De l’utilité des sigles pour mieux appréhender l’économie mondiale

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Par Julien Gautier Modifié le 28 juillet 2018 à 8h41
Sigles Brics Gafam Natu
@shutter - © Economie Matin
40%Les pays BRIC rassemblent 40% de la population mondiale.

Certains acronymes (BRIC, GAFA etc.) s’imposent dans l’univers médiatique en mettant en lumière un phénomène incontournable. Preuve de la fragilité des hiérarchies, ils peuvent se faire détrôner rapidement…

En 2001, Jim O’Neill, économiste chez Goldman Sachs, évoque pour la première fois dans une note l’acronyme BRIC. Le concept peut alors sembler farfelu : rassembler sous la même bannière le Brésil, la Russie, I’Inde et la Chine a de quoi surprendre. Ce sont des économies émergentes mais qui diffèrent entre elles : deux démocraties, deux régimes autoritaires, des zones géographiques et des cultures très différentes etc. Pourtant, les années 2000 vont être marquées par le décollage impressionnant des pays émergents. La Chine, entrée dans l’OMC en 2001, va connaître une croissance phénoménale, l’Inde va se faire une place au soleil grâce à la force de sa matière grise (Bangalore). Quant au Brésil et à la Russie, l’envolée des cours des matières premières (la demande chinoise y est pour quelque chose !) va leur apporter des ressources financières conséquentes.

Jim O’Neill avait vu juste : les BRIC sont devenues à la mode dans les salles de marché. En 2008, Etats-Unis et Europe plongent dans la plus grave crise financière depuis 1929. Où se tournent alors les gérants en quête d’opportunités pour leurs clients en panique ? Vers les fonds BRIC pardi ! L’acronyme bricolé par Jim O’Neill s’est ainsi imposé à l’échelle de la planète et pas seulement comme une thématique d’investissement. En 2009, la Russie organise même le premier sommet des BRIC à Ekaterinbourg. Un sommet à quatre qui rassemble 40% de la population mondiale ! En 2011, l’Afrique du Sud deviendra le cinquième membre de ce club prisé (le S de BRICS).

Pourtant, Goldman Sachs a dû fermer son fonds BRIC dès 2015 en le fusionnant avec un fonds plus large dédié aux marchés émergents. Entre temps, d’autres marchés se sont révélés beaucoup plus dynamiques. Entre son pic de 2010 et 2015, le fonds avait perdu 88% de ses encours et près d’un quart de sa valeur. La faute à une Russie et un Brésil plongés dans une profonde récession et à une Chine tombée à moins de 7% de croissance annuelle. Mais la leçon mérite d’être entendue : Goldman Sachs a créé un concept qui s’est imposé dans le débat public parce qu’il décrivait un phénomène incontournable au mitan des années 2000 : le décollage spectaculaire des grandes économies émergentes. Aujourd’hui, plus personne n’ignore les BRIC et la puissance économique et politique de ces pays sur la scène mondiale.

La révolution digitale propice à l’essor des acronymes

La communication « siglée » a de l’avenir. Parce que nous avons besoin de comprendre le monde qui nous entoure, les observateurs de l’économie mondiale ont tout intérêt à essayer de déceler une tendance révélatrice des mutations en cours, si possible avant les autres. La révolution digitale renforce le phénomène car les hiérarchies se modifient à toute vitesse. Le monde entier parle aujourd’hui des GAFA. Ce sigle s’impose comme une évidence : les géants américains Google, Apple, Facebook et Amazon ont pris tellement de place dans nos vies qu’ils sont devenus les symboles de la nouvelle économie et de la domination américaine. Avec Microsoft, le sigle GAFAM a également tendance à s’imposer.

Mais là où un sigle triomphe, d’autres apparaissent déjà et précisent certains concepts. Après tout, les GAFA ont connu leur essor dans les années 2000. So old ! Ces leaders incontestables dans leur domaine d’activité ne décrivent pas aussi bien la révolution digitale en cours que les… NATU. En regroupant Netflix, Airbnb, Tesla et Uber, on touche ici à « l’ubérisation » de nos économies, l’essor de la plate-forme ou de l’entreprise sortie de nulle part (ou presque) et qui vient bousculer les grands noms d’un secteur. Maurice Lévy, l’ancien patron de Publicis, avait donné une définition amusante du concept d’ubérisation : « C’est quand on se réveille soudainement et que son métier historique a disparu ». Le tsunami de la révolution digitale chamboule tous les secteurs : Netflix détrône les grandes chaînes de télévision, Airbnb ringardise les chaînes d’hôtel classiques, Telsa change le futur de l’automobile. Enfin, Uber révolutionne le taxi traditionnel.

Les GAFA et les NATU vous laissent sur votre faim ? A Wall Street, on préfère évoquer le parcours tumultueux des FANG… Avec Facebook, Amazon, Netflix et Google, les investisseurs se concentrent plus particulièrement sur l’économie immatérielle, la puissance d’internet. Tesla et Apple restent des concepteurs de produits manufacturés et doivent, par conséquent, obéir à des contraintes globalement différentes même si le périmètre de ces groupes, comme celui des FANG, évolue sans cesse. Néanmoins, chaque acronyme se justifie, se démode et se remplace. La Chine a désormais ses BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, et Xiaomi). Un sigle classique rassemblant les géants de l’internet chinois mais qui résume parfaitement le formidable développement de l’économie chinoise au cours des quinze dernières années. D’un pays producteur de biens manufacturés bas-de-gamme, l’Empire du Milieu (le C de BRIC pour ceux qui ont suivi) dispose aujourd’hui de ses propres GAFA, contrairement à l’Europe incapable de lancer au cours des quinze dernières années ses propres géants de l’internet.

Souvenez-vous ! Pendant que les GAFA partaient à la conquête du monde, la zone euro s’enfonçait dans la crise au tournant des années 2010. Les grands argentiers européens faisaient la leçon aux pays d’Europe du Sud, réputés trop dépensiers, pas rigoureux. Des journalistes anglo-saxons inventèrent alors le sigle PIIGS pour désigner le Portugal, l’Italie, l’Irlande, la Grèce et l’Espagne. Affreux, vulgaire, indécent ! Bien entendu, mais cet acronyme doublé d’un jeu de mot avait au moins le mérite de mettre en lumière le fossé et le mépris qui existait (qui existe encore) entre une zone euro soi-disant plus vertueuse, au cœur de l’Europe, et des pays périphériques jugés peu fiables. Il est toutefois significatif et triste que l’acronyme européen le plus célèbre soit négatif et renvoie aux malheurs de la zone euro.

On attend désormais des sigles positifs qui mettront en avant des leaders européens, les plus belles start-ups du Vieux continent ou quelques pays émergents en plein boom économique. Un acronyme qui se retient facilement (avec une succession harmonieuse de consonnes et de voyelles) aura toutes les chances de capter l’attention et de s’imposer. Avis aux observateurs éclairés et aux décrypteurs de tendance !

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Julien Gautier est consultant éditorial à l'Agence Fargo, une agence de communication dédiée aux acteurs de la finance et du droit.

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