La Suisse, un des derniers îlots de liberté économique et politique, a succombé au chant des sireines des banquiers centraux. Elle dérive maintenant elle aussi dans le capitalisme de copinage et l'ineptie monétaire.
Nous sommes en Suisse où nous rendons visite à notre argent. Il y a de nombreuses années de ça, nous avons ouvert un compte dans l'une des banques les plus vieilles et les plus prestigieuses du pays. A l'occasion -- généralement au printemps, lorsqu'on peut trouver des asperges à la sauce hollandaise dans les restaurants --, nous venons lui faire un petit bonjour.
La réunion de la semaine dernière n'a engendré ni joie ni déception. Notre portefeuille -- des francs suisses, de l'or et quelques actions -- a pris +2,5% cette année. Pas mal. Pas génial. Satisfaisant. Ceci étant dit, on n'utilise pas un compte en Suisse pour gagner de l'argent. Ou pour en cacher. Ou pour éviter les taxes. Ce temps est révolu depuis belle lurette. On place de l'argent en Suisse dans le seul espoir qu'il sera encore là quand on en aura besoin -- 30 ans plus tard, disons.
"Je n'en serais pas aussi sûr", a déclaré notre banquier suisse. "Notre banque centrale en a fait plus que toutes les autres. Elle a acheté des actifs étrangers pour tenter de maintenir le franc suisse au plus bas par rapport à l'euro. A présent, elle possède près de 500 milliards de positions risquées. En fait, notre banque centrale est un peu comme le plus grand hedge fund de Suisse".
Comme tout le reste du monde développé, les Suisses ont beaucoup de dettes. Nous avons montré une maison à côté du lac. "Combien vaut une telle propriété ?" C'était une maison assez ordinaire, sans distinction particulière sinon qu'elle devait avoir une belle vue sur le Lac de Genève. "10 millions de dollars environ. Mais si vous empruntez à 1%... on parle de mensualités de 8 000 $ environ. Et certains de ces prêts passent à zéro. C'est simple : si les banques empruntent à un taux négatif, elles sont ravies de vous prêter l'argent pour rien. C'est devenu vraiment insensé".
Bretzel et artillerie lourde
On dit que Janet Yellen se fait du souci. Elle s'inquiète de ce que, si les taux sont maintenus artificiellement bas pendant trop longtemps, ça causera des "distorsions" dans l'économie. Nous avons une nouvelle à lui annoncer : toute l'économie mondiale est déjà aussi entortillée qu'un bretzel. Les maisons sont très chères, ici. Les propriétaires tendent à avoir de gros prêts hypothécaires de long terme, à des taux bas. Et comme tout le reste de la planète, ils ne veulent pas que leurs obligations baissent ou que leur devise grimpe.
Jusqu'à récemment, la Suisse menait ses propres batailles dans la "Guerre des Devises", tentant d'empêcher le franc suisse de grimper, de manière à ce que les entreprises suisses puissent continuer à vendre leurs montres et leurs machines-outils au reste de l'Europe. Ensuite, elle a laissé tomber. La Suisse est un petit pays au cœur de l'Europe. Lorsqu'elle a appris que Mario Draghi sortait l'artillerie lourde -- 1 000 milliards de dollars d'assouplissement quantitatif --, la Suisse a levé le drapeau blanc. Elle n'interviendrait plus sur les marchés des devises, dit-elle. Le franc suisse a grimpé en flèche. Notre compte a prospéré.
Aujourd'hui, sur les rives du Lac de Genève, les gens semblent aussi prospères que d'habitude. Les rues sont propres. Les trains arrivent à l'heure. Les horloges sont bien réglées. Lorsqu'on va dans un bon restaurant suisse, on vous offre de vous resservir. Bref, la Suisse semble avoir fait pour elle-même ce qu'elle a fait pour notre argent -- elle n'a pas changé. Mais même la Suisse a été corrompue par le système financier. Elle aussi porte un fardeau de dette si lourd qu'elle n'arrive plus à réfléchir correctement.
Un système perverti
Nous avons essayé de trouver quelque chose de positif à dire au sujet de notre propre génération... les "baby-boomers" qui ont dominé la vie en Occident depuis au moins 30 ans. Mais nous nous heurtons sans cesse au même problème. Nous avons été si avides de protéger nos avantages, notre pouvoir et nos profits que nous avons perverti le système tout entier. Le capitalisme mène à l'avenir... avec l'innovation, l'échec et les surprises. On investit, on perd son argent, on essaie quelque chose de différent et on finit par progresser. Le capitalisme est en permanence en train d'enterrer ses erreurs et de découvrir le futur.
Le copinage, en revanche, vous maintient dans le passé. C'est aujourd'hui et hier qui essaient d'empêcher l'avenir de se produire. Il s'agit de corrompre les dirigeants en place (ils sont remarquablement bon marché -- en termes de retour sur investissement, rien ne leur arrive à la cheville). Restreindre... réglementer... contrôler... mettre en place de la planification centrale... Renflouer des entreprises bien établies... Récompenser les actionnaires... Subventionner les électeurs, les lobbyistes... Et fausser l'establishment politique lui-même, avec ses candidats gériatriques et ses thèmes usés...
Et devinez quoi ? Le copinage dépend de la bulle du crédit. C'est dans l'avenir que se crée la nouvelle richesse. Lorsqu'on essaie d'empêcher ou de distordre l'avenir en lui donnant la forme qu'on souhaite, on empêche cette richesse de naître. C'est donc un transfert entre produire de la richesse maintenant vers prendre de la future richesse pour pouvoir la consommer tout de suite. C'est ainsi que la bulle du crédit est devenue si énorme... et c'est pourquoi personne ou presque ne veut la voir éclater.
Avec le capitalisme de copinage, on doit de l'argent. Les principaux intéressés empruntent de l'argent. Ils dépendent de l'argent emprunté pour leurs budgets, leurs dépenses, leurs primes et leurs portefeuilles boursiers... leurs allocations et leurs privilèges. Ils dépendent tous si lourdement de l'emprunt que peu d'entre eux -- que ce soit dans le milieu universitaire, les médias, les affaires, la finance ou le gouvernement -- voient la vérité, sans parler de la dire. Ils sont tous payés pour ne pas la voir. Et s'ils la voient, ils se taisent. Qui reste-t-il de l'autre côté ? Qui reste-t-il pour dire quelque chose ?
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