La grogne syndicale monte doucement mais sûrement

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Par Eric Verhaeghe Publié le 9 septembre 2014 à 3h54

La semaine qui vient de s'écouler a confirmé le relative incapacité des syndicats nationaux à organiser une riposte structurée aux propositions gouvernementales, mais elle confirme aussi les risques de mouvements sporadiques spontanés

La politique gouvernementale dans le viseur

L'orientation libérale du gouvernement fournit le principal motif d'une grogne attisée par les centrales « contestataires ». Le principal danger vient de FO, qui a annoncé que le 16 septembre serait une date essentielle: dans l'hypothèse où Manuel Valls engagerait la responsabilité de son gouvernement sur une ligne trop idéologique, FO rentrerait dans un processus d'opposition.

« le gouvernement est en train de jouer son va-tout libéral dans la logique dangereuse de +ça passe ou ça casse+, avec toutes les conséquences que ça peut avoir« .

L'activité de FO semble limitée et prudente à ce stade. Cette menace paraît pourtant plus sérieuse que le mouvement annoncé par la CGT pour le 16 octobre, dont le motif n'a été connu que tardivement (le projet de loi de financement de la sécurité sociale – on ne pouvait pas faire plus obscur), et n'est probablement pas de nature à soulever l'enthousiasme des foules. La CGT ne paraît toutefois pas en état de dépasser efficacement ses tensions internes, même si son secrétaire général soutient le contraire, et même si localement des annonces sont faites.

Le gouvernement peut se féliciter d'un calme syndical certain, avec un soutien de fait affiché par la CFDT. Laurent Berger s'est d'ailleurs porté au secours de Manuel Valls critiqué pour son intervention au MEDEF, et Emmanuel Macron le lui rend bien. La CFTC est allée dans le même sens.

Feu vert sur les seuils sociaux et le travail dominical

Cette sorte de boulevard ouvert devant le gouvernement se confirme sur les grands sujets sociaux du moment.

Par exemple, la question des seuils sociaux paraît déjà réglée, malgré l'opposition de la CGT. La CFDT a confirmé son intérêt pour le sujet, qui donne la quasi-certitude d'un accord à l'horizon de décembre qui devrait répondre à la commande gouvernementale.

Du côté du travail du dimanche, FO a entrouvert la porte des discussions, ce qui laisse là encore entrevoir des ouvertures pour le gouvernement. Toutefois, le travail du dimanche reste un sujet polémique au sein des forces « réformistes ». La CFTC y reste hostile pour des raisons religieuses. A la CGPME, c'est la défense du petit commerce qui rend réticent sur le repos dominical. Au sein même de FO, les réticences de la fédération du commerce en disent long sur les blocages sectoriels en la matière.

Le gouvernement devrait toutefois passer outre, avec des soutiens inattendus ou incongrus comme celui de la CGC. La CFDT a pour sa part réclamé une concertation préalable.

La bourde de Rebsamen étouffée par les syndicats

Dans cette mer d'huile, il a fallu une prompte réaction des leaders syndicaux pour juguler le bad buzz soulevé par le ministre du Travail, auteur de déclarations intempestives sur le contrôle des chômeurs. Tout le monde y a mis du sien pour éteindre l'incendie qui se répandait notamment sur Internet: des déclarations virulentes ont permis de dire tout le mal qu'il fallait penser de ses propos, en ajoutant que l'incident était clos et que l'on pouvait passer à autre chose. On notera la vidéo lugubre produite par la CGT à cette occasion: un appel au calme qui ne dit pas son nom.

Au-delà de ces mouvements de moulinet destinés à cacher le relatif accord des syndicats autour des propositions gouvernementales, rares sont ceux qui ont évoqué la réalité des contrôles, et notamment l'impact de la gestion des ressources humaines au sein de Pôle Emploi.

Les économies de gestion à la Sécu passent sans heurt majeur

Cette passivité relative se retrouve dans les organismes dont les syndicats sont gestionnaires. A la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse par exemple, les organisations syndicales ont évidemment voté contre les suppressions d'emploi, mais elles se sont bien gardées d'entamer le moindre mouvement de protestation contre ces décisions. Ce sont pourtant 4.500 suppressions d'emplois qui sont prévues sur 4 ans, avec d'importantes baisses de budget.

A l'occasion du même conseil d'administration de la CNAV, les syndicats ont aussi pu s'exprimer en toute passivité sur le retard que prendra inéluctablement la revalorisation des petites retraites promise pour le 1er octobre par Marisol Touraine. Encore une promesse non tenue, qui n'inspire que des commentaires, et surtout pas d'action.

Le risque d'un mouvement local spontané

La passivité des organisations nationales n'est pas forcément bon signe: elle donne une place à l'expression de colères spontanées, parfois encadrées par les structures locales des syndicats.

Ainsi, au sein du groupe Mobilier Européen, la section CFDT annonce une grande mobilisation contre le plan de sauvegarde de l'emploi. A Alençon, la CGT est parvenue à réunir 400 manifestants devant le Palais de Justice où comparaissait une syndicaliste accusée d'avoir insulté la femme d'un patron. Une grande partie du combat syndical cherche d'ailleurs aujourd'hui à sécuriser juridiquement les fonctions de délégué. A Salon-de-Provence, ce sont des syndicalistes de FO et de la CGT qui ont bloqué la prison pour protester contre la multiplication des agressions.

Chez Total, la CGT a lancé une alerte sur la sauvegarde de l'emploi.

« C'est un savoir faire industriel, le raffinage à la Mède remonte en 1935, mais aussi une question d'indépendance énergétique. Si on ne raffine plus notre propre carburant, nous serons totalement dépendants, comme c'est déjà le cas pour le bitume de travaux publics que l'on achète en Allemagne ou en Italie, reprend Julien Granato, secrétaire de la CGT du site. C'est une logique d'intérêtgénéral contre une logique financière. La rentabilité du groupe était de 4% en 2012, nous en sommes à 6% aujourd'hui et l'objectif est 14 % en 2020. De Margerie dit que le raffinage en France perd 500 millions, mais le bénéfice est de 9 milliards. On a tout fait pour transformer le raffinage en centre de coût. Nous portons, nous, l'idée d'une industrie propre et adaptée au service des Français. »

Dans le domaine de l'imprimerie, les inquiétudes sont tout aussi grandes.

Les cadres dans le mouvement social?

Dans ce grand écart entre le soutien que les confédérations apportent aux ors de la République et l'agacement local, c'est peut-être la CGT qui a trouvé la clé d'ouverture d'un possible mouvement social. La campagne lancée par le syndicat des cadres, l'UGICT-CGT, sur le droit à la déconnexion, a rencontré un véritable écho. Sa mise en scène médiatique est d'ailleurs habile, avec des expressions qui font mouche comme le « travail au noir des cadres« . Le succès de cette campagne pose question. Est-on sûr que le mouvement social ne viendra pas par un ras-le-bol des cadres qui, tôt ou tard, diront « non » à une organisation du travail de plus en plus productrice de mal-être, et de moins en moins productrice de salaires?

Tensions patronales sur fond de pacte de responsabilité

Les mouvements patronaux continuent pendant ce temps leurs guerres intestines. Cette fois, c'est l'UPA qui lancé une charge contre le gouvernement, accusé de privilégier le MEDEF. Lors de la mise en place de l'obscur COPANEF (eh oui, ça existe même si ça ne sert à rien! c'est ça la simplification), l'UPA a hurlé de voir que le gouvernement ne lui avait réservé qu'un siège, contre six au MEDEF.

La décision du Gouvernement d'accorder une majorité de sièges au Medef montre que l'exécutif a une vision totalement archaïque de l'économie, selon laquelle l'avenir du pays dépendrait uniquement du sort de quelques grosses entreprises.

Le président de l'UPA Jean-­Pierre Crouzet a ajouté : « cette affaire du COPANEF illustre la fâcheuse tendance du gouvernement à prendre des décisions partiales favorables au Medef. C'est inacceptable. L'UPA veillera à ce que les entreprises petites et moyennes ne soient pas laissées pour compte.»

Ces petits avantages accordés au MEDEF s'expliquent en partie par le bourbier du pacte de responsabilité, usine à gaz qui repose sur une cascade d'accords de branche. Le gouvernement a bien besoin du MEDEF pour donner l'illusion qu'il n'a pas donné un chèque en blanc aux patrons. Du coup, le MEDEF occupe la galerie en laissant croire que les branches se mobilisent. Les promesses n'engagent bien entendu que ceux qui les entendent.

La CGPME sur le déclin

La polarisation patronale entre le MEDEF et l'UPA constitue peut-être la nouvelle alternative à la tension traditionnelle entre le MEDEF et la CGPME. Celle-ci paraît marquée par une forme de déclin, qui s'explique en partie par la fatigue de son président Jean-François Roubaud. Du coup, la ligne confédérale paraît complexe à suivre, peu entendue, et certaines fédérations n'hésitent pas à prendre des positions relativement hostiles au libéralisme affiché du gouvernement, notamment sur le travail du dimanche.

Bruits de bottes à la CGT

La CGPME n'est pas la seule organisation qui traverse une mauvaise passe. La CGT continue à ponctuer l'actualité de quelques faits croustillants. Ainsi, lors de sa conférence de presse du 5 septembre, Thierry Le Paon avait fait interdire, sans prévenir son service de presse, l'entrée des locaux à Leïla de Comarmond, journaliste des Echos qui a commis un livre l'an dernier sur la CGT. Cette opération qui en dit long sur la nostalgie de l'ère soviétique à la CGT n'est pas passé inaperçue. Elle ne devrait pas contribuer à renforcer l'image d'un secrétaire général jugé très médiocre.

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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