Soudan, pour Abdul Wahid al Nour « le départ d’Omar el Béchir n’est qu’un début »

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Par Michel Delapierre Modifié le 13 avril 2019 à 17h35
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@shutter - © Economie Matin

Abdul Wahid al Nur est né en 1968 dans l’Ouest du Darfour. Diplômé en droit de l’Université de Khartoum en 1995, il a exercé comme avocat avant de se consacrer entièrement à son activité politique à la tête du MLS, principal groupe d’opposition du Soudan. Musulman modéré, il vit en exil à Paris depuis plusieurs années. Interview exclusive.

Quel role a joué le MLS dans l’insurrection actuelle au Soudan?

Notre mouvement est impliqué dans les manifestations depuis décembre dernier. Nous aidons au mieux de nos capacités sur le terrain et je coordonne depuis l’Europe.

Depuis 17 ans, nous nous battons pour que la situation change dans le pays, pas seulement au Darfour. Nous avons posé les fondations du mouvement, c’est-à-dire commencé d’abord par changer les mentalités afin que les gens aspirent à plus de liberté et in fine à la création d’un pays assurant une égalité des droits entre les citoyens et dans lequel la religion et l’État soient séparés.

Le clan d’Omar el-Béchir dépendait de la division des Soudanais pour maintenir son pouvoir, une division géographique, religieuse, ethnique, il jouait sur toutes sortes de divisions. Donc notre vision fut d’unir le peuple, c’est ce que nous avons appelé « l’éducation pour la libération » : vous êtes UN pays, UNE nation.

Nous nous sommes battus pour cela durant toutes ces années. Nous avons beaucoup souffert mais nous avons toujours refusé la moindre compromission avec ce gouvernement. Notre vision est en train de gagner car il y a aujourd’hui au Soudan une génération qui s’est libérée de ces anciennes divisions, une génération qui croit en l’égalité, sans discrimination. C’est une nouvelle génération qui manifeste dans la rue, elle refuse les compromissions, exactement comme nous. Ces jeunes ont la même mentalité.

Êtes-vous surpris par la chute de Omar el-Béchir ?

Non bien sûr ! Nous savions que cela arriverait un jour et nous nous battions pour que cela arrive le plus tôt possible. Ce qui a commencé le 19 décembre dernier ne peut plus être stoppé. Les gens n’en pouvaient plus et sont désormais prêts à se battre, à se sacrifier même si cela est nécessaire. L’insurrection a démarré de manière très spontanée et aucune organisation ne peut revendiquer le fait d’en avoir été le déclencheur unique. C’est le fruit d’un combat du peuple uni, hommes et femmes, de toutes les régions du Soudan. Le mouvement actuel est également principalement porté par des jeunes, comme en Algérie. Ces jeunes-là ne veulent plus de l’ancien système, ils veulent que tout change, pas seulement Béchir.

Que pensez-vous du coup d’État militaire qui a eu lieu hier (11 avril) et d’une transition menée par les militaires durant les deux prochaines années ?

Cela n’est pas acceptable et le peuple ne les laissera pas faire. Les gens n’abandonneront pas maintenant. Grâce à la rue, Bashir a été poussé vers la sortie, le peuple désire un changement profond, pas un habillage cosmétique. Des gens ne sont pas morts juste pour que les hommes de Bashir prennent le relais. Le peuple n’est plus dupe et nous allons continuer à occuper les rues jusqu’à ce qu’il y ait un vrai changement.

Comme vous avez pu le voir, les gens sont restés dans la rue toute la nuit malgré le couvre-feu.

Les militaires hauts gradés sont isolés du reste de la société, alors que les soldats du rang protègent la population car ils font partie de la même génération. Ils n’ont aucun intérêt à protéger le régime. Ce sont leurs sœurs, leurs mères et leurs frères qui manifestent : ils ne peuvent pas prendre le risque de leur tirer dessus.

Que souhaitez-vous désormais ?

Un gouvernement de transition dirigé par des civils, une coalition large représentant l’ensemble de la population soudanaise. Ce gouvernement sera chargé d’organiser des élections dans les meilleurs délais, d’établir une paix réelle sur l’ensemble du territoire et de reconstruire l’économie avec l’aide de partenaires internationaux.

N’êtes-vous pas inquiet d’éventuelles ingérences étrangères ?

Honnêtement, non. Bien sûr, nous sommes conscients de ce dont les Russes sont accusés de faire en République Centrafricaine ou à Madagascar mais la situation au Soudan est différente. Le Soudan est un pays complexe et un seul acteur, aussi puissant soit-il, ne serait pas en mesure d’influencer le processus en cours. D’autant que le peuple soudanais n’est pas naïf. Les gens rejettent toute forme de manipulation, ils sont unis. Nous accueillons l'aide de nos partenaires étrangers, qu’il s’agisse de l’Union Africaine, de l’Europe, de la Russie, de la Chine, des Etats-Unis, de la Turquie, du Qatar, de l’Arabie Saoudite etc…. mais nous gardons les idées claires et savons nous débrouiller.

Quelle est votre vision du futur ?

Une vision à court terme tout d’abord : nous allons continuer à nous battre jusqu’à la victoire et nous assurer que notre combat ne soit volé par personne.

Une vision de long terme ensuite : un Soudan séculaire, libéral et uni, pour permettre un développement au service des citoyens.

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