Tribune écrite par les ONG : OXFAM, AIDES et Coalition Plus.
Le 15 avril, le lobby financier Paris Europlace et le MEDEF ont adressé un courrier au ministre de l'Economie et des Finances Pierre Moscovici afin de le « mettre en garde » contre la taxe européenne sur les transactions financières (TTF), mesure supposément « destructrice de richesse ».
Oxfam France, Coalition PLUS et AIDES entendent démonter une à une ces contre-vérités. Nos organisations, qui, militent de longue date pour une TTF européenne et solidaire, appellent le gouvernement à ne pas se laisser duper par les sirènes du lobby bancaire. Nous demandons à M. Moscovici de soutenir fermement l'instauration d'une taxe ambitieuse, incluant actions, obligations et produits dérivés.
1. La TTF européenne va réduire la croissance économique des pays européens :
Faux. La Commission européenne a publié en mai 2011 une étude montrant que les sommes générées par la TTF pourront doper la croissance européenne (+0,4% d'ici à 2050) si elles sont investies dans l'économie, comme le développement international et l'emploi des jeunes, comme le propose François Hollande.
En revanche, l'étude indique que si les revenus de cette taxe ne sont pas réinvestis – par exemple, s'ils sont simplement affectés à la réduction de la dette publique – l'impact sur la croissance européenne sera inférieur à 0,01% par an, c'est-à-dire nul. Enfin, deux récents rapports du FMI sur l'impact et la faisabilité d'une taxe sur les transactions financières ont démontré que la Chine, l'Inde, le Brésil et Taiwan disposaient déjà de telles taxes tout en affichant des taux de croissance record.
2. La TTF va appauvrir les retraités et les petits épargnants :
Faux. Les revenus des placements financiers représentent une part infime des revenus des retraités et des petits épargnants. D'après la Direction Générale des Impôts, 95% des ménages tirent moins de 1,6% de leurs revenus totaux grâce aux « revenus mobiliers », c'est-à-dire leurs placements financiers. La TTF n'aura donc aucun impact sur les citoyens ordinaires.
Enfin, même chez les 0,1% de Français les plus riches, les revenus mobiliers ne représentent que 24% de leur revenu total. Si les grandes richesses seront certainement plus touchées, elles ne perdront que 5% de leurs revenus totaux.
3. La TTF européenne augmentera le coût des emprunts obligataires des Etats ou des entreprises :
Faux. La Commission européenne avait répondu à cette attaque en mai dernier. Afin de répondre aux besoins de financement des entreprises et des Etats, les émissions d'obligations sur le marché primaire ne seront pas taxées. Par ailleurs, la revente d'obligations sur le marché secondaire se fait à un rythme bien plus lent que sur le marché secondaire des actions.
Résultat : l'impact de la TTF sur ces instruments est presque nul. A l'inverse, les marchés de dérivés, de devises ou d'actions – où la frénésie spéculative est totalement démesurée – seront les principaux contributeurs de la TTF. Ils viendront dès lors rembourser l'argent public utilisé qui est venu garantir les pertes financières des banques.
Enfin, la Commission européenne rappelle que la TTF n'affectera pas significativement l'accès des entreprises européennes aux capitaux, dans la mesure où ces dernières se financent à 70% en dehors des marchés financiers.
4. La TTF européenne s'appliquera aux acheteurs et aux vendeurs à chaque étape de la transaction. Cette taxation en cascade mènera à la ruine de la place parisienne et des investisseurs européens :
Faux. La directive ne s'appliquera qu'aux contreparties finales, c'est-à-dire l'acheteur final et le vendeur initial. Ainsi les institutions financières jouant un simple rôle d'intermédiaire dans une transaction ne seront pas taxées. La Commission européenne répondait déjà à cette objection dans un article publié par le journal « les Echos » le 12 mars 2013.
5. La taxe sur les transactions financières va réduire la liquidité des marchés financiers et portera atteinte aux marchés au sens large :
Faux. Cet argument est obsolète, dans la mesure où les marchés sont aujourd'hui confrontés à une surliquidité. En 1990, le volume global des transactions financières était 15 fois plus important que le PIB mondial. En 2010 ce montant atteignait 67 fois le PIB mondial, preuve que la finance actuelle s'écarte de plus en plus de l'économie réelle.
Enfin, la TTF européenne, à l'inverse de la TTF française, s'appliquera réellement aux transactions à haute fréquence qui, comme le reconnaissent les professionnels du secteur, ont un impact destructeur sur les marchés financiers. Le trading à haute fréquence augmente considérablement la volatilité des prix et crée l'instabilité économique. Il est par exemple responsable du Flash Krach du 6 mai 2010 : en une vingtaine de minutes, un trader avait vendu 75 000 actions pour une valeur de 4,1 milliards de dollars.
Cette vente a engendré une perte de valeur monumentale des actifs et incité les autres traders réalisant ce type de transactions à vendre très rapidement. Cet effet domino a entraîné une chute exponentielle des actions américaines, certaines jusqu'au centime de dollar, et leur brusque remontée. Par ailleurs, il réduit la liquidité des marchés car, suite à une simple erreur d'algorithme, il peut conduire de nombreux traders à fuir les marchés électroniques en quelques minutes.
6. La TTF européenne mènera à la délocalisation des gestionnaires d'actifs français au profit de places hors TTF comme Londres ou le Luxembourg :
Faux. Le ministre des Finances Pierre Moscovici et ses homologues européens ont requis l'application du dispositif américain FATCA aux pays européens. Le dispositif FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) permet de taxer les comptes des Français à Londres, Luxembourg ou ailleurs. Dès lors, pourquoi les clients des gestionnaires d'actifs français iraient-ils ouvrir des comptes à Londres, dans la mesure où cela ne leur permettra pas d'échapper à la TTF ?
Rappelons que le dispositif FATCA américain est le plus efficace pour lutter contre l'évasion fiscale au monde. Les banques suisses ont toutes dû s'y soumettre car FATCA prévoit deux mesures si une banque ne collabore pas avec l'administration fiscale américaine. Celle-ci peut tout d'abord récupérer les sommes perdues en ponctionnant directement l'ensemble des paiements qui, avant d'être livrés à la banque étrangère, transite sur son territoire.
Enfin, elle peut interdire à cette banque étrangère tout échange commercial avec les ressortissants américains et/ou avec toute banque étrangère autorisée à commercer avec ces mêmes ressortissants. Les banques préfèrent par conséquent collaborer plutôt que de perdre leurs clients américains.