Taxe Tobin : plus simple à dire que bonne à faire ?

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Par Christophe Auperin Modifié le 13 décembre 2022 à 20h41

Le 19 février 2014, la rencontre de François Hollande et Angela Merkel devait faire avancer le dossier relatif à la taxe sur les transactions financières (TTF). Dossier qui traîne depuis maintenant quatre petites années. Les attentes de l'opinion publique et des associations altermondialistes étaient grandes. « Ce projet, sous la forme d'une coopération renforcée entre 11 États membres de l'Union européenne, représenterait une avancée importante pour réduire la spéculation financière et dégager des ressources publiques non négligeables », déclarait ATTAC France, dans un communiqué diffusé deux jours avant le sommet franco-allemand. À moins qu'il nuise à l'épargne des Français et freine l'économie réelle ? Explications.

Qu'est-ce que la taxe sur les transactions financières ?

De quoi s'agit-il exactement ? Une explication ne serait pas de trop pour les néophytes de la finance. En voici le détail en quelques mots. Suggérée par le prix Nobel d'économie James Tobin en 1972, elle a été mise en place en France le 1er août 2012. Elle porte sur les achats d'actions d'entreprises dont le siège social est en France et dont la capitalisation boursière est supérieure à un milliard d'euros. Taux du prélèvement : 0,2 %.

Toute la question est de savoir maintenant comment son application se traduirait à l'échelle de l'Union européenne. Le projet est déjà dans les tuyaux depuis 2010. Il s'agirait de taxer les transactions financières dans l'Union européenne à un taux minimal de 0,1 % pour les transactions portant sur les actions et les obligations, et de 0,01 % pour celles relatives aux produits dérivés. Une taxe indolore qui ne mérite pas qu'on y accorde trop d'attention se dira-t-on au premier abord. Bien à tort.

Ce système de taxe commun concernerait 11 États membres (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Estonie, France, Grèce, Italie, Portugal, Slovaquie et Slovénie), 6 autres pays ayant clairement exprimé leur désaccord. Il est entendu que si cette taxe est instaurée — son application est prévue au milieu de l'année 2014 —, elle remplacerait la taxe française actuellement en vigueur.

Quels en sont les effets attendus ?

Les motifs qui prévalent à sa mise en place sont tout à fait nobles. Cette dîme intervient après la crise financière de 2008 et la remise en cause de la folie spéculative de traders, accusés de conserver les yeux rivés sur leurs valeurs virtuelles, sans considération aucune pour l'économie réelle. Elle a également pour ambition d'alimenter les budgets dédiés à l'aide au développement ou encore à la lutte contre le réchauffement climatique.

« La solidarité, ce sont aussi des instruments financiers, à travers de nouvelles ressources, à travers la taxe sur les transactions financières, à travers tout ce qui peut permettre d'imaginer l'avenir ensemble », déclarait à ce propos François Hollande le 5 février 2013 devant le Parlement européen à Strasbourg. Concrètement, c'est 31 milliards d'euros que la commission européenne espère récolter grâce à la mise en place de cet impôt.

On comprend pourquoi il est soutenu par l'opinion publique : selon un sondage de TNS Sofres réalisé en novembre 2010, plus de 80 % des Européens lui sont favorables. Et on aurait tendance à l'approuver également. Mais en réalité, la TTF comporte des effets pervers qui, en plus de la rendre inefficace, font d'elle une taxe contreproductive.

Des résultats surestimés

D'abord, l'exemple français montre que les recettes attendues ne sont pas forcément au rendez-vous. La TTF française a fait un vilain pied de nez aux caisses de l'État. La France se frottait les mains en imaginant obtenir 1,5 milliard d'euros. C'est du moins ce que prévoyait la loi de Finances pour 2013. Projet de budget pour 2014 rectifié : ce ne sera plus que 700 millions d'euros. Plus de moitié moins.

C'était à prévoir : les investisseurs ont bien naturellement misé leurs billes dans les sociétés étrangères ou européennes non taxées. Ces chiffres, ainsi que ceux des pays ayant appliqué de tels prélèvements avant la France, suffisent à le prouver : la taxe Tobin n'est pas rentable.

Il en a été en effet de même en Suède, qui avait mis en place un prélèvement similaire au milieu des années 1980 avant de l'abroger en 1991, après s'être aperçue que près de la moitié des transactions avaient migré vers la City. Première déception.

In fine, la TTF va non pas servir, mais desservir l'économie réelle

Et c'est loin d'être la dernière. Car en réalité, encore une fois, ce ne sont pas les traders qui vont payer, mais les investisseurs et les entreprises. Non seulement la taxe ne va pas freiner la spéculation, ce qui était son but au départ — les recettes générées constituant une espèce de bonus —, mais elle va aussi entraver le financement des entreprises.

« Le projet présenté par la Commission européenne, en dépit de motivations parfaitement légitimes, renferme en son sein des effets dévastateurs pour nos entreprises », a fait savoir l'Association française des trésoriers d'entreprise (AFTE), dans un courrier adressé au ministre. Détaillons les mécanismes à l'origine de ce phénomène pervers.

Augmenter le coût des transactions financières reviendra à détourner les fonds des investisseurs vers les autres marchés financiers non taxés, exactement comme ce qui est arrivé à la France et la Suède, ou encore au Japon. La City de Londres sera sans doute la grande gagnante de cette affaire. Les entrepreneurs français et européens vont voir se tarir une source importante de financement. Inutile de rentrer dans les détails de ce qui va suivre : des entreprises moins compétitives, moins d'emplois et moins de croissance. Rien qu'en France, ce tribut pétri de bonne volonté pourrait coûter 30 000 emplois. La bonne affaire.

Mais surtout, on a tendance à oublier que l'investissement en bourse n'est pas l'apanage de riches businessmen expérimentés. Le citoyen français est connu pour son goût de l'épargne pour le financement de leur retraite, de leur logement ou encore de leur assurance vie. Selon une étude de l'observatoire ING Direct, 38 % des Français veulent épargner davantage afin d'être « plus responsables » financièrement. Or l'épargne, ce n'est rien d'autre que des placements financiers, sous ses multiples formes : contrats d'assurance vie, plan d'épargne en actions, etc. dont la rentabilité sera mécaniquement affectée.

Ceux qui seront en mesure d'échapper à la taxe ne seront pas les citoyens lambda ayant confié leurs économies à leur banque. Ce seront bien plutôt les plus riches investisseurs, ceux qui ont les moyens de se payer les services d'experts financiers capables de les conseiller sur la manière de remanier leurs portefeuilles d'actions afin qu'elles contournent légalement la taxe.

Finalement, quand on s'intéresse aux répercussions de la TTF, on s'aperçoit qu'elle a les effets contraires de ceux escomptés. Supposée stimuler l'économie et contribuer à l'aide au développement, elle pèse en réalité sur l'épargne des Français et des Européens. Quant aux traders, ça ne leur fait ni chaud ni froid. Ils iront simplement traiter ailleurs. Des effets méconnus qui changeraient très probablement les résultats des sondages s'ils étaient correctement expliqués.

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Conseiller en fusion-acquisition dans un cabinet d'accompagnement personnalisé dans la cession d'entreprises, Christophe Auperin s'intéresse de près aux mouvements des marchés, dont il aime, en bon sismologue de la finance, pressentir les oscillations à venir. 

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