années !

A Mohammed désormais de vous décrire en détail les fondements de cette pénurie dont pâtissent tout autant les clients que les chauffeurs, dont beaucoup souffrent du syndrome de Stockholm.

Le témoignage de Mohammed Bahtiti :

"J’ai été chauffeur de taxi pendant dix ans. J’ai également siégé en tant que chauffeur à la commission de concertation de la SNGT, membre élu de la commission du taxi. Actuellement je suis à la retraite néanmoins je reste actif et j’essaie, avec mes modestes moyens (et grâce à mon expérience), d’apporter une solution au mal qui gangrène ce noble métier, afin de pouvoir à nouveau servir le client efficacement.

Il n’y a pas si longtemps les gares, aéroports et stations de taxi regorgeaient de véhicules surtout le matin aux heures de pointe ou le soir à la fermeture des bureaux. Pourtant, nous servions les clients avec un nombre de taxis inférieur à celui d’aujourd’hui.
Et on pourra toujours ajouter vingt mille taxis supplémentaires à Paris, le problème demeurera le même. Mais pourquoi donc ?"

Que s’est-il passé entre hier et aujourd’hui ?

Je le dis sans détour :

Le développement de certains centraux radio sur la place parisienne n’a pas été bénéfique ni pour le métier, ni pour le client. Bien au contraire.

Ce sont pour la plupart, les centraux radio qui sont à l’origine de la désorganisation et du manque des taxis dans Paris. Vous devez savoir si vous ne le saviez pas déjà que plus d’un taxi sur deux sur les 18 000 taxis parisiens est géré par un trust rassemblant les deux plus grands centraux liés au plan capitalistique.

L’organisation de la pénurie

Un vieil adage populaire nous enseigne que « tout ce qui est rare, est cher ». Dans l’intérêt financier du trust, il faut donc maintenir un parc de véhicules à tout moment disponibles pour satisfaire une clientèle privilégiée, prête à payer avec un code abonné une « disponibilité garantie » au détriment de la régulation de l’offre et de la demande pour la satisfaction du plus grand nombre.

Cette organisation stratégique au plan commercial visant à assurer avant tout la rentabilité des capitaux investis, s’appuie sur la cohorte des bons petits soldats chauffeurs candidats à la radio :

Après avoir patienté sur une longue liste d’attente, les chauffeurs stagiaires sélectionnés, apprendront la manipulation du matériel embarqué, mais seront également conditonnés, formatés à la politique commerciale de leur futur « fournisseur »  :

- Obligation de servir la clientèle du central en priorité sur celle de la rue ;

- Evitement de toutes les stations de taxi « canalisées » (celles dont on ne peut pas déboiter aisément lorsqu’on est engagé dans la file de taxis) ;

- Obligation d’accepter toutes les courses du central radio pour avoir un meilleur rendement et servir l’objectif de fidélisation et de conquête d’un maximum de clients du central (et non pas du chauffeur de taxi)

- Interdiction de disposer de tout autre moyen pour prendre des courses dont aujourd’hui notamment les applications smartphone pour les chauffeurs

- Interdiction de faire la publicité sur les véhicules ou dans les véhicules de tout autre moyen pour prendre des courses… dont notamment les applications smartphone pour les chauffeurs.

Tout manquement à ces principes sera sanctionné par une commission de discipline interne, créant de fait un « lien de subordination ». Dois-je vous rappeler à ce stade de la démonstration que nous, chauffeurs de taxi sommes des « clients » de ces centraux radio ?

Les centraux radio distribuent toutes les dix minutes les réservations des clients aux taxis. Cette distribution de courses mobilise entre 1000 et 1500 taxis maximum en temps réel répartis sur Paris et la petite couronne, car les 18 000 taxis parisiens ne tournent pas tous en même temps en région parisienne. Comme évoqué plus haut, ces taxis sont stationnés vides en dehors des stations de taxis dans l’attente d’une réservation en sachant que le montant d’une approche varie entre 12 € et 15 € selon l’heure, la distance et l’embouteillage.

Ce nombre de taxis stationnés sans client c’est exactement le nombre de taxis qu’il manque pour parer au déficit de taxis aux heures de pointe ! L’argument des embouteillages utilisé souvent pour expliquer la situation, n’est que l’arbre qui cache la forêt. Car justement, puisqu’il est difficile de rouler aux heures de pointe, raison de plus pour rendre plus disponible les taxis à l’immédiate proximité des clients, et non pas entretenir artificiellement leur rareté !


Tout ce qui est rare est cher…

Le manque de taxi ne sert donc… .que les intérêts des centraux radio.

Monsieur « X » ou Madame « Y » qui est à la recherche d’un taxi dans la rue, mais ne le trouve pas appellera donc un central radio, bien souvent sur un numéro surtaxé, dont la publicité est assurée…. par la signalétique apposée sur les vitres des véhicules des chauffeurs.

Le client ou la cliente doit payer cinq euros sans avoir la certitude d’avoir un véhicule.

L’opérateur du central, ou le commercial s’il s’agit d’une entreprise lui conseillera pour la prochaine fois qu’il vaudra mieux être abonné, avec des formules de plus en plus chères pour être de plus en plus « prioritaire » à la commande. Voilà pourquoi vous payez si cher votre taxi !

De l’autre côté, le taxi qui stationne en attente de clientèle en heure creuse, voit ses collègues taxis radio en charge bien plus souvent que lui et gamberge… Il finira par se convaincre qu’il a besoin d’arrondir ses fins de mois en souscrivant un abonnement auprès d’un des centraux…

Stratégie gagnante : en sept ans les centraux ont doublé leur clientèle abonnée ainsi que les chauffeurs de taxi, laissant aux autres l’amertume d’une exposition accrue à la paupérisation…

Voilà donc l’origine de ma révolte, nourrissant mon combat que je prolonge aujourd’hui pendant ma retraite.

Ce combat, je l’ai mené contre ceux qui organisent le marché à leur seul profit depuis huit ans dans l’intérêt du taxi mais aussi celui du client.

Un de mes amis a coutume de dire : « Le central radio nous pique les clients de la rue pour mieux nous les revendre plus cher à travers l’équipement du terminal dans le véhicule». La démonstration est faite à travers ce témoignage que je vous livre ici sur cet espace d’expression libre, loin des pressions, loin de l’omerta qui prévaut dans le « milieu ».

Mon contrat commercial avec mon ex-fournisseur a été désormais requalifié par la Cour de Cassation (arrêt du 30 / 11 / 2011 Bahtiti contre la SNGT) en contrat de travail.

Pierre Peyrard n’est pas un taxi mais un défenseur acharné de ce métier à lire son blog depuis quelques temps je m’en aperçois. Certes il défend ses propres intérêts en tant qu’entrepreneur éditeur d’un système de commande et de réservation de taxi par internet et sur smartphone. Mais si nos idées divergent parfois, je reconnais que son analyse du métier et la mienne nous rapprochent sur beaucoup de points dans un même élan :

Redorer le blason de ce noble métier, au service des clients et dans le respect des chauffeurs.»


La question épineuse de la « licence de taxi »

Beaucoup vous expliqueront que les chauffeurs de taxi dénoncent la concurrence déloyale des VTC (Véhicule de Tourisme avec Chauffeur) désormais accessibles d’une simple pression à l’écran d’un smartphone. Ils invoqueront la fulgurance du progrès technologique conjuguée à l’iniquité des conditions d’exploitation avec lesquelles ces entreprises ne disposant pas d’une autorisation administrative de stationnement proposent leurs services à la clientèle.

Certes les charges ne sont pas les mêmes côté taxi, mais la clientèle n’est pas assurée côté VTC, il faut la conquérir, la fidéliser et ne jamais espérer revendre une licence plus chère au terme de son activité que ce qu’on ne l’a acquise, pour espérer réaliser une belle opération financière à l’âge de la retraite.

Sur le principe sans même parler de concurrence déloyale est-il sain de revendre toujours plus cher « son droit à travailler » à un jeune qui démarre ? N’y a-t-il pas une limite à ce système ? Aujourd’hui le marché de la licence est bloqué à Paris, nous y sommes. Pourquoi ?

La décentralisation de la commande du véhicule

Sept ans après la géniale invention de Steve Jobs, à l’ère du smartphone géolocalisé, les chauffeurs de taxi doivent comprendre qu’avec la révolution numérique mobile, une nouvelle ère s’annonce partout sur la planète : celle de la décentralisation de la commande d’un véhicule pour le transporter.

Les éditeurs d’application ont rendu le pouvoir au client. C’est donc désormais le client « qui commande » dans tous les sens du terme. C’est lui qui choisit, parmi l’offre qu’on lui propose, c’est lui qui diffuse auprès de son entourage son retour d’expérience, bon comme mauvais sur les réseaux sociaux amplifiant les recommandations, ou les critiques sévères…

Ce qui a donc changé en sept ans à peine, c’est à la fois la transformation du statut de l’ex-grande remise en VTC, la création du statut d’auto-entrepreneur, la propagation massive d’un outil propriétaire de commande que chacun peut avoir dans sa poche côté client, et la diffusion massive de la parole des clients sur internet via les réseaux sociaux. Qu’en est-il des taxis ?

Pouvoir au client, liberté au chauffeur ?

Les chauffeurs de taxi disposent désormais avec les applications smartphone qui leur sont proposées d’un formidable outil. Ce qui caractérise cet outil c’est la liberté qui leur est enfin rendue dans l’exercice quotidien de leur métier, pour peu que les éditeurs les respectent au plan contractuel avec un modèle économique à la course remportée, sans engagement, sans abonnement. Il y a donc matière à se battre à armes égales au plan technologique avec les VTC en terme d’efficacité, de disponibilité, de proximité de l’offre encore largement supérieure en quantité de véhicules.

La question qui fait débat aujourd’hui, celle de la « loyauté » concurrentielle ne saurait faire l’économie du contexte technologique actuel. A défaut, ce serait comme revenir au temps des fiacres et cochers d’il y a un siècle, où les taxis hippomobiles ont fini par disparaître face au plein essor de l’industrie automobile !

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Mohammed Bahtiti, est retraité, ancien chauffeur de taxi parisien. Pierre Peyrard, est Président de l’Union Nationale des Chauffeurs Courtois, Directeur Général de TAXILOC.

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