Comment réussir les réformes systémiques ?

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Par Jacques Bichot Publié le 21 mai 2014 à 2h33

Les réformes systémiques doivent être préparées avant les élections pour que leur mise en œuvre débute sitôt après. L'opposition n'a pas les moyens de le faire. Les lui donner, comme à la majorité, sous une forme qui garantisse leur usage en vue de l'exercice du pouvoir, et non de l'accession ou du maintien au pouvoir, est indispensable pour que démocratie rime avec efficacité.

La France, comme bien d'autres pays, a besoin de réformes systémiques. Celles-ci sont généralement longues à étudier et à mettre en place. Dans certains pays, comme l'Allemagne, les rapports entre la Droite et la Gauche ne sont pas conflictuels au point d'exclure toute reprise, après une alternance, d'une réforme préparée par les prédécesseurs ; la reprise par le Chancelier Schröder des idées maîtresses de la réforme des retraites que le gouvernement Kohl avait préparée, et fait voter juste avant la défaite électorale de la CDU, en est un exemple.

En France, la situation est différente. Pour qu'une grande réforme soit menée à bien, par exemple une remise à plat de la fiscalité ou de la sécurité sociale, il faut impérativement qu'elle soit engagée durant "l'état de grâce" qu'est le tout début d'un quinquennat. Cela suppose évidemment que l'opposition ait eu la possibilité d'aller beaucoup plus loin que l'adoption des grandes lignes d'une telle réforme : toutes les études nécessaires à la rédaction et au vote des lois fixant les dispositions névralgiques du nouveau code général des impôts ou du nouveau code de la sécurité sociale doivent avoir été menées à bien avant les élections.

Cela permettrait de démarrer le travail législatif sans attendre, et d'achever les réformes (textes d'ordre réglementaire et modifications organisationnelles) avant la fin du quinquennat. Mais le travail préalable d'ingénierie de la réforme, celui qui doit être mené à bien avant les élections, comment le réaliser dans l'état actuel des choses ? Les think tanks sur lesquels s'appuient les partis politiques ne disposent pas des moyens requis pour cela. Une démocratie efficace devrait donc mettre à la disposition de l'opposition les moyens nécessaires pour faire ce travail d'utilité publique.

De cette manière, la France pourrait sortir du bourbier où elle s'enlise : à savoir des hommes politiques assez largement aidés pour se pousser vers le pouvoir, ce qui n'a pour effet que d'augmenter le coût de campagnes électorales le plus souvent sans intérêt, et livrés à leurs maigres moyens personnels pour préparer techniquement leur exercice du pouvoir en cas de réussite électorale.

Les campagnes à l'américaine, où les candidats dépensent les dollars comme s'il s'agissait de cents, ne servent nullement l'intérêt général, elles rendent seulement plus onéreux le fonctionnement de la démocratie. Disons-le brutalement : c'est de l'argent jeté par les fenêtres. La hausse des dépenses électorales en France ne devrait donc pas être encouragée par l'État au moyen de subventions. En revanche, la préparation des candidats à l'exercice de leurs fonctions, et plus spécifiquement la préparation des mesures importantes à prendre rapidement après l'élection, serait extrêmement profitable au pays et à ses habitants : il serait donc justifié d'y consacrer des fonds publics.

Certains diront : c'est aux hommes politiques de prendre l'initiative de dépenser pour l'ingénierie de la réforme une partie des dotations de fonctionnement que reçoivent leurs partis. Objection : ils prennent les canards sauvages pour des enfants du Bon Dieu ! L'intérêt personnel d'un homme politique, futur candidat, est d'utiliser tous les moyens à sa disposition pour l'objectif de conquête du pouvoir et des places. De plus, il pensera, et à juste titre, que si lui et ses amis ne gagnent pas les élections, les sommes dépensées pour préparer leur action législative et gouvernementale ne serviront à rien. Inutile par conséquent de compter sur le budget des partis pour financer les études d'ingénierie de la réforme dont dépend la remise en forme du pays.

En outre, le budget de fonctionnement des partis est directement lié à leur réussite électorale : c'est donc la majorité qui dispose des sous, en même temps que des administrations capables de diligenter des études d'ingénierie de la réforme, alors que l'opposition a moins d'argent et moins de facilité pour faire faire du travail aux "services". La démocratie ne peut se satisfaire d'une situation dans laquelle seule la majorité disposerait des moyens de préparer un programme sérieux. C'est pourquoi il convient de financer sur fonds publics la préparation d'un exercice du pouvoir sérieux et profitable au pays, et non celle de la conquête du pouvoir.

Faudrait-il aller jusqu'à la formule anglo-saxonne d'un shadow cabinet ? Cette formule séduisante peut être utile, mais elle n'est pas indispensable. Tant mieux si telle personne peut faire ses gammes avant de jouer sa partition ministérielle devant un immense public. Mais il est encore plus important que des équipes de techniciens se préparent à devenir des pools de technocrates (c'est-à-dire de techniciens dotés d'un réel pouvoir), capables de mettre en œuvre à des postes de responsabilité administrative les réformes qu'ils auront concoctées dans l'opposition.

L'enjeu d'une élection n'est pas uniquement la nomination aux postes typiquement politiques ; elle est aussi très normalement la nomination aux postes de la haute fonction publique dont dépend la mise en œuvre des grandes réformes. Il ne s'agit pas d'aller vers un spoil system à l'américaine, d'ailleurs assez largement pratiqué en France, où des postes prestigieux changent de titulaires simplement pour qu'ils soient occupés par des personnes ayant la bonne couleur politique ; le but serait de faire accéder aux fonctions névralgiques pour les grandes réformes des techniciens imprégnés de la logique des transformations à réaliser au niveau des institutions et des modes de travail.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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