Et si la solution à la crise ukrainienne venait du? Turkménistan ?

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Par Franck Descamps Publié le 11 mai 2015 à 13h03
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@shutter - © Economie Matin
300%En Ukraine, début février, les prix de l'énergie ont augmenté de près de 300 % au détail.

L'Ukraine, aujourd'hui à la dérive économiquement, cherche de nouveaux fournisseurs en énergie - spécialement pour le gaz naturel, son principal fournisseur étant aujourd'hui directement engagé pour soutenir les séparatistes de Donetsk et Lougansk contre le pouvoir central de Kiev. Le Turkménistan offre une solution intéressante, bien que des obstacles doivent être écartés afin de concrétiser ce partenariat. La figure émergeant de Dmytro Firtash, homme d'affaires jusqu'alors discret, semble s'imposer comme médiateur sur ce dossier.

L'état de l'économie ukrainienne est crépusculaire. Inflation (24,9 %), dévaluation de la monnaie (près de 70 % par rapport au dollar), PIB en chute libre (6,8 %), exportations quasi nulles et Etat au bord de la faillite. Cette crise profonde est à la fois causée aujourd’hui par la guerre, hier par la corruption et avant-hier par le soviétisme responsable de graves problèmes structurels. Dans le pays, les produits de première nécessité manquent tellement que le gouvernement a décrété des mesures de rationnement à partir du 25 février. De plus, les nouveaux prêts-relais du FMI sont assortis de conditions sévères : réductions draconiennes des dépenses sociales, augmentation des prix de l’énergie au détail, qui ont bondi de presque 300 % au début février.

En mars, l'Ukraine et l'UE ont signé à Bruxelles une déclaration conjointe sur la modernisation des gazoducs ukrainiens, qui a fixé les engagements que Kiev devait prendre pour obtenir une assistance financière occidentale. Le document ukraino-européen ignorait largement la Russie, principal fournisseur de gaz pour les gazoducs ukrainiens. Aujourd'hui plus que jamais, l'Ukraine ne fait pas de secret sur sa volonté de sorti de sa dépendance énergétique vis-à-vis du géant russe Gazprom, de loin le plus important fournisseur du pays. Aussi, la visite du président Petro Porochenko au Turkménistan, fin mars dernier, est clairement un pas dans ce sens.

En effet, le Turkménistan a longtemps exporté de vastes quantités de gaz naturel vers la Russie. Bien qu'il n'y ait pas de rapport contractuel fixe, on estimait ces exportations à 45 milliards de mètres cube de gaz par an, jusqu'à ce que subitement, en 2009, Moscou baisse ces transactions de manière draconienne, pour atteindre un chétif 4 milliards annuel. Depuis, Achgabat (la capitale) a répété ad nauseam qu'elle cherchait de nouveaux débouchés pour son gaz naturel. Le pays s'impose donc assez naturellement comme un futur partenaire d'importance pour l'Ukraine, d'autant que celle-ci pourrait se remplumer en exportant sur son vaste réseau de pipelines ce même gaz vers l'Europe occidentale, également en demande après le refroidissement des relations avec la Russie autour de la crise ukrainienne, et l'abandon du projet de gazoduc South Stream - reliant directement la Russie et l'UE.

Seulement, un certain nombre d'obstacles séparent encore Kiev et Achgabat dans la signature d'un accord. Le premier est la concurrence chinoise. Le géant asiatique a en effet commencé à courtiser le Turkménistan pour importer d'importantes quantités de gaz naturel - et on connaît les besoins gargantuesques du pays en matière d'énergie. Pour faire pencher la balance vers l'orient, l’Agence internationale de l'énergie (AIE) prévoit que la consommation chinoise de gaz va doubler d'ici 2020, ce qui en fait un marché très attractif. De plus, l'économie chinoise est florissante - le pays est en bonne voie pour très prochainement devenir la première puissance mondiale (certains experts affirment que c'est déjà la cas). L'économie ukrainienne est, on l'a vu, actuellement dans un triste état.

Il n'est pas pour autant exclu qu'un habile négociateur puisse faire comprendre aux Turkmènes qu'un engagement auprès de l'Ukraine est dans les faits également une entrée dans l'UE - marché convoité s'il en est. Or il apparaît aujourd'hui de façon de plus en plus évidente qu'il manque au gouvernement de combat de Porochenko un tel profil. Et ce manquement apparaît comme une difficulté majeure en ce qui concerne l'approvisionnement du gaz turkmène en Ukraine. En effet, le seul moyen est de transiter par des réseaux de pipelines préexistants. Or, le seul susceptible de connecter les deux pays n'est autre que le réseau de Gazprom.

La crise ukrainienne a lourdement plombé la situation financière du géant gazier russe en 2014. Gazprom a expliqué cet effondrement par deux principaux facteurs. La chute du rouble, d'une part, qui a entraîné un renchérissement de la valeur de ses emprunts en devises étrangères, et a alourdi de 925 milliards de roubles (16 milliards d'euros) sa perte liée aux effets de changes par rapport à 2013. Les sanctions européennes visant les compagnies russes ont, d'autre part, également largement affecté les exportations du groupe, faisant s’effondrer son chiffre d'affaires de… 70%. La société gazière cherche depuis de nouvelles sources de revenus, et un contrat de transit représente pour elle un retour de fonds facile.

Pour autant, si la compagnie n'a pas toujours suivi au doigt et à la baguette la politique internationale du Kremlin, ses « écarts de conduite » restent modérés. Négocier directement avec Kiev - ennemi actuel de Moscou - serait considéré comme une provocation trop directe à l'égard du président russe Vladimir Poutine, dont la mainmise sur une grande partie de l'économie de son pays n'est un secret pour personne. Le PDG de Gazprom Alexeï Miller à trop à perdre personnellement et pour son groupe pour s'attirer le courroux de l'homme fort de Russie. Là aussi, un besoin cruel se fait ressentir pour un tiers susceptible de mener à bien ces négociations.

Or, ces dernières semaines, un homme semble s'imposer avec de plus en plus d'évidence comme acteur majeur dans la réconciliation russo-ukrainienne, la réunification nationale, et la sortie de crise du pays. Il s'agit de l'oligarque Dmytro Firtash. Son projet d'Agence de Modernisation de l'Ukraine (AMU) a su séduire d'éminentes figures internationales  : l’Ancien Premier Ministre polonais Wlodzimierz Cimoszewicz, l’ancien Vice-chancelier d’Autriche Michael Spindelegger, l'ancien ministre des finances allemand Peer Steinbruck, Laurence Parisot ou encore l'ancien Président sud-africain et pris nobel F.W. de Klerk, pour n'en citer que quelques-uns. Son approche est en effet de mettre toutes les parties autour d'une table, de comparer les intérêts et de s'arranger pour que chacun obtienne ce qui lui tient le plus à coeur - un méthode gagnant-gagnant, en somme.

De plus, Firtash dispose d'une expertise tant dans le domaine - il a construit la majorité de sa fortune en exportant du gaz russe en Ukraine - que dans l'art de la négociation. On peut rappeler la précédente crise du gaz majeure entre les deux pays en 2006. Face à une réduction des exports de gaz russe, pour faire pression sur gouvernement de Kiev, Firtash, par le biais de sa compagnie RosUkrEnergo, avait fait venir du gaz turkmène et kazakh. Il avait même à l'époque obtenu un prix très compétitif de ces deux pays (60 $ les mille mètres cubes) forçant la Russie à baisser ses tarifs pour faire face à la concurrence.

L'annonce par le gouvernement ukrainien de l'ouverture d'une ligne aérienne directe entre Kiev et Ashgabat semble être un pas dans le bon sens – le projet avait été suspendu en 2009. Porochneko semble avoir compris que le Turkménistan allait jouer un rôle majeur dans le redressement de son pays. Espérons qu'il pourra mener la démarche à son terme, et qu'il confira la gestion de ce volet majeur aux personnes les plus compétentes.

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Analyste risques pays, je propose des services de conseil et de formation en géopolitique aux cadres dirigeants, dans la perspective du développement à l'international de leurs entreprises. Spécialiste des marchés émergents eurasiens depuis plus de 15 ans.

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