Sodiaal (Candia) : une économie pas si coopérative

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Par Ludovic Grangeon Modifié le 13 novembre 2012 à 8h57

Le groupe coopératif Sodiaal a annoncé, jeudi dernier, un projet de fermeture de trois sites de conditionnement de lait de consommation de Candia d'ici à 2014, qui impliquerait la suppression de 313 postes, selon un communiqué du groupe. Le site de Saint-Yorre dans l'Allier est concerné, ainsi que Lude (Sarthe) et Villefranche-sur-Saône (Rhône).

La Sodiaal réussit l’exploit de cumuler quatre maladresses dans ce choix de date : la semaine où le rapport Gallois sur la compétitivité est publié, au mois de novembre traditionnellement réservé à l’économie sociale, lors de l’ouverture des Journées Nationales de l’Economie intitulées « Peut on faire autrement ? » et aussi du Congrès international à Paris sur « la diversité et la durabilité des modèles agricoles coopératifs ».

Bien plus inquiétant, cette triste annonce ne fait qu’ajouter à une série de doutes sur la stratégie et les valeurs de la Sodiaal. Cette mesure n’est qu’un épisode supplémentaire de l’influence croissante depuis 2002 d’une équipe de golden boys bien loin de l’économie coopérative, maraudeurs plus durs que purs du capitalisme financier, à partir d’un groupe de fonds de pension dans le sillage de BNP Paribas : PAI Partners.

Dans le milieu des coopératives, beaucoup d’acteurs sont attachés à ce modèle qui permet souvent de mieux résister à la crise. Les « think tanks » programment tous leur évènement de « responsabilité sociétale » ou d’économie sociale et solidaire. Il en est ainsi de l’opération en cours entre PAI Partners et la Sodiaal, mais cet épisode prend alors une autre intensité.

Ce n’est pas la première fois qu’un tel ratage se produit. La mutation soudaine de pans entiers de nos entreprises gérées sous forme d’économie sociale est souvent passée quasi inaperçue. Les grandes stratégies financières sont évoquées : « accompagner le développement de la société qui est capable d’autofinancer sa croissance ». Pourquoi, d’ailleurs, faut-il accompagner sa croissance, si elle peut se développer toute seule ? Parce que la vente de 50% de Yoplait peut rapporter gros, très gros. Après avoir mis 70 à 200 millions en 2002, le retour est de l’ordre d’un milliard et demi.

Les poids lourds du secteur ont tous pointé le nez, de Nestlé à Pepsico ou Lactalis, dédaignée alors qu’elle visait la totalité du projet industriel du groupe. Pas assez financière, elle voulait peut-être garder trop d’emplois ? Une fois cette somme déboursée, ces sociétés voudront à leur tour récupérer leur investissement. Elles exigeront des rendements encore plus élevés de leur nouvelle acquisition qui sera vendue à son tour…etc… c’est ainsi que «le capitalisme est en train de s’autodétruire », chaque requin mangé à son tour par un plus gros, jusqu’au jour de l’indigestion finale, où tout le monde sera rentier. Beaucoup ignorent la formule visionnaire de René Lenoir : « le sourd craquement du monde ».

Jusqu’ici, rien que de tristement banal, au profit du rendement, à tout prix, à court terme. Le problème est que cette opération, déjà tragique, est aussi dramatique.


Dans son Discours de la servitude volontaire, Etienne de La Boétie décrit trois sortes de tyrans : « Les uns règnent par l’élection du peuple, les autres par la force des armes, les derniers par succession de race ».

La Sodiaal est, « comme les autres, une entreprise, mais pas une entreprise comme les autres », ainsi que le retient la formule de l’entreprise sociale. Elle fonctionne en modèle coopératif, « né en 1964 d’une conviction forte ». Les entreprises qui appartiennent à ce secteur adhèrent à des valeurs fondamentales, partagées par tous les membres : solidarité, respect des personnes, équité et transparence, des règles de fonctionnement claires et connues de tous.

Lors de la cession de Yoplait, le créateur historique, la Sodiaal, était mis au second rang derrière PAI Partners. On parlait de « tendances de consommation, d’offre, de leader ». La seule date symbolique retenue était celle de 2002, entrée de PAI Partners au sein de Yoplait, montrant ainsi clairement où était le pouvoir . Aujourd’hui, on oublie carrément les sociétaires pour parler de collaborateurs, revenant à des modèles archaiques.

Au moment où la plupart des stratèges suivent Michael Porter évoquent les valeurs sociales, le capitalisme raisonné, cette gestion d’un autre âge est bien loin de la souplesse réactive des instances coopératives, renommées pour leur management adapté à la période présente du buzz, de la commande réactive, de la communication instantanée, de la créativité avec le client et des changements soudains. Cette influence croissante de PAI Partners évoque lourdement la venue de Jean Marie Messier chez Vivendi. Un banquier d’affaires n’est pas un industriel, ça se saurait… espérons que la suite ne donnera pas lieu aux mêmes errements, car la perte de confiance tue la croissance.

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Ludovic Grangeon a été partenaire de plusieurs réseaux d’expertise en management et innovation sociale de l'entreprise. Il milite à présent pour le développement local et l’équilibre des territoires au sein de différentes associations. Il a créé en grande école et auprès des universités  plusieurs axes d’étude, de recherche et d’action dans le domaine de l’économie sociale, de la stratégie d’entreprise et des nouvelles technologies. Il a également été chef de mission et président de groupe de travail de normalisation au sein du comité stratégique national Afnor management et services. Il a participé régulièrement aux Journées nationales de l’Economie, intervenant et animateur. Son activité professionnelle a été exercée dans l'aménagement du territoire, les collectivités locales, en France et auprès de gouvernements étrangers, à la Caisse des Dépôts et Consignations, dans le capital risque, l’énergie, les systèmes d’information, la protection sociale et la retraite.

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