Le système bancaire suisse change de visage. Deux associations de banques suisses spécialisées dans la gestion de fortune, l'ABPS (Association de banques privées suisses) et l'ABG (Association de banques suisses de gestion) ont commencé la transition vers des stratégies d'exportation, après l'abandon du secret bancaire sous la pression de la communauté internationale. Elles revendiquent notamment un accès sans entrave au marché des pays de l'UE. Cette stratégie d’ouverture et de prospection va au-delà du vieux continent, avec des ambitions en Asie, aux États-Unis et au Moyen-Orient. Elle se manifeste également par une diversification des activités proposées, gravitant jusqu’alors essentiellement autour de la gestion de patrimoine.
Les banques suisses en quête de nouveaux marchés
Le modèle bancaire suisse est en pleine mutation. La locomotive économique de la Confédération Helvétique parle désormais de reconversion, multipliant les appels de pieds à l’étranger pour s’y implanter. En développant de nouveaux services, mais aussi en demandant une ouverture du marché européen en contrepartie de la fin du secret bancaire, le secteur bancaire suisse souhaite faire peau neuve. Aussi, dans cette optique, les responsables de deux associations de banques suisses, l'ABPS (Association de banques privées suisses) et l'ABG (association de banques suisses de gestion), ont pris les rênes en mains. Les deux groupes représentent 37 banques, gèrent 1 600 milliards de francs suisses (1 596 milliards de dollars) et emploient plus de 20 000 personnes. Le premier territoire visé par ces établissements est l’Union Européenne (UE). Cette initiative ne doit rien au hasard. Elle reflète une réalité factuelle : environ 40 % des fonds gérés par les banques suisses appartiennent à des ressortissants de l'UE, et il est « essentiel », selon les associations, que le secteur, qui se considère comme une industrie d'exportation, puisse travailler « sans entrave, en particulier vers les pays de l'UE ».
« Actuellement les législations en vigueur dans la plupart des pays de l'UE n'offrent pas vraiment cette possibilité », déplore Boris Collardi, président de l'ABG. Cette dynamique est motivée par la surévaluation actuelle du franc suisse, qui aboutit à une injustice. Les banques privées souffrent en effet d'un déséquilibre monétaire entre leurs coûts, qui sont majoritairement (55 % des dépenses) en francs suisses, et leurs recettes, essentiellement en devises étrangères (85 % en moyenne). Le produit brut dégagé par le secteur a en effet reculé de 5,6 %, pour atteindre 25 milliards de francs depuis un an, lorsque la Banque nationale suisse (BNS) a décidé d'abolir le taux plancher. Les banques souhaitent désormais une amélioration des conditions-cadres de leur activité, afin d'éviter une externalisation des services à l'étranger. Si rien n’est fait, à terme, « un processus de délocalisation risque de s'amorcer de manière insidieuse », a averti Boris Collardi. « Du fait de notre modèle d'affaires, la structure de nos coûts et de nos revenus est très semblable à celle des entreprises traditionnelles, telles que l'industrie des machines, l'horlogerie ou le tourisme », a-t-il souligné.
Diversification stratégique, l’exemple de Reyl & Cie
Certaines banques, cependant, n’ont pas attendu la crise du franc pour réagir. C’est le cas de la banque Reyl & Cie qui a su se mettre en pole position dans cette conquête des marchés internationaux. Dès 2003, elle a suivi une stratégie de diversification, qui lui permet aujourd’hui d’étendre son réseau sur plusieurs continents. Grâce à celle-ci, elle a pu, à l’automne dernier, ouvrir son premier établissement à Dubaï. Une filiale qui s’ajoute à une liste déjà longue : Singapour, Londres, Malte et la Californie accueillent déjà des établissements du groupe. Là encore, la diversification est double : géographique et professionnelle, avec la création d’une multitude de nouveaux services et de nouveaux métiers pour prendre en compte les spécificités de ces régions. « Nous avons ainsi l’intention d’y offrir des services à forte valeur ajoutée qui ne se cantonnent pas à la seule gestion de patrimoine privé. Nous visons principalement une clientèle institutionnelle et des entrepreneurs de la région qui sont extrêmement dynamiques et qui peuvent s’appuyer sur des marchés en très forte croissance »,explique François Reyl, directeur général de la banque.
Son succès est dû à l’anticipation des évolutions inévitables que le secteur allait connaitre. « Nous avons compris assez tôt que le métier de la gestion privée traditionnelle serait marqué dans le temps par une contraction des marges et l’augmentation des risques opérationnels », poursuit François Reyl. Aujourd’hui, elle fournit des services de gestion d’actifs (RAM Active Investments), de gouvernance familiale et d’entreprise (Reyl Prime Solutions), de conseil aux entreprises, des services de dépositaire, de négoce et de recherche (« asset services »), de contrôle du risque des actifs, des opérations et des contreparties, d’audits indépendants et de réconciliation de portefeuilles… En proposant ce large éventail de services, la banque a su déjouer l’abandon du taux plancher et la période très volatile sur les marchés depuis le printemps.
Confrontées à des difficultés structurelles nouvelles, les banques suisses n’ont pas d’autre choix que de réinventer leur modèle économique. Une situation qui contraste avec l’image d’établissements rentiers qu’on leur prête souvent. Dans cette course à la diversification, celles qui s’en sortiront le mieux seront nécessairement celles qui auront sur faire preuve de souplesse, de réactivité et d’un certain sens de l’innovation. Celles, également, qui auront eu le nez creux, et commencé leur aggiornamento avant que le vent ne tourne.