Taper or not taper, that is the question…

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Par Charles Sannat Publié le 13 décembre 2013 à 13h21

Le « tapering » est un mot anglais – enfin américain – dont je n’ai pas vraiment de traduction exacte. En gros, ce terme désigne le fait que la FED, la Banque centrale américaine, réduirait ses injections de monnaie dans l’économie ainsi que, de façon importante, ses rachats de titres.

Chaque mois, la FED rachète directement pour 40 milliards de dollars d’obligations de l’État fédéral et pour 45 milliards de dollars de créances moisies à ses banques commerciales qui sont dans une forme financière extraordinaire (je dis cela pour ne pas m’attirer les foudres de l’AMF), raison sans doute pour laquelle elles ont besoin justement de 45 milliards de dollars tous les mois pour nettoyer leurs bilans d’une solidité à toute épreuve (c’est ironique, et l’AMF ne sanctionne pas encore l’ironie, ni l’humour potache).

Bref, il faut bien comprendre pourquoi la FED a mis en place cette politique de rachat d’actifs, à quoi cela sert et ce qui se passerait si elle arrêtait réellement cette stratégie.

1/ Les bilans des banques sont remplis de créances plus ou moins douteuses et plutôt plus que moins. Résultat ? Il faut bien financer ces pertes. Or ces pertes seraient encore plus importantes si l’ensemble de ces créances ne trouvaient jamais de preneur. Comme il y a un acheteur (la FED) de créances pourries, il y a un marché pour les créances pourries. Comme il y a un marché et que la FED est super gentille parce qu’elle donne un super bon prix pour des trucs qui ne valent pas un clou… il y a un prix pour ces actifs ! Comme il y a un prix pour ces actifs… les banques peuvent valoriser leurs « merdes » au prix du caviar ! Résultat : en injectant « uniquement » 45 milliards de dollars par mois, on stabilise l’ensemble des bilans des institutions financières. Franchement, à ce prix-là, ce n’est pas cher et l’on aurait tort de s’en priver.

2/ Maintenant, comme vous avez compris comment on fait croire que les banques sont solides alors qu’elles n’ont jamais été aussi fragiles, le tout pour la modique somme de 45 milliards de dollars mensuelle, passons à l’autre ligne, celle de 40 milliards de dollars de rachat de bons du Trésor.

La FED n’achète pas forcément directement les bons du Trésor au Trésor. Sur ce sujet, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il existe le « marché obligataire ». L’État américain émet donc ses obligations sur le marché et les acheteurs achètent tandis que les vendeurs vendent. Un marché normal quoi ! La rencontre de l’offre et de la demande forme le prix, et le prix sur le marché obligataire c’est le taux d’intérêt auquel le pays concerné emprunte.

Le problème devient crucial lorsqu’il y a beaucoup plus de vendeurs que d’acheteurs, notamment par exemple parce qu’il n’y a plus d’acheteurs. Dans ce cas, sur le marché obligataire, les taux vont monter jusqu’à ce qu’un gentil investisseur se dise… ha de la dette américaine à 10 ans à 2,80 % ce n’est pas rentable… mais à 10 % je prends !!

Dans un marché obligataire libre, nous serions déjà sans doute largement au-dessus des 5 % pour les taux à 10 ans. Le petit problème c’est qu’avec des taux à 10 ans supérieur à 5 % et des États surendettés… cela mènerait tout droit en quelques mois à l’insolvabilité, sans oublier que cette remontée des taux finirait par se propager à l’ensemble de l’économie. Or qui dit taux élevés dit réduction de la croissance puisque tous les emprunts et les crédits coûtent plus cher à commencer par les crédits immobiliers. Du coup, l’immobilier s’effondre à nouveau et vous pouvez vous repasser à nouveau le film des subprimes et l’on repart pour un tour de crise aiguë…

Pour éviter tout ça, la FED rachète donc pour 40 milliards d’obligations sur la marché pour faire baisser les taux du marché et maintenir un environnement de taux très bas. Réussir à manipuler l’ensemble du marché obligataire pour seulement 40 milliards de dollars mensuels, c’est vraiment une excellente affaire et Ben le Barbu (le mamamouchi de la FED) aurait grand tort là aussi de s’en priver.

Mais alors, pourquoi veulent-ils arrêter toute cette belle mécanique et prendre le risque de tout nous faire exploser à la figure ?

Voilà une question qu’elle est bonne ! Il faut se rendre compte que jouer à manipuler les marchés, les prix avec de l’argent que l’on n’a pas… c’est quand même un peu jouer avec le feu. Explication.

En réalité, ce qui inquiète la FED dans tout ça, ce sont les dégâts collatéraux. Souvent, lorsque l’on amène un truc compliqué, genre la dernière voiture de chez Renault bourrée d’électronique merdique (achetez Dacia, c’est des Renault moins l’électronique et les gadgets donc moins les emmerdes) chez son garagiste préféré pour un problème A, on ressort de là avec généralement un problème B,C et D en supplément sans que le problème A ne soit d’ailleurs forcément résolu. Pourquoi ? Parce que le monsieur de chez Renault a mis sa tête dans le biniou, qu’il a touché à tout et que cela entraîne des dysfonctionnements en cascade. Eh bien l’économie, c’est exactement pareil. Vous touchez un truc là… et ça fait déconner le bidule là-bas.

En début de semaine, je vous disais que nous faisions face aux plus grosses bulles financières de tous les temps ! Le propre d’une bulle étant d’exploser, plus on la laisse gonfler, plus l’explosion est grosse et plus les dégâts sont importants (logique). Donc les banques centrales tentent toujours de faire « dégonfler » en douceur les bulles. En général, elles n’y arrivent jamais et provoquent l’explosion des bulles. Mais les banques centrales préfèrent faire exploser une moyenne bulle, qu’une grosse bulle. Cela fait moins de dégâts. C’est donc exactement ce que souhaitent faire les Zaméricains. Ils vont tenter de maitriser un peu le développement totalement anarchique de ces bulles financières absolument monstrueuses.

Est-ce que cela peut réussir ?

Même pas en rêve ! Échec assuré. À ce niveau de l’explication, il faut comprendre que l’économie c’est toujours simple à comprendre. Soit on a des sous, soit on n’en a pas. Dans ce cas précis, si on dégonfle les bulles en arrêtant de faire baisser les taux en arrêtant d’acheter des emprunts, eh bien les taux remonteront aussi sec entraînant tout le monde vers une grande et belle insolvabilité généralisée.

Ensuite, n’oubliez pas non plus que l’on soutient les banques… or les banques n’ont pas encore nettoyé à fond tous leurs bilans. Comprenez par là qu’il reste encore de très nombreux cadavres dans les placards et beaucoup de poussière sous les tapis. Donc si la FED arrête le soutien aux banques, cela pourrait devenir très dangereux pour le système financier et sera, dans tous les cas, mortifère pour l’économie puisque avant de faire faillite, les banques vont surtout commencer par ne plus faire de crédits. Une économie sans crédits… c’est la récession assurée.

Alors si tout ce que je viens de vous dire est vrai, et c’est vrai, la FED doit bien le savoir aussi. Nos mamamouchis ont beau ne pas être très futés… quand même ! Bien sûr qu’ils savent ce que je viens de vous expliquer. Alors pourquoi quand même tenter le coup ?

Eh bien, je n’en sais rien. Je n’ai toujours pas compris le « mobile » du crime. J’ai quelques hypothèses ou pistes de réflexion mais je ne vois pas pourquoi le faire, en tout cas maintenant.

D’ailleurs, je ne suis pas le seul puisqu’une grande banque d’affaire américaine a dit qu’il serait souhaitable que la FED baisse son objectif de chômage non pas à 7 % (on y est presque) mais à 6 %, comme ça on pourrait continuer comme avant avec tout plein d’argent gratuit coulant à flots !

Je pense donc que la FED souhaite gagner du temps en dégonflant un peu les bulles en sachant très bien qu’elle sera obligée de les regonfler avant que ce ne soit trop grave… mais cela permettra de gagner du temps. Cela permettra également d’introduire une forme « d’aléa » et de casser la spéculation qui ne se fait que dans un sens. Depuis 3 ans, les investisseurs achètent tout… puisqu’en face ils ont un super acheteur… la FED ! Il faut donc que les investisseurs comprennent qu’ils doivent acheter parce que c’est bien. Pas parce que l’on peut revendre plus cher à la FED dans 3 mois !! Cela permettra au moins pour un temps de limiter un peu cette « exubérance irrationnelle ».

Une telle stratégie aura également pour conséquence de montrer au monde que les Américains ne sont pas inconséquents monétairement parlant, sans oublier que cela participe du maintien d’un climat de confiance en la reprise. Si la FED diminue ses injections de liquidités, c’est bien que l’économie va beaucoup mieux !!! Sinon elle ne le ferait pas !

Alors « taper » or not « taper » ?

Je penche logiquement pour un mini « taper », qui va produire des maxi-frayeurs, et comme tout le monde aura très vite peur… ils arrêteront vite le « taper » ! Nous allons passer un mauvais moment sur les marchés. Un mauvais moment sur le pétrole, sur l’or… et puis tout repartira comme avant ! Tout repartira comme avant car en aucun cas l’économie américaine n’est en mesure de supporter des taux d’intérêt somme toute mesurés ne serait-ce que de l’ordre de 5 % ! La côte d’alerte est en réalité aux alentours des 3,5 % et deux paramètres sont à surveiller. Le premier, bien évidemment, le taux en lui-même à 3,5 % attention danger, mais compte également la vitesse d’augmentation des taux. Passer de 2,80 % comme actuellement à 3,5 % en 48 heures provoquerait un début de krach obligataire qui obligerait la FED à faire machine arrière en catastrophe, ce qui serait une très mauvaise chose.

Logiquement, on peut donc penser que si la FED annonce un début de « tapering », il sera tout d’abord d’une extrême modestie et que la réduction initiale sera comprise entre 5 et 10 milliards de dollars au grand maximum.

États-Unis : accord budgétaire au Congrès pour éviter un nouveau « shutdown »

Enfin, il est essentiel d’évoquer les dernières nouvelles qui sont a priori positives venant du Congrès américain puisque les négociateurs des deux camps, la sénatrice démocrate Patty Murray et le représentant républicain Paul Ryan, sont parvenus à un projet d’accord sur le budget qui doit cependant encore être adopté par les deux chambres, ce qui permettrait d’éviter une réédition du shutdown que nous avons connu il y a deux mois.

Ce projet de compromis budgétaire semble plutôt orienté vers une stabilisation budgétaire, sans réduction de dépenses massive, ni augmentation d’impôts trop douloureuse.

Ce statut quo budgétaire pourrait donc donner l’occasion à la FED d’initier enfin son désormais célèbre tapering. Enfin, en les réduisant maintenant, Ben Bernanke ménagera une petite marge de manoeuvre à son successeur Janet Yellen, comme Jean-Claude Trichet le fît pour préparer le terrain à Mario Draghi en 2011. Trichet a augmenté les taux… ce qui a permis à Mario de les baisser aussi vite ! À ce niveau, nous nous situons non pas dans le pilotage économique, mais dans le pilotage d’une communication. Rien de plus.

Le tapering sera donc modéré et de courte durée… avant que les injections de monnaie ne reprennent de plus belle. L’économie ne peut tout simplement pas supporter qu’on lui retire ses perfusions.

Restez à l’écoute.

À demain… si vous le voulez bien !!

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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