La stratégie périlleuse des actionnaires de Vivarte : faire peau neuve en pleine mue

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Par Edouard Nadeau Modifié le 29 novembre 2022 à 10h08

Vivarte, anciennement Groupe André, fleuron français du prêt-à-porter riche d'un portefeuille de 22 enseignes parmi lesquelles La Halle, Kookai ou encore Naf Naf, vient d'annoncer un partenariat avec un distributeur asiatique. Les objectifs de cette manoeuvre sont clairs : ouvrir 200 boutiques en 4 ans dans 8 pays, parmi lesquels la Chine. L'exportation est la solution qui devrait permettre à Vivarte de retrouver une santé économique et financière solide. Si tant est que les nouveaux actionnaires du groupe souhaitent persévérer dans cette stratégie.

Au début de l'année 2014, acculé par la baisse de la consommation et ses montagnes de dettes, Vivarte prenait le taureau par les cornes et décidait de restructurer sa dette, soit 2,8 milliards d'euros. Un héritage du montage de son rachat sous forme de LBO (rachat financé par endettement) en 2007. Une opération financière titanesque, presque mission impossible pour Marc Lelandais, PDG du groupe, également tenu de défendre et de mettre en oeuvre sa vision stratégique pour l'entreprise, axée sur la différenciation.

En mars, la holding entamait les pourparlers avec 160 créanciers. Quelques mois plus tard, 12 prêteurs, détenteurs de plus de la moitié du passif, acceptaient de convertir « en fonds propres et quasi-fonds propres » le solde de 2 milliards d'euros de l'ancienne dette moyennant un changement de contrôle capitalistique. Le reste des prêteurs a fini par suivre et l'accord a été adoubé par le tribunal de commerce en juillet 2014.

Régime minceur efficace puisque la dette a été réduite de deux tiers pour un montant de 800 millions d'euros. Les actionnaires ont en outre consenti à injecter 500 millions d'euros supplémentaires pour les investissements. Le groupe « dispose désormais d'une situation financière assainie et renforcée, qui va lui permettre de mener sa stratégie de développement, conforter son statut d'acteur majeur de la mode française grand public, et lui donner les moyens d'un véritable déploiement digital et international », dixit Lelandais.

Le PDG de Vivarte a sans doute mieux à faire que de soigner sa postérité. Il n'a toutefois pas dû lui échapper qu'il avait explosé le record européen du montant de dette effacée dans une entreprise en difficulté sous LBO. Pas certain pourtant qu'il profite des fruits de cette opération pour poursuivre la montée en gamme engagée. Les actionnaires de Vivarte n'ont jamais caché leur préférence pour un autre scénario, qui verrait le groupe démantibulé, cédé au détail. Plus rentable à court terme. En préférant l'option de la montée en gamme et de l'internationalisation, Lelandais, il le sait, s'est inscrit en contradiction avec les fonds d'investissement de Vivarte, cherchant à préserver l'unité et la survie du groupe, suivant sa promesse faite aux salariés.

Pour convaincre ces actionnaires de la pertinence de la manœuvre, le patron du groupe de prêt-à-porter pourrait citer Louis Gallois, qui défendait cette stratégie de différenciation dans son rapport rendu au Gouvernement en novembre 2012. Il pourrait également s'en remettre à Stéphan Bourcieu, directeur général et enseignant chercheur en stratégie au Groupe ESC Dijon-Bourgogne, qui rappelait la pertinence du procédé dans un article l'Expansion paru en juin 2014.

Lelandais pourrait aussi leur vanter les mérites de l'exportation asiatique. L'implantation en Asie devrait rapporter gros. Au regard des opportunités gigantesques que représente ce marché, c'est même sans doute le seul moyen de redresser la barre des résultats du groupe, déclinants depuis maintenant de trop nombreux exercices. Si un nouveau PDG venait à prendre les rênes, il lui serait sans doute impossible de faire l'impasse sur le marché asiatique, ses classes moyennes de plus en plus portées sur les produits occidentaux et ses milliards de consommateurs.

Il pourrait évoquer l'accord signé avec GRI Retail, prévoyant l'ouverture d'une première boutique Minelli en janvier 2015 au Grand Gateway shopping mall de Shanghai et tablant sur un chiffre d'affaires de près de 350 millions de dollars (275 millions d'euros) d'ici quatre ans. Une estimation justifiée par la taille de GRI, l'un des plus importants groupes de distribution de mode et de souliers d'Asie et à la tête d'un réseau de 1200 magasins.

Il pourrait, oui, et il marquerait sans doute des points. Mais pas autant qu'en expliquant aux actionnaires du groupe que, quelle que soit la ligne choisie par le management, la briser pour en changer radicalement en chemin apparaît périlleux. Dans une lettre adressée aux salariés de Vivarte fin septembre, Lelandais expliquait : « Il nous faut être responsables et avoir le courage du temps pour créer de la différenciation, on ne peut corriger des années de sous-investissements en tout par un coup de baguette magique. Les enjeux économiques et sociaux demandent de l'expérience, de l'énergie et de la ténacité au long cours ».

Aggiornamento. Le mot a souvent été entendu dans la bouche de Lelandais depuis sa prise de fonction. Littéralement, il signifie « mise à jour ». Or les utilisateurs réguliers d'ordinateurs que nous sommes savent qu'une mise à jour, quand elle est importante, peut prendre du temps. Ils savent aussi que de ne pas la laisser se dérouler jusqu'à son terme peut avoir de graves conséquences sur le fonctionnement de la machine qu'elle concerne. Si, par impatience, ils interrompent brutalement le processus de restructuration du groupe, les actionnaires s'exposent au même résultat. Ils risquent de réduire à néant les efforts entrepris par Lelandais pour donner un second souffle à Vivarte, tout en esquintant profondément les rouages de la holding.

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Consultant en stratégie, Edouard Nadeau aide les entreprises à façonner leur futur en développant de nouvelles stratégies et en les conseillant sur des choix déterminants pour leur avenir. Il livre pour Economie Matin ses analyses sur des sujets économiques qui font l'actualité.

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