Souveraineté et libre échange : seul, un mandat de négociation très précis permet un bon accord

Par Bertrand de Kermel Modifié le 13 décembre 2022 à 20h38
Budget 2020 Europe France 2
@shutter - © Economie Matin

Après un premier article intitulé : « Souveraineté, l’Elysée est très inquiet », un deuxième publié hier sous le titre : « Perte de souveraineté : par quels mécanismes ? », voici le troisième consacré à la récupération de notre souveraineté perdue. Elle passe par une remise à plat de la mondialisation économique via des réformes radicales.

Si les accords de libre-échange :

  1. Sont muets sur les émissions de gaz à effets de serre résultant des échanges de biens sur la planète, et sur la nécessaire compensation de leurs effets,
  2. Ne contribuent pas à un partage plus équitable de la richesse créée, au respect contraignant des droits de l’Homme et au paiement du juste impôt là où la richesse est créée,
  3. Ne contribuent pas à stopper la dégradation l’environnement,
  4. Et nous font perdre des pans de notre souveraineté,

alors on peut affirmer que le bilan du commerce mondial sera toujours négatif, que le capitalisme continuera de dysfonctionner, et que cela nous mènera au chaos.

Des mandats de négociation des accords de libre-échange flous et creux

Actuellement, les accords de libre-échange ont beaucoup d’effets négatifs sur la vie des citoyens (inégalités etc). Pourquoi ?

Parce que les mandats de négociation rédigés par la Commission européenne et signés par les chefs d’États et le Parlement européen, sont caractérisés par un grand flou et des formules creuses (par exemple, on retrouve toutes les trois pages le mot « ambitieux », qui n’engage absolument personne). Ces mandats sont assez vagues pour permettre tous les abus de l’ultra libéralisme, si bien que la Commission européenne peut toujours affirmer à la fin de ses négociations : « j’ai respecté mon mandat ». Résultat : nous avons perdu des pans entiers de notre souveraineté.

En l’absence de mandats de négociation extrêmement précis sur les attentes des peuples, nous ne récupèrerons jamais notre souveraineté. « Il nous faut un agenda commercial qui soit au service de l'agenda climatique », déclarait le Président de la République à l’ONU. C’est vrai, mais en réalité, il faut aller beaucoup plus loin.

Si nous voulons vraiment récupérer notre souveraineté, les mandats de négociation confiés à la Commission européenne doivent évidemment imposer dans les accords les clauses permettant de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi au respect des droits humains, à un partage plus équitable de la richesse créée, au paiement du juste impôt là où la richesse est créée, et à l’amélioration de l’environnement. Ils doivent imposer des bilans réguliers et une procédure de renégociation des chapitres concernés, si certains objectifs ne sont pas atteints.

La clarté et la précision du contenu des mandats sont les point clé de la réussite des réformes à conduire.

Il faut rédiger en Europe un mandat type qui nous permette de négocier de bons accords de libre-échange pour les peuples et pour les entreprises

Si nous voulons récupérer notre souveraineté, il nous faut donc commencer par élaborer une sorte de mandat type qui doit faire l’objet d’un consensus des citoyens. Ce mandat type sera ensuite aménagé à la marge, au cas par cas, en fonction des pays avec lesquels l’UE négociera.

L’aberration actuelle est la suivante : la Commission européenne est seule compétente pour négocier les accords de libre-échange et c’est également elle qui rédige les projets de mandats, qui bien sûr sont les plus souples possible. Elle est donc en conflit d’intérêt, car plus le mandat est souple, plus sa négociation est facilitée.

Les 28 pays sont ensuite incapables de corriger les projets de mandats que la Commission leur soumet, étant donné qu’ils sont divisés, en raison de la concurrence fiscale, sociale et environnementale féroce, qu’ils se mènent les uns contre les autres. L’impasse est totale.

Aucune réforme des accords de libre-échange n’interviendra tant que ce système aberrant perdurera.

Ce mandat type ne doit pas être rédigé par la Commission européenne, car elle est à la fois juge et partie. Il doit être rédigé dans la transparence, par d’autres acteurs (par exemple les États et leurs parlements, le Parlement européen, la société civile …).

C’est ainsi que nous récupèrerons peu à peu notre souveraineté économique.

La renégociation du CETA est incontournable

Si la France approuve le CETA sans remarques, comme elle est à deux doigts de le faire, elle n’aura plus aucune crédibilité pour exiger à Bruxelles une remise à plat complète des autres accords. Ce serait suicidaire.

Or, contrairement à la communication officielle, le CETA n’est pas un gentil petit accord de libre-échange sans problèmes majeurs. Il va beaucoup plus loin. Il est même crucial sur le sujet de la souveraineté, notamment son chapitre huit, qui traite curieusement des investissements, alors que le CETA est un accord de libre-échange.

Un exemple parmi d’autres pris dans ce chapitre huit : les clauses « statu quo » et « cliquet ».

Elles n’ont encore jamais figuré dans un accord de libre-échange européen. Aucune communication en direction des peuples n’a été faite sur ce point qui est le symbole du néolibéralisme.

De quoi s’agit-il ? À la différence d’une liste positive qui définirait les secteurs devant être placés dans le système marchand, tout le reste étant réservé aux services publics, le principe choisi pour le CETA est la liste négative. C’est redoutable. Cela signifie que les services publics qui n’auront pas été inscrits dans la liste négative ne pourront plus jamais être organisés en services publics. Cela concerne même ceux qui n’existent pas encore.

Cette approche est dénommée « listit or loseit » (schématiquement : « tu listes, ou tu as perdu »). C’est la clause de statu quo.

Qui peut savoir ce que seront la France et l’Europe dans vingt ou cinquante ans ? Pourquoi limiter les marges de manœuvre des futures générations ? De quel droit ?

La clause à effet cliquet est encore plus redoutable : son principe est le suivant « si un gouvernement décide de privatiser un service, le CETA interdit à l’État ou à la collectivité de revenir ultérieurement sur cette privatisation ». Cela ne risque-t-il pas d’être une catastrophe dans trente ans par exemple pour les barrages privatisés si les sècheresses continuent ?

Voilà les conséquences d’un mandat flou aux formules creuses. Les mots clauses « cliquet » et « statu quo » n’y figuraient pas.

On peut aussi citer le système d’arbitrage prévu dans le même chapitre huit. Il a été très rapidement décrit dans l’article d’hier. Personne n’a jamais été capable d’écrire deux pages pour démontrer que ce système d’arbitrage est intéressant pour les peuples. Bon nombre de pays, échaudés, ne veulent plus en entendre parler.

Il existe une solution alternative qui a fait ses preuves pour régler ce sujet dans l’intérêt de toutes les parties prenantes.

Elle fera l’objet du quatrième et dernier article qui sera publié demain.

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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