Sécurité routière : le plan Marshall de Jean Todt

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Par Pierre Levant Modifié le 13 décembre 2022 à 20h40
Securite Routiere Comite Interministeriel Cazeneuve
@shutter - © Economie Matin
91%91% des accidents mortels surviennent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire

Si l'on veut éviter que le nombre de morts sur la route atteigne les 2 millions par an en 2020 (il est d'1,2 million actuellement), il est temps de prévenir de manière efficace les accidents de la circulation à l'échelle mondiale. L'ONU vient de nommer le président de la FIA, Jean Todt, "envoyé spécial pour la sécurité routière", et il semblerait qu'il ait à coeur d'obtenir des résultats.

Staline – uniquement cité en tant que personnage historique – disait : « Un mort est une tragédie ; un million de morts, une statistique. » La phrase est volontairement choquante, voire cynique, si l'on songe aux millions de personnes déplacées ou tuées sous le règne du Petit père des peuples. Mais cet aphorisme, aujourd'hui, pourrait sans doute naitre dans bien d'autres bouches. A commencer par celles des barbares de l'Etat islamique, au Moyen-Orient, ou celles des responsables de crimes contre l'humanité, à divers endroits du globe. Chaque année, pourtant – et ce depuis plusieurs décennies –, ce ne sont ni les guerres ni les affrontements civils qui coûtent plus d'un million de vies, mais les accidents de la route. Qui blâmer, dans ces cas-là ? A quelle(s) bouche(s) attribuer la sentence stalinienne ? Parce que ce mal n'est pas le fait d'un seul personnage, ni même celui de quelques-uns, et qu'il touche toujours plus d'individus à l'échelle planétaire – y compris et surtout dans les pays en voie de développement –, la société internationale doit s'en emparer et trouver des remèdes.

« Il est possible de prévenir les accidents de la circulation de manière efficace »

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS) (1), l'institution onusienne en charge des politiques sanitaires et sociales à l'échelle internationale, les accidents de la route sont en effet responsables, chaque année, d'environ 1,2 million de décès. Si rien n'est fait, toujours d'après l'OMS, près de 2 millions de personnes par an mourront sur les routes d'ici 2020. Les chiffres, alarmants et connus de tous, continuent pourtant d'interpeler quant à la nature et à l'origine des victimes : la « tragédie » routière est la première cause de décès chez les jeunes âgés de 15 à 29 ans, et 91 % des accidents mortels surviennent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, qui possèdent seulement la moitié du parc mondial de véhicules. Au premier rang desquels, principalement, ceux qui se trouvent « dans la région africaine et dans la région de la Méditerranée orientale. »

Au-delà de la souffrance morale évidente entrainée par les accidents de la route, viennent s'ajouter, d'après l'OMS, « des pertes économiques considérables pour ceux qui en sont victimes, leur famille et les pays dans leur ensemble ». A l'échelle du foyer, il s'agira principalement des traitements, coûteux, y compris ceux relatifs à la réadaptation, ainsi que des enquêtes, auxquels s'ajoute la perte de productivité – et, donc, de revenus. A l'échelle d'un Etat, selon le chiffrage de l'OMS, le coût engendré par les accidents de la route équivaudrait à 1 à 3 % du produit national brut (PNB). « Il existe peut d'estimations mondiales du coût des accidents de la route, mais d'après un calcul effectué en 2000, celui-ci s'élèverait à 518 milliards de dollars environ », indique l'institution onusienne. Qui regrette l'absence de prise en compte efficace de ces accidents par les grandes politiques sanitaires mondiales : « Dans de nombreux pays, les données montrent qu'il est possible de prévenir les accidents de la circulation de façon particulièrement efficace moyennant des efforts concertés. »

L'ONU se frotte de près aux accidents de la route

Le tropisme, depuis quelques années, tend à s'inverser. En 2011, l'ONU a lancé sa « Décennie d'action pour la sécurité routière », tout en se fixant pour objectif de sauver 5 millions de vies sur les routes du monde entier d'ici à 2020. Le plan décennal est, selon les Nations unies, « une occasion historique d'offrir aux Etats membres et à leurs partenaires un cadre d'action susceptible de sauver des millions de vies en dix ans. » Ambitieuse, cette action l'est assurément ; mais quid de son efficacité ? Car, à mi-parcours, impossible de nier que les accidents de la route se produisent encore en masse.

Face à ce constat délicat, entre morosité et volontarisme tout de même farouche, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a récemment décidé de nommer Jean Todt, actuellement président de la Fédération internationale de l'automobile (FIA), « envoyé spécial pour la sécurité routière ». « C'est pour moi une énorme responsabilité mais aussi une formidable opportunité », a commenté l'intéressé. Avant d'ajouter : « Ces 5 dernières années, en ma qualité de président de la FIA, j'ai fait de la sécurité routière une priorité absolue de l'organisation, (…) afin de la promouvoir comme l'un des enjeux majeurs de notre époque en matière de santé et de développement (…) » Sur sa fonction ad hoc d'envoyé spécial pour la sécurité routière, l'ancien copilote français de rallye affirme qu'elle « peut servir de catalyseur du changement, créer un point de convergence pour orienter l'action de la communauté de la sécurité routière, des dirigeants et des gouvernements du monde entier en faveur de routes et de véhicules plus sûrs et de meilleures règles de conduite. »

« Il faut s'exprimer depuis une plateforme globale »

Dans son coffre, l'ex-directeur de la prestigieuse Scuderia Ferrari apporte plusieurs initiatives, répondant à la plus stricte binarité : alerter/agir – autrement dit, tirer la ficelle politique à l'échelle mondiale avant d'actionner le levier financier. Jean Todt reconnaît toutefois que le défi est d'envergure : « Faire naître la volonté politique chez ceux qui pensent que l'immobilisme est la solution la plus rationnelle sera déterminant. » Il faudra également que tous les instruments disponibles actuellement et servant la sécurité routière – de la construction des voitures les plus sûres à la sécurisation, par quelque moyen que ce soit, des routes – soient adoptés par tous les pays. « Si nous parvenions à les (ces instruments) instaurer et à les réglementer au plan mondial, nous assisterions à une amélioration spectaculaire de la sécurité routière dans les régions les plus critiques du globe », selon lui.

Au cours de ses déplacements en tant que patron de l'automobile internationale, Jean Todt est arrivé à la conclusion suivante : « Pour mener une campagne efficace à l'échelle mondiale, il faut s'exprimer depuis une plateforme globale. » Et pour que cette dernière fonctionne correctement, il faut non seulement des fonds, mais également abandonner les anciens modèles établis, souvent dépassés. L'envoyé spécial pour la sécurité routière préconise dès lors « l'instauration d'un mécanisme de financement basé sur le modèle de contribution prélevée sur les billets d'avion de l'UNITAID. » Autrement dit : il s'agirait de retenir une contribution marginale sur les ventes du secteur automobile. « Ce mécanisme pourrait rapidement générer des fonds importants, selon lui, qui seraient ensuite versé à un Fonds mondial de l'ONU pour la sécurité routière destiné à aider les pays en développement dans leurs efforts. »

Ces objectifs – politiques, financiers – ne seront réalisables qu'à long terme. L'action conduite par Jean Todt ne sera couronnée de succès que si elle est précédée d'intenses opérations de sensibilisation, voire de lobbying, et ce de la part de personnalités privées tout autant que des Etats. Ceux-là ont d'ailleurs adopté, vendredi 25 septembre dernier, lors de la première journée de l'Assemblée générale des Nations unies à New-York, une nouvelle feuille de route pour le développement durable de la planète. La santé et la sécurité des individus, donc la prise en charge des accidents de la route, en font partie.

(1) www.who.int/fr/, Aide-mémoire sur les accidents de la route n°358, mai 2015.

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Pierre Levant. Ingénieur. Responsable associatif. Père de famille. 

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