Après plusieurs semaines de déclarations dans les médias pour préparer les esprits, le gouvernement français a annoncé la diminution du taux de rémunération du Livret A le 1er Août 2013. Le taux du placement favori des français est maintenant 1,25%, contre 1,75% auparavant. La baisse de 0,5 point correspond à un compromis entre des impératifs économiques et des considérations politiques.
Une gestion du taux de rémunération du Livret A normalement dépolitisée
L'évolution du taux du Livret A correspond à une règle de calcul simple. Si la règle avait été respectée, le ministre des finances et de l'économie, Pierre Moscovici, aurait dû annoncer une révision du taux à 1% au lieu de 1,25%. En effet, la règle prévoit que le rendement du Livret A doit être calculé en fonction de l'inflation (hors tabac), majorée d'un quart de points (autrement dit +0,25%). Or, les prix à la consommation sont restés très faibles en juin (+0,8% sur un an). Dès lors, arithmétiquement, la règle donnait un taux de 1,05%, c'est-à-dire 0,8% d'inflation plus 0,25% de majoration. Toutefois, par soucis de simplification, la règle prévoit également que le taux soit arrondi au quart de point le plus proche, autrement dit 1%. La règle prévoit également la possibilité de prendre comme référence les taux interbancaires (taux auquel les banques se prêtent) mais ces taux sont tellement faibles actuellement que cette possibilité n'est pas utilisée dans les faits.
Sauf exception, le taux du Livret A est révisé deux fois par an : début février et début août. Un taux à 1% comme le suggère la règle de calcul du Livret A aurait été loin des 1,75% en vigueur depuis le 1er février 2013, mais surtout cela aurait correspondu à un plus bas niveau historique depuis la création de ce placement il y presque deux siècles en 1818. Dans ces conditions, le gouvernement a préféré limiter la baisse du taux à 1,25%. Officiellement, en diminuant la rémunération du Livret "que" de 0,5%, le gouvernement cherche à préserver le pouvoir d'achat des français. En réalité, le gouvernement ne vise pas cet objectif car le but du Livret A est avant tout de drainer l'épargne des français afin de collecter des ressources de financement. Le fait de limiter la baisse du Livret A correspond avant tout à de la communication politique. De plus, cela souligne au passage que la règle qui avait été édictée en 2008 pour dépolitiser le taux n'est en réalité pas si dépolitisée que ça. Enfin, notons que le taux devrait probablement remonter en 2014 car l'inflation devrait augmenter sous l'influence notamment de la hausse prévue de TVA.
Implications pratiques de l'évolution du taux de rémunération sur l'épargne des français
L'impact sur l'épargne des français est limité. En effet, si près de 96% des français disposent d'un Livret A, le dépôt moyen est de 3'800 euros alors que le plafond est de presque 23'000 euros. Dans ce cadre, là où le Livret A rapportait précédemment 66,50 euros par an et par détenteur, il n'en rapportera plus que 47,50 euros, soit une différence de moins de 20 euros. Si le taux avait été descendu à 1% comme la règle le stipule, le manque à gagner moyen pour l'épargne des français aurait été de 27,5 euros. Les enjeux individuels sont donc relativement modestes et la portée pratique reste largement symbolique. En ce qui concerne les comptes qui ont atteint le plafond, la différence est de 112 euros par an et par détenteur entre un taux à 1,75% et un taux à 1,25%. Le phénomène est identique pour le Livret de Développement Durable (LDD) qui est un outil de placement de l'épargne dont le taux de rémunération est le même que le Livret A depuis 2003.
L'attrait du Livret A peut diminuer selon les objectifs d'épargne. En effet, l'intérêt en terme de rendement est maintenant devenu quasi-nul. Avec un taux à peine au-dessus de 1%, et une inflation à peine en-dessous de 1%, le rendement espéré est très faible. Dans ce cadre, l'intérêt du Livret réside uniquement dans son caractère de protection de l'épargne (protégé de l'inflation), de sécurité (garanti), de liquidité (l'argent est toujours disponible), et enfin de fiscalité (le Livret A est totalement défiscalisé). Dans un contexte de hausse généralisée de la fiscalité, le fait que le Livret bénéficie toujours d'une fiscalité nulle est un élément qui ne sera probablement pas négligé par les épargnants, d'autant que la fiscalité sur les autres placements s'est sensiblement alourdie. En effet, depuis le 1er janvier, les revenus du patrimoine (plus-values, intérêts, dividendes...) sont taxés au barème de l'impôt sur le revenu, auquel il faut ajouter les prélèvements sociaux. Le Livret A n'est ni imposé sur les prélèvements sociaux, ni sur le revenu. Par conséquent, l'intérêt ou non de placer son épargne dans un Livret dépend essentiellement des objectifs en matière d'épargne, comme toujours concernant ce sujet.
Entre impératifs économiques et enjeux politiques
Le taux de 1,25% correspond à un compromis entre impératifs économiques et enjeux politiques. En effet, la raison économique indiquait un taux à 1% tandis que la logique politique plaidait quant à lui pour un taux à 1,5%.
Sur le plan économique, chaque baisse de taux :
1) entraîne des sorties de capitaux qui vont soit servir à la consommation (bon pour la croissance), soit dans l'assurance vie (bon pour l'épargne longue). Notons néanmoins que cet aspect mécanique de sorties de capitaux sera probablement observé dans les faits mais que son importance risque d'être moindre que par la passé car dans un climat d'incertitude, il est probable que les épargnant préfèrent pour partie l'aspect sécurisant d'un Livret A même peu rémunérateur;
2) entraîne une baisse des taux d'emprunt des offices HLM (bon pour le logement). En effet, plus le taux augmente, plus le coût de la construction se renchérit. Cependant il convient de relativiser cet argument car contrairement aux déclarations politiques les constructions HLM ne souffrent pas d'un manque de financement mais d'un manque de terrain;
3) freine la masse de liquidité qui échappe aux banques (bon pour le crédit). En effet, les banques doivent reverser une majorité des encours du Livret A à la Caisse Des Dépôts, ce qui détériore d'autant le bilan des banques.
Sur le plan politique, cela évite, d'une part, d'inscrire le niveau absolu de faiblesse du taux du Livret A, et ainsi de battre la droite (1,25% en 2009), et d'autre part, cela permet de donner l'impression de protéger une épargne dite "populaire", même si en réalité la majeure partie de l'encours de Livret A est détenu par une minorité (un tiers)
Il y a donc un enjeu politique qui est lourd de conséquences pour le financement de l'économie. En effet, le taux du Livret A fonctionne comme un taux directeur qui détermine l'évolution et le niveau des autres produits d'épargne. De plus, s'il ne baisse pas, cela limite la capacité des banques à prêter aux entreprises notamment. En effet, la baisse du Livret A est bénéfique pour les banques qui sont à la recherche de liquidités. Elles ont pâti du relèvement du plafond du Livret A (de 15'300 euros à 22'950 euros) et du LDD (de 6'000 à 12'000) qui avait incité de nombreux épargnants à transférer tout ou partie de leur épargne sur ces placements. Enfin, une baisse du taux incite à réaffecter les revenus non consommés (épargne) sur des produits d'épargne longue comme l'assurance vie. Toutefois, le réel objectif du gouvernement est que les français puisent désormais davantage dans leur épargne pour consommer, ce qui viendrait compléter la mesure de déblocage de l'épargne salariale intervenue le 1er Juillet. L'espoir du gouvernement est que l'ensemble de ces mesures puissent participer à un regain de croissance permettant ainsi de gagner son pari d'inverser la courbe du chômage en fin d'année.
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