Pendant longtemps, les carrières professionnelles des salariés de la branche de la Métallurgie ont été régies par plus de soixante-dix conventions collectives. En conséquence, les normes applicables aux périodes d’essai, aux préavis, aux congés exceptionnels, aux minima salariaux, aux indemnités de licenciement et à bien d’autres choses ont différé d’un territoire à l’autre. Ces dernières années, l’UIMM (Union des Industries et Métiers de la Métallurgie) et les fédérations syndicales concernées ont pris part à une série de négociations qui ont abouti, le 7 février 2022, à la signature d’une convention collective nationale.
La complexité juridique : un mal français chronique
Les dirigeants étrangers nous reprochent souvent d’avoir un droit du travail insuffisamment libéral, trop compliqué et perpétuellement changeant. En 1976, Alain Peyrefitte dénonçait déjà, dans Le mal français, les méfaits d’une législation encombrante, qui finissait par donner aux salariés « une mentalité d’assistés ». Ces critiques sont largement reprises aujourd’hui par Agnès Verdier-Molinié, dont la Fondation pour la Recherche sur les Administrations et les Politiques publiques fustige « des minima sociaux tout au long de la vie, la couverture maladie gratuite, des aides diverses » qui dissuaderaient certains de nos concitoyens de prendre part à l’effort productif national. Les récentes déclarations de la députée Sandrine Rousseau en faveur d’un « droit à la paresse » risquent fort de ne pas calmer les esprits…
Au-delà de la dénonciation d’une culture de l’assistanat, il paraît peu contestable que nous souffrons surtout d’une inflation normative. Le Code du travail compte aujourd’hui plus de trois mille pages, c’est-à-dire trois fois plus qu’au milieu des années 1980. Si certains juristes relativisent en expliquant que bon nombre d’articles sont des applications pures et simples de directives européennes, il n’en demeure pas moins que ce code s’épaissit en moyenne, chaque année, d’une soixantaine de nouvelles pages. Une des particularités regrettables du droit français est que la multiplication des lois et des décrets n'empêche pas une véritable dérive jurisprudentielle puisque la chambre sociale de la Cour de cassation rend des arrêts sur des sujets de plus en plus divers, se permettant même parfois des revirements dans l’interprétation des textes et le traitement des contentieux.
Standardisation de la gestion des emplois et des compétences, obsolescence des grilles de classification, atonie du dialogue social, judiciarisation de certaines formes de rupture du contrat de travail, lourdeurs administratives puis, in fine, frein à l’embauche et précarisation d’une partie des emplois : les effets pervers de l’inflation normative sont connus. Dans leur livre Un autre droit du travail est possible, l’économiste Bertrand Martinot et l’avocat Franck Morel dénoncent tout particulièrement les absurdités qui résultent des antagonismes entre pouvoir exécutif, pouvoir législatif, pouvoir judiciaire et partenaires sociaux. Ils expliquent notamment : « la fabrique de la norme produit des textes inutilement compliqués et instables. Même lorsque l’intention initiale était de simplifier. Oscillant entre hubris étatique, créativité judiciaire et négociations entre des partenaires sociaux eux-mêmes touchés par le virus bureaucratique, ce processus de fabrication n’a aucune chance d’aboutir à des textes clairs, stables et applicables ». Les deux experts en arrivent à la conclusion que notre législation sociale est devenue une accumulation « de réformes inabouties, bâclées, dénaturées ».
La convention collective nationale de la Métallurgie : un exercice réussi de simplification
La réduction du nombre de conventions collectives est une idée souvent évoquée lorsqu’il est question de simplifier le droit du travail, et ce d’autant plus que la plupart des branches sont peu actives. C’est exactement ce qu’ont réussi à faire les partenaires sociaux dans la Métallurgie en signant une seule et même convention collective nationale, dont l’entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2024.
Lorsqu’ils prennent connaissance du contenu de cette convention collective nationale, les praticiens de la gestion des ressources humaines ont le réflexe compréhensible de s’intéresser avant tout à une nouvelle classification des emplois et au « guide pédagogique » qui y est consacré mais, de la lecture de ce texte, ressort surtout le constat d’une grande maturité. Les partenaires sociaux admettent désormais la nécessité « d’un dialogue social équilibré » et reconnaissent « l’importance du rôle de la représentation du personnel, élue ou désignée » pour éviter les conflits. En cas de divergence sur les modalités d’application du texte conventionnel, les signataires se donnent la possibilité de saisir une instance de conciliation et de négocier un « avenant interprétatif de la disposition litigieuse », ce qui réduit les risques de judiciarisation.
Si les Français ont longtemps opposé croissance économique et progrès social, développement de l’entreprise et intérêts des travailleurs, évolution des organisations et résistance au changement, ouverture au dialogue et culture du rapport de force, les signataires de la nouvelle convention collective s’accordent sur l’ambition de rendre enfin le droit « plus simple, plus accessible, plus juste, socialement et économiquement plus performant » sans pour autant remettre en question les droits des salariés et de leurs représentants. Ils entendent ainsi « promouvoir une industrie forte, compétitive, prospère et porteuse d’innovation sociale » en permettant notamment de recourir à « l’expérimentation conventionnelle » pour que des employeurs puissent essayer de nouveaux modèles d’organisation et d’aménagement du temps de travail.
Qui plus est, les partenaires sociaux prennent acte « des évolutions sociétales, réglementaires, technologiques, environnementales et organisationnelles » qui touchent le monde du travail. La nouvelle convention collective intègre ainsi des changements juridiques importants comme le droit à la déconnexion et tout ce qui concerne la « prévention du licenciement pour motif économique », les employeurs étant explicitement appelés à procéder à des modifications des contrats de travail, à la négociation d’accords de rupture conventionnelle collective ou à « faciliter les transitions professionnelles » avant que l’entreprise n’ait à recourir à des mesures de restructuration.