Le e-commerce impose au retail un contexte de concurrence impitoyable sur les terrains de la visibilité et de la rentabilité. Mais pour les magasins Brick & Mortar, livrant une lutte pieds à pieds pour conserver leurs parts de marché, le combat n’est pas si inégal qu’il y parait. Non seulement il existe encore des outils inaccessibles au e-commerce, mais le e-commerce n’a pas non plus l’exclusivité de l’usage du web.
Il reste des inconditionnels de l’achat en boutique, en bas de chez eux, par habitude ou pour faire perdurer un tissu de commerces de proximité. A l’inverse il y a les accrocs du shopping en ligne, caricaturés en agoraphobes ou en geeks, séduits par la possibilité de l’achat « one clic », livrable en quelques heures. Entre les deux, tout un monde de consommateurs, dont le cœur balance entre l’agrément de la sortie shopping (agrément parfois tout relatif dans les GMS…) et la facilité d’une petite commande web rapide, réalisable du bureau ou dans le train. En résumé, rien n’est véritablement tranché, ni joué d’avance, et tous les types de besoins existent encore. De plus, personne n’a jamais dit que le web était la chasse gardée des multinationales du e-commerce.
Web-to-store et strategies web
« Dans l’idéal, un client devrait pouvoir commencer ses achats en magasin et les terminer en ligne, ou inversement, grâce à une expérience omnicanale cohérente », explique Kerry Lemos, PDG de Retail Pro International. Même constat pour Boris Fleche, responsable professionnalisation de la franchise à la Fédération française de la franchise (FFF) pour qui le principe s’est depuis longtemps transformé en actes : « Aujourd'hui, un franchisé sur deux a mis en place une stratégie multicanale ». Le consommateur commence très souvent ses achats par un tour sur le web, alors le site internet est un outil incontournable : simple, clair, soigné, accessible, il est la vitrine et bien souvent la première impression constitutive de l’expérience client. Dans l’idéal, il doit faciliter les démarches et l’information du client, tout en l’incitant à se rendre en magasin, où la qualité de l’accueil et la plus-value des conseils doivent pour autant justifier le déplacement.
Loin d’être statique dans le temps, un tel dispositif Web peut rebondir sur certaines opportunités en termes de communication. Les magasins But, en pointe sur les stratégies cross-canal, ont ainsi récemment surfé sur la vague Pokemon Go : « Nous avons voulu proposer une expérience de shopping originale en y mêlant le côté ludique du jeu. Nous avons eu beaucoup de retombées médiatiques et cela a généré du trafic dans nos magasins. C’est un vrai cas d’école en termes de marketing », détaille Jessica Empereur, directrice de la communication de l’enseigne But. Internet et toutes les applis que l’on y trouve sont également une formidable opportunité d’amasser d’inestimables données clients, inestimables par ce qu’elles permettront d’optimiser l’expérience client et de fluidifier son parcours d’achat. « Avec le ticket de caisse, le beacon, la tablette vendeur, les bornes, le wifi, les caméras... La quantité de datas disponibles sur les consommateurs explosent », observe Arnaud d'Hoop, CMO & fondateur de Instore.Digital et éditeur d'ID, une plate-forme big data.
Non seulement internet n’a tué ni le petit ni le grand commerce, mais les outils Web sont de surcroît devenus de considérables leviers d’efficacité opérationnelle pour les boutique « en dur ». N’oublions pas que, même chez les pure-players, le web n’est jamais une solution miracle : la rentabilité d’Amazon a ainsi, par le passé, été qualifié de « très faible ». L’entreprise de Jeff Bezos aurait-elle vu trop grand ? Les actionnaires se posent encore la question, mais elle n’est quand même pas prête de mettre la clé sous la porte. Sa dimension globale ne doit néanmoins pas distraire d’une réalité commune à l’immense majorité des commerces : le marché et le « foyer » de consommateurs se situent bien souvent localement.
Think and act local!
Pourquoi le site eBay est-il progressivement en train de céder d’importantes parts de marché à des sites comme LeBonCoin ? Parce que l’achat local, près de chez soi reste une valeur sûre, et rassurante, après l’euphorie des débuts d’internet, la possibilité d’un achat au bout du monde, et les problèmes ou arnaques induits. C’est là une leçon à retenir pour le commerçant séduit par l’aspect « outil de communication global » d’un site web : ne pas négliger la communication locale dans sa zone de chalandise. Le client et le prospect sont souvent des « locaux », avant d’être des internautes.
Dès lors, les commerçants indépendants, comme les enseignes à réseau, ont tout intérêt à occuper « le terrain » physique délaissé par les pure-players. C’est en tout cas ce dont témoigne la vitalité des outils de communication locale tels que les prospectus distribués en boîtes aux lettres, ou encore l’affichage longue durée qui font partie des outils privilégiés par le retail pour capter la clientèle de proximité.
« L’affichage longue conservation constitue un élément indispensable du parcours d’achat d’un client et l’accompagne jusqu’au point de vente », confirme Florian Grill, Président et fondateur de CoSpirit, le leader Français de la communication locale. « On pourrait d’ailleurs envisager l’utilisation de l’affichage longue conservation dans une logique de « guérilla », en positionnant un panneau juste avant l’entrée d’un concurrent situé dans sa zone de chalandise, ou dans une logique de conquête de nouveaux territoires. » Mais attention, poursuit le dirigeant de CoSpirit, « le temps de lecture moyen d’un panneau en longue conservation n’est que de 5 secondes. Cela en dit long sur l’importance de la charte graphique choisie et de l’efficacité du message diffusé ».
La communication locale, du catalogue au panneau d’affichage, n’a rien perdu de son efficacité et continue de représenter des références quasi « naturelles » pour le consommateur, tant elle fait partie du quotidien du consommateur et des fondamentaux du commerce, mais elle n’est pas la seule. Ainsi, chez CoSpirit, on n’hésite plus à marier la communication locale sur-mesure aux solutions digitales mobiles. « Il y a maintenant un volet digital dans toutes les stratégies de communication locale que nous construisons pour nos clients, même si ce volet digital est en réalité complémentaire et ne se substitue pas aux supports plus traditionnels », explique encore Florian Grill. « En l’espèce, le digital nous permet d’ouvrir de nouveaux horizons en touchant une audience à la fois plus large et plus qualifiée, tout en nous adaptant à son environnement de consommation. »
Repenser les fondamentaux
Si Amazon ne connait pas les niveaux de rentabilité des autres GAFA, c’est essentiellement en raison d’une logistique titanesque, taillée pour une entreprise de livraison planétaire. Amazon a au moins un domaine d’expertise : elle sait ce qu’est une chaîne logistique. Or, les leçons tirées sont valables pour tous : la logistique peut (et doit) s’optimiser, tout commerce n’existant que par des flux de marchandises. Résultats tangibles d’une telle optimisation, par exemple chez Picard : « depuis nos entrepôts jusqu'à la poubelle du consommateur, moins de 1% des produits sont jetés, là où le frais traditionnel enregistre 10% de pertes », se félicite Philippe Dailliez, PDG de Picard.
Il sera bien évidemment difficile pour une entreprise unipersonnelle d’envisager plus que l’envoi postal, faute de temps et de moyens, d’autant plus que les pratiques (et le « timing ») d’achat évoluent : « Au Royaume-Uni, des fêtes telles que l’Aïd, le Dipavali et le Nouvel An chinois, constituent de nouveaux temps forts, que les commerçants doivent anticiper. Aujourd’hui, les clients sont décideurs et choisissent eux-mêmes les périodes d’achat qui leur correspondent », précise encore le PDG de Retail Pro International.
Certaines entreprises se mettent donc à disposition des détaillants pour les aider en ce sens : « Nous venons chez le marchand le jour de la vente collecter le produit non-emballé, nous l'acheminons vers nos ateliers d'emballage, nous nous chargeons au besoin de l'asilage, puis injectons le colis dans le réseau des transporteurs", indique Jean-Baptiste Maillan, fondateur de Wing, entreprise de logistique du premier kilomètre. La logistique demande rigueur, précision et anticipation, en plus d’une connaissance fine des habitudes des clients, mais c’est elle qui décidera bien souvent de l’échec et ou de la réussite de l’aventure entrepreneuriale.
Comme toute innovation, Internet reste une source d’opportunités considérable tout en poussant « l’ancien monde » à s’adapter ou à disparaître. Mais des outils web aux applications Big Data, en passant par la communication locale et des prestataires logistiques sur-mesure, le retail est loin d’être désarmé face aux géants du e-commerce.