Faire payer les robots ?

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Par Philippe Préval Modifié le 7 février 2017 à 13h53
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@shutter - © Economie Matin
253 748En 2015, il s'est vendu 253 748 robots industriels à travers le monde.

Un rapport, adopté le 12 janvier par la commission juridique du Parlement européen, incite la Commission européenne à légiférer sur l'usage de la robotique et de l'intelligence artificielle. Il invite notamment à réfléchir sur l'idée d'un « impôt sur le travail réalisé par les robots ». Cette idée est défendue en France par Benoît Hamon, candidat du parti socialiste à l’élection présidentielle.

Isaac Asimov, qui a écrit pendant presque 50 ans sur le sujet, avait imaginé beaucoup de choses sur les robots. Il avait mis en scène leur volonté d’émancipation (L’homme bicentenaire), leur capacité à inventer un dieu (La raison), les dilemmes que pouvaient produire ses fameuses lois de la robotique ou leur avait même fait subir de véritables pogroms. Dans La caverne d’acier, en effet, le « peuple » veut détruire les robots qui lui prennent son travail et dont l’intelligence commence à l’inquiéter. Tout au long de ses écrits, il revient fréquemment sur le complexe de Frankenstein, la peur que la créature ne dépasse le créateur. Pourtant, il ne semble pas qu’Asimov ait imaginé dans aucun de ses livres, une taxe sur les robots et sur l’intelligence artificielle.

Le texte approuvé il y a trois semaines par le parlement européen à l’initiative d’une députée luxembourgeoise, madame Delvaux, incite en effet, la Commission européenne à légiférer sur l'usage de la robotique et de l'intelligence artificielle et l’invite à réfléchir sur l'idée d'un «impôt sur le travail réalisé par les robots». Cette idée qui a trouvé une majorité disparate à Bruxelles, n’hésitant pas à accepter un amendement d’un député d’Aube dorée, le parti néofasciste grec, est promue en France par Benoît Hamon, qui ne rate jamais une occasion de se taire.

Taxer dans l’esprit de cette dame, cela veut dire encadrer, contraindre, combattre : « pour faire face à cette réalité et garantir que les robots sont et restent au service de l'Homme, nous avons besoin de créer de toute urgence un cadre juridique européen », dit-elle. On pourrait en rire. La première impression qui vienne à l’esprit, c’est qu’elle semble prendre Isaac Asimov et Philip K. Dick au sérieux, sans les avoir lus cependant. Mais elle n’est pas la seule. « L'innovation ne doit être encouragée qu'à condition de défendre simultanément les droits inaliénables de l'Homme », disent les parlementaires. Diantre !
Il faut donc prendre ce que disent et écrivent ces gens au sérieux. D’autant plus qu’un candidat à la présidentielle en fait maintenant l’un des piliers de son programme.

D’abord lisons à haute voix l’expression suivante : taxe sur l’intelligence artificielle. N’y a-t-il pas quelque chose de choquant à vouloir taxer l’intelligence, fût-elle artificielle ? S’il s’agit de taxer, c’est qu’il s’agit de pénaliser. Pénaliser l’intelligence est une idée qu’il suffit d’énoncer pour en mesurer l’inanité, c’est de l’ordre de la grossièreté. Si cela ne suffit pas, un petit détour historique n’est pas inutile. Il y a eu en effet de multiples épisodes dans l’histoire du monde et dans la nôtre en particulier où des institutions, des corps constitués, ont voulu combattre l’intelligence.

Lutter contre l’intelligence

Lutter contre l’intelligence, c’était la position de ceux qui voulaient que la terre fût plate alors qu’Eratosthène avait calculé sa circonférence, avec moins de 5 % d’erreur, 1000 ans plus tôt. Les voyages de Colomb et de Magellan, mirent fin au débat.

Lutter contre l’intelligence, c’était la position de ceux qui voulaient par tous les moyens que la terre fût immobile au centre – de l’univers ! – et que le soleil et les planètes tournassent autour. Copernic, Galilée, observant Vénus et surtout Kepler, dont les lois étaient les seules à pouvoir rendre compte des observations de Tycho Brahe, mirent fin au débat.

Lutter contre l’intelligence, c’était la position de ceux qui en tenaient pour la médecine des humeurs, théorie pseudo-scientifique qui n’était basée sur aucune observation et que contredisait l’expérience comme l’avaient démontré les grands médecins arabes du Moyen Âge. Colombo, Harvey et la circulation sanguine, malgré qu’en eussent les « anticirculateurs », mirent fin au débat.

De tout temps il y a eu des gens pour élever des barrières religieuses, conventionnelles ou douanières devant l’intelligence. Ils ont pu obtenir des victoires provisoires – l’abjuration de Galilée, par exemple – ils ont toujours fini dans la déroute intellectuelle et le ridicule. On a toujours fini par démontrer que leur attitude, pseudo-rationnelle était basée sur des mythes, des croyances, des mythologies, du corporatisme, rien qui puisse trouver sa place dans la raison.
Il n’en ira pas autrement avec l’intelligence artificielle.

Pourquoi les robots, pourquoi maintenant

Mais on peut se poser ces deux questions : pourquoi cela, pourquoi maintenant ?

Le champ qui est à côté de la maison de mes parents à quelques kilomètres de Vendôme fait une quinzaine d’hectares. Pour le labourer, il y a un siècle, il fallait plusieurs jours et une demi-douzaine de paires de chevaux, autant de laboureurs. Aujourd’hui ce travail est fait par un seul homme en une demi-journée. Ma mère qui a connu la toute fin de l’agriculture non mécanisée, reste fascinée par cette rapidité. En conséquence les campagnes se sont vidées. Elles grouillaient d’ouvriers agricoles, d’artisans, de commerçants, tout cela a changé. L’exode rural a bouleversé notre pays, mais celui-ci a su le gérer, sans pour autant essayer de le ralentir par une taxe sur les tracteurs.

La révolution industrielle a commencé il y a deux cent cinquante ans en Angleterre. Dans notre pays il a fallu attendre presque un siècle pour voir ses effets commencer. Depuis elle a déjà subi plusieurs phases. Des laminoirs qui comptaient 4 000 ouvriers en comptent aujourd’hui quelques centaines. Le capitalisme industriel est un processus de création et de destruction permanent, comme une forêt, comme tout corps vivant. À chaque fois qu’il est possible de remplacer un travail de peine, de force, par une machine, le capitalisme le fait. Cela dure depuis 250 ans. La population européenne a quadruplé entretemps, on peut en déduire que le capitalisme qui a détruit tant d’emplois, en a créé un peu plus !

Si l’Allemagne compte deux fois plus de PIB industriel par habitant que la France, c’est aussi parce que plus tôt que la France et mieux qu’elle, elle a massivement robotisé ses usines, alors que les français préféraient jouer la montre en recourant à de la main d’œuvre bon marché qu’ils trouvaient dans leurs anciennes colonies. La robotisation n’est pas un phénomène nouveau, elle a plus de 40 ans.

Quant à l’informatisation, elle a commencé de longue date, elle aussi. L’informatique est entrée dans les banques dès les années 60 et elle y a remplacé la mécanographie. Même l’Intelligence artificielle n’est pas tout à fait récente. Il y a plus de dix ans que les banques utilisent des réseaux neuronaux pour traquer la fraude et le blanchiment. Et depuis longtemps déjà, il y a des usines dont les capteurs sont contrôlés par des systèmes qui utilisent les théories de Dempster-Shafer sur les fonctions de croyance.

Il ne faut pas se laisser abuser par une actualité superficielle. Que Google, Facebook et quelques autres communiquent beaucoup sur l’IA n’en fait pas un phénomène récent même si les moyens sont aujourd’hui décuplés. Un ordinateur, mettant en œuvre une approche deeplearning, a certes battu un grand champion de jeu de Go, ce qui passait pour impossible il y a 20 ans, mais nous assistons à un processus long. Et le théorème de Fermat a été démontré par un autre ordinateur il y a 10 ans ce qui est autrement plus impressionnant.

Le pourquoi maintenant et le pourquoi cela, ont deux réponses simples, et aucune ne doit être suffisante pour se lancer dans la démarche insensée de vouloir élever des barrières maintenant contre un processus commencé il y a plus de 40 ans, qui va s’accélérant et qui lui-même s’inscrit dans la pure logique de la révolution industrielle qui est l’un des fondements de notre civilisation à nous européens.

Pourquoi maintenant ? Parce que Google et les autres en font la publicité pour masquer qu’ils tirent leur revenu de monopoles bien plus triviaux que l’intelligence artificielle. Pourquoi cela ? Parce qu’on a l’impression qu’on pouvait tant et plus remplacer le muscle par la machine et que maintenant il s’agit de remplacer le cerveau. C’est le complexe de Frankenstein qui ressort. Relisons Asimov pour le remettre à sa place. On se sert toujours de son corps mais autrement pour travailler. On se servira toujours de son cerveau mais autrement. Qu’importe si les centres d’appels délocalisés en Afrique du nord ou à l’ile Maurice, sont remplacés par des serveurs vocaux. Les opérateurs déserteront les centres d'appels comme les brassiers ont déserté les campagnes. Encore une fois, ce n'est pas une nouveauté et le capitalisme crée autant qu'il détruit et un peu plus.

Expérience de pensée

Il semble superflu de se demander à quoi ressemblerait la mise en œuvre de la taxe sur les robots. Faisons-le tout de même. Soit cela se fait au niveau français, soit cela se fait au niveau européen.

Si c’est au niveau français, c’est créer de tout évidence un biais de concurrence défavorable vis-à-vis de nos voisins qui sont, rappelons-le, dans le même espace économique que nous. Nous n’entrons pas ici dans le jeu qui consiste à imaginer sortir de l’euro et de l’Europe qui relève d’une autre expérience de pensée. Concluons simplement qu’une telle taxe au niveau français amplifiera automatiquement le phénomène de délocalisation vers les pays de l’Est qui n’en a pas besoin. Taxer les robots au niveau français augmentera donc le chômage, le déficit du commerce extérieur et à moyen terme, les prélèvements.
Reste donc à taxer au niveau européen. Admettons que cela soit possible et rapide. Le même biais de concurrence se fera en défaveur de l’Europe contre ses concurrents mondiaux : les pays asiatiques, les USA et maintenant, le Royaume Uni. Cela sera compensé par des barrières douanières ou toute autre mécanisme visant à diminuer la fluidité des échanges commerciaux. Cela ne pourra qu’engendrer des mesures de rétorsion ici ou là et de façon générale, cela sera nuisible à la croissance mondiale mais surtout européenne.

Ne nous trompons pas, des pays comme le Japon aiment les robots, aiment la robotisation, ils s’y engagent depuis des années et massivement. Vouloir faire de l’Europe un château-fort, ne fera que nous isoler des zones les plus dynamiques du monde. C’est nous qui avons à perdre à cet isolement plus que les autres.

Une autre expérience de pensée

Alors plutôt que de lutter contre les robots, demandons-nous ce que nous pouvons faire dans un monde qui se robotise. Plutôt que de taxer les robots, fabriquons-en, inventons-en. La construction d’un robot est une affaire de haute technologie alliant informatique, électronique, mécanique… C’est un domaine de haute valeur ajoutée qui requiert inventivité, technicité, technologie, savoir-faire… C’est une source d’emplois qualifiés. Il ne faut pas voir la robotisation comme une menace mais comme une opportunité, c’est-à-dire d’abord comme un défi.

Un industriel qui achète un robot, c’est un industriel qui investit dans son outil industriel, c’est un entrepreneur qui croit en l’avenir de son pays. Un distributeur qui met en place des SCO (self check out), c’est un entrepreneur qui investit dans son magasin. Ce n’est pas de sa responsabilité, si notre pays ne produit pas de SCO. C’est en redynamisant notre tissu industriel que nous pouvons en produire. Le monde se répartira entre ceux qui produisent des robots et ceux qui les achètent, ceux qui les taxent se retrouveront naturellement dans le second camp, celui des perdants.

Il n’en va pas autrement de l’intelligence artificielle. C’est avant tout une affaire d’ingénieurs, de mathématiciens, de scientifiques. C’est un formidable défi qui se présente. Que la France continue à produire de bons ingénieurs, qu’elle donne envie aux plus hardis d’entre eux de créer leur entreprise chez elle et pas à Londres ou en Californie, qu’elle laisse les capitalistes accompagner les idées novatrices, et l’intelligence artificielle deviendra un secteur économique de premier plan.

Le pétrole et l’électricité ont tué la machine à vapeur, ils n’ont pas tué l’industrie. Il en ira de même pour les robots et l’intelligence artificielle, pour peu qu’on arrête de considérer l’avenir comme une menace et le changement comme une tragédie et qu’on fasse confiance aux ingénieurs, aux techniciens, au peuple français.

Il y a deux grands enjeux contemporains : la mondialisation et le développement technologique. Nous avons raté le premier, Paris est maintenant une place financière de 3e division, les 35 heures et autres inepties ont gravement blessé notre industrie, essayons de ne pas rater le second.

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Philippe Préval est entrepreneur, DG de la société Lusis et candidat-citoyen à l’élection présidentielle.

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