Déficit structurel et conjoncturel : une petite affaire de convention

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Par Alain Desert Modifié le 29 novembre 2022 à 10h10

Jusqu’à présent, pour qualifier le solde de nos comptes publics, on parlait de déficit ou bien d’excédent selon qu’il s’avérait négatif ou bien positif, tout simplement. Notez que le mot "excédent" a pratiquement disparu du vocabulaire économique et politique, car à partir de 1975, donc depuis près de 40 années, les comptes de l’état français ont basculé dans le rouge, et à priori pour longtemps encore. Rappelons que la France n’est pas le seul mauvais élève, puisque de nombreux états européens ont usé et abusé de cette technique, soutenant une croissance qui avait quelques difficultés à se maintenir à des niveaux acceptables pour par exemple contrer le chômage ou maintenir la progression du pouvoir d’achat. Alors les habitudes étant tenaces, le retour à l’équilibre loin vers l’horizon, les excédents hors de portée, quelques technocrates talentueux se sont ingéniés à affiner la notion de déficit en lui attribuant de nouvelles propriétés. Eh oui, puisqu’il faut vivre avec encore quelques années (je n’ose pas dire quelques décennies), mieux vaut le décorer pour mieux le supporter.

Deux notions s’immiscent désormais dans l’acception du dit mot (pour le meilleur ou pour le pire) : la structure et la conjoncture, d’où le dédoublement de la forme: l’une sera dite structurelle et l’autre conjoncturelle. Est-ce que cela simplifiera la compréhension de notre santé économique ? Je n’en suis pas très sûr. Je vous propose d’essayer d’y voir un peu plus clair.

Les concepts

Au niveau des concepts, cela ne paraît pas très compliqué, mais qu’en est-il lorsqu’on se plonge dans les détails (on dit souvent que le diable s’y cache). A priori, il n’est pas aberrant de faire la distinction, car un système économique est soumis à des cycles divisés en périodes de croissance, stagnation et récession. Mais en disant cela, on est plus proche de la théorie que de la réalité : les cycles décrits dans les manuels économiques sont assez éloignés de la représentation du réel aussi bien dans la forme que la durée. Si on observe l’évolution du PIB de la France depuis 1945, les périodes de récession sont assez rares et souvent très courtes, à peine perceptibles sur une tendance de long terme. On remarquera plus facilement que depuis 50 ans, la croissance perd 1 point en moyenne chaque décennie (La dernière décennie affiche un taux de croissance moyen de 1% par an, et se rapprochant de zéro si on prend le PIB/habitant).

Ainsi, les supposés cycles sont certainement à l’origine du concept. L’idée est qu’une récession ou une faible croissance aggrave nécessairement les déficits sans pour autant que cela soit inquiétant pour l’économie. Par contre un déficit en période de croissance est beaucoup plus problématique, car la conjoncture ne peut plus être mise en cause et servir de bouc émissaire ; alors elle se tait et laisse s’exprimer la structure.

Dans une vision plus microscopique, celle qui permet de discerner les critères et les paramètres qui feront la différenciation, j’ai l’impression que personne n’y comprend rien, ou pas grand-chose, que les frontières deviennent floues, à géométrie variable, selon ce qu’on veut faire dire aux chiffres. Il sera toujours plus présentable pour un pays d’afficher un déficit structurel assez bas lorsque le déficit "tout court" est élevé, et reporter ainsi la responsabilité sur la conjoncture tout en faisant croire que tout ira mieux avec la prochaine embellie. Si l’Amérique repart, la France repart, et on oublie tout ! Mais ça c’était avant …

Comment distinguer ces deux notions

Le déficit structurel

Le déficit structurel correspond au solde négatif des finances publiques lorsque l'on retire tous les facteurs liés à la conjoncture. Comme le mot l’évoque, ce sont des aspects liés uniquement à la structure du fonctionnement de l’état qui l’explique. A partir de là, il faut donc comprendre ce qu’est une conjoncture. C’est une notion qu’on rattache aux effets à court ou moyen terme du niveau d’une activité économique liée aux cycles que j’ai évoqués plus haut (croissance, stagnation, récession). Car finalement, tout part de l’idée que la normalité est la croissance, et de là une idée sous-jacente démontrant qu'il n'est pas très grave de ne pas atteindre un objectif de déficit global dans une conjoncture défavorable, si parallèlement à cela des réformes structurelles sont engagées. Le déficit structurel disparaîtrait une fois les réformes en question achevées. Resterait alors le déficit conjoncturel, un joueur habile mais plutôt encombrant, épisodique, puisqu’un simple changement de conjoncture le ferait disparaître.

Le déficit conjoncturel

Le déficit conjoncturel, comme son nom le suggère, est celui imputable à la conjoncture. En disant cela, évidemment je n’ai rien dit! Dans la conjoncture on peut par exemple citer les saisons et c’est grâce à elles que l’on a inventé les statistiques dites corrigées des variations saisonnières. Elles sont bien pratiques pour expliquer par exemple des baisses de la consommation lorsqu’il fait froid en hiver (c’est ce qui expliquerait la faible croissance aux Etats-Unis du 1er trimestre !).

Plus sérieusement, le déficit conjoncturel fait son apparition pour tenir compte par exemple d’un niveau de croissance faible, ou de décroissance (je crois qu’on emploie plus volontiers l’expression "croissance négative" !) , relatif à une crise financière, économique, ou géopolitique, censée être transitoire, ou bien d’une augmentation brutale mais passagère du prix des matières premières ou de l’énergie, car dans ces périodes certaines dépenses publiques augmentent plus vite et les recettes diminuent par exemple du fait de la sensibilité des marges des entreprises au nouveau contexte (baisse des recettes liées à l’impôt sur les sociétés). Toutes ces petites misères se volatiliseraient miraculeusement lors d’une reprise. Donc rien de bien grave ! Le problème est que depuis quarante ans, il n’y a jamais eu d’excédents, pas même durant les années marquées par une forte croissance. Le retour aux soldes positifs paraissant irréel, utopique, chimérique, il était donc urgent de mieux qualifier notre déficit public, de lui accorder de nouveaux attributs, pour mieux le comprendre, l’interpréter, l’apprivoiser, le contrôler.

Le problème reste que quel que soit sa forme, sa couleur, sa texture, il est générateur de dette, donc d’intérêts nouveaux, pouvant aggraver le déficit des années suivantes. Le déficit génère le déficit, et cela d’autant plus que sa composante conjoncturelle est importante, car la conjoncture a la fâcheuse tendance à s’incruster en cette période de crise. Alors pourquoi accorder au déficit une sorte de "certificat d’utilité", et mieux encore pourquoi en accepter la chronicité?

Pour résumer, l’élimination des effets conjoncturels conduit donc à évaluer la situation structurelle des finances publiques. S’il y a déficit structurel, cela veut dire qu’il existe une tendance durable à ce que les recettes soient inférieures aux dépenses publiques. De ce point de vue le découpage est instructif.

Cela a-t-il vraiment un sens ?

En théorie, oui, car il est pertinent de savoir à quoi on peut attribuer un solde budgétaire négatif : est-ce la conjoncture qui est mauvaise et qui aggrave le solde, ou bien est-ce dû à la structure de notre économie et au fonctionnement de l’état ? Le problème est qu’un déficit reste un déficit, et quelque que soit la manière dont on l’observe, à l’ombre ou au soleil, les effets restent les mêmes.

La décomposition n'étant pas observable directement, contrairement par exemple aux statistiques du chômage, il n'existe aucun moyen simple, fiable et incontestable de distinguer et de mesurer l'une ou l'autre composante. Cela posera alors de multiples problèmes :

  • 1.Erreurs d‘estimations
  • 2.Tendance à privilégier le déficit conjoncturel au détriment de l’autre pour se soustraire plus facilement à des réformes
  • 3.Désaccord avec les autorités européennes
  • 4.Flou grandissement chez les analystes et les économistes qui auront bien des difficultés à expliquer le distinguo aux français.

Pour parvenir à des chiffres cohérents, représentatifs de la réalité, il est nécessaire de construire des modèles basés sur des hypothèses qui par nature seront contestables et contestées (par exemple, les hypothèses de croissance). Un petit rappel sur les objectifs de croissance du gouvernement pour 2016 et 2017, fixés à 2,25%, nous démontre le peu de réalisme et de sérieux dont font preuve nos dirigeants, car d’une part elles sont jugées irréalistes par une grande majorité d’économistes, et d’autre part, la remarquable précision à deux chiffres après la virgule est assez audacieuse (une performance dans un contexte mondial aussi incertain !). Vous voyez que les "choses" sont loin d’être simples.

Pour compliquer encore un peu, on peut signaler que les deux formes de déficit ne sont pas indépendantes, mais bien corrélées : plus la structure est fragile, plus la conjoncture a un impact important (la crise a sérieusement affecté les pays peu rigoureux dans leur comptabilité, à l’image d’un bâtiment fragilisé structurellement qui serait plus sensible à un séisme). Plus la conjoncture paraît impliquée, plus elle occulte la structure et plus les hypothèses et autres conjectures vont bon train. Conjectures et conjoncture, surtout ne pas confondre ! Alors si les déficits structurels et conjoncturels sont liés, si l’un entraîne l’autre et l’autre entraîne l’un, comment les distinguer ?

Juste un exemple pour concrétiser l’interaction : les déficits cumulés du mandat de Mr Sarkozy dont une part importante est attribuable à la crise ont fait augmenter la dette de plus de 500 milliards d’euros. Le poids de la dette devient alors une composante structurelle de notre économie, car on ne pourra plus compter sur la conjoncture pour la réduire significativement. La conjoncture modifie la structure, et la structure rend plus ou moins sensible à la conjoncture. Vous avez compris, l’homme politique qui interviendra à un rendez-vous du 20h pour faire de la pédagogie sur nos deux déficits devra éviter de s’y préparer la veille !

Pour terminer et en guise de conclusion, une petite histoire plus pédagogique que le long discours que je viens de faire

Une petite histoire

Un patient se rend chez son médecin et lui dit : Docteur, j’ai un problème : je suis souvent enrhumé, un peu plus l’hiver que l’été, mais je peux vous dire que j’attrape des rhumes quasiment toute l’année ; pensez-vous qu’ils sont de nature structurelle ou conjoncturelle ? Imaginez le malaise du médecin ! Après quelques secondes de réflexion, le médecin désemparé répond : si j’ai bien compris, quelle que soit son origine, vous êtes toujours ennuyé avec vos rhumes ! On peut essayer d’adapter le traitement selon l’origine supposée, mais je ne vous promets rien ; vous savez le corps c’est complexe et il ne livre pas si facilement ses secrets !

Bientôt les académiciens pourront qualifier l’expression "excédent budgétaire" comme : vieillie, inusitée.

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Ingénieur en informatique, Alain Desert a longtemps travaillé sur des plates-formes grands systèmes IBM où il a eu l'occasion de faire de nombreuses études de performances. Il est un adepte de l'approche systémique.

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