Taxer les transactions financières : une vraie fausse bonne idée ?

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Par Captain Economics Publié le 8 avril 2015 à 5h00
Taxe Transaction Financiere France Analyse
@shutter - © Economie Matin
0,2 %La taxe sur les transactions financières s'élève à 0,2 % d'une acquisition d'une action.

Taxer les transactions financières pour remplir les caisses de l'Etat, en voilà une bonne idée ! Adoptée au départ sous le gouvernement Fillon début 2012, la taxe sur les transactions financières (TTF) fût par la suite modifiée par le gouvernement Ayrault, avant d'entrer en vigueur le 1er août 2012.

Cette taxe, d'un montant de 0,2%, s'applique sur les acquisitions de titres de capital (= actions pour faire simple) des entreprises françaises dont la capitalisation boursière au 1er décembre de l'année précédente est supérieure à 1 milliard d'euros (source: "impots.gouv.fr"). Pour un chercheur en économie/finance, la mise en place de la TTF offre les conditions parfaites pour une étude empirique : une date précise d'application, un groupe de traitement affecté par la taxe (les entreprises française de plus d'un milliard de capitalisation) et différents groupes de contrôle non-affectés par la taxe (entreprises françaises de moins d'un milliard de capitalisation, grandes entreprises européennes hors-France...). Tout cela pour répondre à une question de grande importance : la mise en place de la TTF a t-elle entrainé une baisse du volume/prix/volatilité des actions des entreprises françaises ayant une capitalisation supérieure à un milliard, en comparaison avec l'évolution du volume/prix/volatilité des entreprises des groupes de contrôle ? Si cela a entraîné une forte baisse des volumes, des prix et une hausse de la volatilité, alors c'est une idée incroyablement mauvaise. Au contraire, si cela n'a pas changé grand chose, et que cela fait rentrer de l'argent dans les caisses de l'Etat, c'est plutôt pas mal... Alors ?

Bon avant de rentrer dans l'étude empirique, il est important de préciser quelques petites choses sur cette fameuse TTF. Premièrement, et contrairement à ce que l'on peut lire un peu partout, la TTF n'est absolument pas une "Taxe Tobin". En effet, l'objectif n'est pas de combattre la volatilité des taux de change, ni d'utiliser les recettes fiscales pour aider les pays les plus pauvres. L'objectif premier, quoi qu'on en dise, est de faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'Etat. D'ailleurs, étant donné (1) que la taxe ne s'applique pas au trading intraday (achat et revente dans la même journée, et ce car elle est calculée sur la position nette à la fin de la journée), (2) qu'elle ne s'applique pas non plus sur les ventes à découvert, et (3) qu'elle ne concerne que le marché action (et pas le marché des produits dérivés par exemple), il est difficile d'imaginer comment cette taxe pourrait stabiliser les marchés, réduire la volatilité ou empêcher réellement la spéculation... Il y a en effet un bon côté "coup de comm' politique" derrière tout cela : coup de comm' du gouvernement Fillon à quelques mois des élections de 2012 pour corriger l'image de "président des riches" de Sarkozy, puis un enchaînement "l'ennemi c'est la finance" par le gouvernement Ayrault avec doublement du montant de la taxe. Mais bon, ce n'est pas parce que c'est "politique" que c'est forcément une mauvaise idée non plus...

Bref, quel a été l'effet de la mise en place de la TTF sur les volumes d'échanges ? Sur le papier, on aurait envie de se dire "oulah, les investisseurs vont préférer les actions des entreprises étrangères ou les actions des entreprises de moins d'un milliard de capitalisation, et les volumes vont chuter sur les grosses entreprises française" ? Et bien regardons cela, à la lumière des résultats de deux papiers de recherche dont les résultats sont assez proches : "The Impact of the French Securities Transaction Tax on Market Liquidity and Volatility" (Capelle-Blancard & Havrylchyki, 2014) et "Did the new French tax on financial transactions influence trading volumes, price levels and/or volatility on the taxed market segment?" (Commission Européenne, 2014).

A son entrée en vigueur en août 2012, 108 entreprises françaises avaient une capitalisation boursière supérieure à 1 milliard d'euros. En regardant le volume d'échange sur ces 108 entreprises (source: Commission Européenne), avant et après la TTF, on remarque une baisse assez nette du volume d'échange. En effet, le dernier point de la courbe verte (sur fond blanc) correspond à un volume d'environ 4000 millions et le premier point de la courbe bleue (sur fond saumon... enfin une couleur moche du style) correspond à un volume de 2800 millions. Cependant, la forte baisse ne fût que provisoire, et un retour à la tendance semble se dessiner dans les mois suivants.

Mais sans regarder l'impact sur nos groupes de contrôle, il est pour le moment impossible de conclure quoi que ce soit ! Si dans le même temps par exemple, le volume chute aussi fortement pour les entreprises allemandes et pour les petites entreprises françaises, alors nous sommes en présence d'un autre choc / évènement. Regardons alors ce que cela donne (1) sur les mid-cap françaises (dont la capitalisation est inférieure à 1 mds) puis (2) sur les 30 plus grosses entreprises allemandes (capitalisation supérieure à 1 milliard, mais pas de TTF en Allemagne).

Dans les deux cas, il est possible de voir une très très légère diminution du volume d'échange avant et après le 1er août 2012, mais pas de "rupture" comme sur le premier graphique. Cependant, si l'on regarde non pas l'effet immédiat (entre le mois avant et le mois après la TTF) mais un effet de moyen-terme après 6 mois, on remarque que globalement, dans les trois cas, il y a un certain "retour sur la tendance". Dans le cas des entreprises françaises touchées par la taxe, la baisse du volume d'échange sur six mois est relativement faible (mais tout de même significative)... En ce qui concerne la volatilité, les deux études n'identifient par contre pas d'impact significatif (ni hausse, ni baisse de la volatilité), ce qui est finalement peu étonnant étant donné que la TTF ne touche pas aux transactions intraday. Et idem pour le niveau des prix. Pour reprendre la conclusion de l'étude de Capelle-Blancard & Havrylchyki, la TTF ne serait donc "ni une panacée ni une folie" (STT = Securities Transaction Taxe).

"To sum up, our investigation shows that STT is neither a panacea nor a “madness” for financial markets. Our results do not confirm expectations that STT decreases market volatility by curbing speculative activity, but at the same time, there is no significant effect on market volatility and even liquidity."

Il faut cependant faire attention à ne pas non plus s'emballer à la lecture de cette conclusion en se disant "ah et bien voilà la preuve que la future taxe sur les transactions financières dans l'Union européenne ne posera aucun problème" (pour + d'infos sur cette taxe qui devrait entrer en vigueur en janvier 2016 -> "Taxation du secteur financier - European Commission")... En fonction du type de produits financiers pris en compte (actions, obligations, dérivés...), du type de marché (organisé ou gré à gré), de la taxation ou non de l'intraday, des pays mettant en place la taxe (absence du Royaume-Uni) et bien évidemment du montant de la taxe, les répercussions peuvent être très différentes. De plus, il s'agit là d'une étude d'évènement sur un seul point (= un seul évènement) et avec une fenêtre d'évènement assez longue (18 mois), ce qui rend difficile l'analyse de long-terme ou de retour à la tendance car de nombreux autres évènements n'ayant rien à voir avec la TTF peuvent avoir eu lieu dans le même temps.

Pour le dire autrement, avec une coordination mondiale (#bisounours) et l'impossibilité d'échapper à la taxe (#bisounours, le retour), le Captain' vote sans aucun problème pour la mise en place d'une taxe "Tobin-like" sur l'ensemble des transactions financières. Dans la situation actuelle, le Captain' est clairement beaucoup moins convaincu... Sans tomber dans le catastrophisme en mode "toute l'activité financière va partir à Londres", il faut bien avouer le risque d'exil et d'évitement de l'impôt est loin d'être négligeable... Ensuite, cela fera au moins un superbe évènement pour refaire une étude économétrique avec groupe de traitement et groupe de contrôle 😉

Conclusion : La mise en place d'une taxe sur les transactions financières en France n'a donc pas eu un effet "ravageur" sur les entreprises françaises concernées. Certes, il y a eu au départ une baisse significative des volumes échangés (et hausse du bid-ask spread), mais pas non plus un assèchement total de liquidité et une mort dans d'affreuses souffrances... A l'inverse, il n'y a pas eu de réduction de la volatilité, donc l'argument "on va stabiliser les marchés et supprimer la spéculation" grâce à une taxe sur les transactions financières n'est pas vraiment recevable. Encore une fois, l'étude porte ici sur un type très spécifique de taxe ; l'objectif final n'est pas de dire "toutes les taxes sur les transactions financières sont bonnes / mauvaises", mais de montrer les différents effets possibles et d'introduire le concept d'étude d'évènement avec groupe de traitement et groupe de contrôle. Dans le cas spécifique de la TTF française de 2012, et s'il faut vraiment choisir entre le bien et le mal, le Captain' vote alors pour le bien : cela rapporte environ 700 millions d'euros par an (bon, c'est pas grand chose OK, mais ça se prend tout de même...) avec un effet très limité sur les volumes échangés et aucun impact sur la volatilité ou le niveau des prix. Pas si mal donc !

Article publié initialement sur le blog de Captain' Economics

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Doctorant en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et professeur d'économie à l'IESEG Paris, Thomas Renault est le créateur du site Captain Economics, un blog ayant pour but de démystifier l'économie, en abordant cela sans prise de tête ni prise de parti.  

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