Secteur Public : la transformation numérique doit s’opérer de l’intérieur

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Par Benoît Spacher Modifié le 13 novembre 2019 à 11h30
Entreprise Transformation Numerique Enjeux Developpement
@shutter - © Economie Matin

Si la digitalisation des services publics est une réalité ancrée avec succès dans le quotidien des citoyens français, le fonctionnement interne des services publics apparaît, vu de l’extérieur, encore faiblement tourné vers le numérique. Après s’être consacré à l’expérience des citoyens, il est aujourd’hui temps pour le Secteur Public de s’attaquer à celle des fonctionnaires et, plus largement, à la modernisation interne de l’administration.

Modernisation des services publics : la contradiction de l’interne et de l’externe

En l’espace d’une quinzaine d’années, la dématérialisation des démarches administratives et la digitalisation des services publics se sont largement répandues en France. La télédéclaration des impôts fait partie des services en ligne les plus représentatifs de ce succès (23 millions de déclarations dématérialisées en 2018) et de la généralisation de la transformation digitale. Le site Ameli.fr est un autre exemple de l’adaptation aux nouveaux usages et de l’adoption massive des citoyens : en 2018, plus de 30 millions de personnes avaient ouvert un espace personnel et l’application mobile Ameli a franchi le cap des 10 millions de téléchargements.

Or, face à cette numérisation réussie et toujours plus large pour les usagers du service public, le fonctionnement interne des ministères et des entités qui en dépendent apparaît parfois très contrasté. Entre l’externe et l’interne, un écart de modernisation s’est creusé.

Vu de l’extérieur, force est de constater que le secteur public rencontre rigoureusement les mêmes enjeux de transformation que la banque de détail avec l’arrivée de la banque en ligne. Banque et administration, deux secteurs du privé et public qui partagent de surcroît les carrières longues et les processus qui sont fortement ancrés dans leur culture. Il est donc possible de pouvoir capitaliser sur le retour d’expérience bancaire pour transformer durablement les administrations.

Les illustrations sont, en effet, souvent surprenantes. Au sein de certains services publics, les moyens de communication comme le fax sont encore utilisés. Dans certaines administrations, il est encore nécessaire de devoir appeler un assistant pour réserver une salle de réunion sur un bordereau papier plutôt que par une messagerie électronique. Autant d’usages qui apparaissent en contradiction avec les moyens actuels à disposition et qui peuvent être vecteur du départ de jeunes talents peu séduits par le fait de ne pas trouver à l’intérieur d’une administration de renom les usages dont ils disposent à l’extérieur avec leur téléphone portable personnel. Les nouveaux arrivants peuvent être surpris par le contraste marqué entre l’intérieur d’une administration et la galaxie de services aujourd’hui considérés comme acquis.

Les enjeux des Directions Informatiques et des Directions Achats sont conséquents, car le secteur public doit avancer à marche forcée, le retard accumulé d’usages, de pratiques et de moyens devient progressivement si coûteux à combler qu’il n’est plus question de rattraper un retard mais de devoir faire un bond technologique pour se placer en pointe. Cela ne signifie pas que la fonction publique ne saurait pas innover, bien loin de là. Certaines initiatives montrent aujourd’hui l’exemple, et attestent de la volonté affirmée et de la capacité des pouvoirs publics – mais aussi des agents publics et de leurs managers – de vouloir et pouvoir transformer l’administration à leur image. Mais pour dépasser le stade des initiatives locales et se généraliser en profondeur, le mouvement doit s’accélérer et intégrer pleinement les facteurs essentiels à sa concrétisation.

Accélérer la transformation numérique publique

Lancé en octobre 2017 par le Premier ministre, le programme Action Publique 2022 est ambitieux et comporte trois volets principaux dont celui visant à « offrir un environnement de travail modernisé aux fonctionnaires ». Cette volonté se traduit aujourd’hui par des outils et processus dans un certain nombre de projets innovants.

En effet, dans un monde où l’usage du numérique est devenu un impondérable à toute fonction et permet de tenir des engagements de nomadisme et de télétravail, la frontière entre le mobilier et l’ordinateur s’est considérablement amenuisée. Le ministère de l’Économie et des Finances a été particulièrement précurseur sur ce point avec un Service de l’Environnement Professionnel regroupant ces deux pendants de l’informatique et de l’aménagement des espaces. Ces précieux mètres carrés optimisés et gagnés pour la Direction de l’Immobilier de l’État peuvent devenir alors conciergerie de services informatiques, espaces de co-working ou de détente, salles de visioconférences… L’usage pilote la demande qui n’est plus imposée mais choisie, l’agilité prend forme, le socle des administrations devient prescripteur. Une approche User centric, ou plutôt « agent-centric », centrée sur l’utilisateur.

L’émergence de la DINSIC, Direction Interministérielle des Systèmes d’Information et de Communication, vient offrir le cadre nécessaire à l’épanouissement des initiatives de chacun des Ministères. Plusieurs succès sont à souligner comme l’hébergement de Etalab sur l’Avenue de Ségur : accélérateur entrepreneurial et véritable pépinière de Startups Internes où, chose admirable, on tolère l’échec et l’on cultive l’apprentissage de ces pratiques héritées du privé.

La preuve par l’exemple et l’expérimentation

La DINSIC permet une émulation permanente entre Ministères et Administrations où chacun peut innover durablement. Citons en premiers exemples fondateurs La Fabrique du Numérique du Ministère de la Défense qui anticipe les réponses aux conflits de demain sur la mobilité et la sécurité des données du fantassin, ou encore Place Beauvau avec le STSI du Ministère de l’Intérieur qui allie avec brio tant la Police que la Gendarmerie dans des équipes pluridisciplinaires.

Pour se transformer il faut mettre en exergue certains éléments indispensables à la réussite de la modernisation du fonctionnement interne des services publics. Il faut tout d’abord que la transformation soit portée par une personne au plus haut de la hiérarchie, et qu’elle use de son influence pour que le mouvement soit impulsé du haut vers le bas. Dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, Régine Engström, la Secrétaire Générale de la Transition Écologique est pragmatique. Avec le soutien fort de ses équipes innovations et du SPSSI avec Anne Jeanjean, elle n’innove pas pour innover. La Secrétaire Générale impulse une réorganisation forte comportant la construction d’une direction du numérique et d’un incubateur grâce une feuille de route où le futur des demandes sera piloté par les besoins utilisateurs et les besoins métiers.

Pour garder les talents, il est également nécessaire d’avoir une réelle écoute vis-à-vis des nouveaux usages et de s’appuyer sur ces mêmes jeunes talents pour les diffuser. C’est précisément le cas avec « Les mentors digitaux » de Bercy, où les plus jeunes accompagnent les utilisateurs finaux dans l’adoption des usages numériques. Ce dispositif original de mentorat inversé développé par la Mission Innovation du Secrétariat Général de Bercy prend place afin d’accompagner au changement numérique. Cette initiative a d’ailleurs été récompensée le 7 février par le trophée « Talents publics », remis à Isabelle Braun Lemaire, Secrétaire Générale des ministères économiques et financiers, à l’occasion des Victoires des Acteurs Publics organisées à l’Assemblée Nationale.

Les usages sont de plus en plus en lien avec la mobilité et la technologie trouvera toujours une voie pour s’affirmer, les services RH ont à prendre le relai sur nombre de sujets pour co-construire les environnements et règlements intérieurs de demain qui permettront le déploiement de nouvelles pratiques. Il convient de noter que, vu de l’extérieur le SGMAS, Secrétariat Général des Ministères Sociaux est à ce jour le plus en avance dans les questions de mobilité des agents sur une approche multisites et multimétiers.

Enfin, toujours dans une approche multisites répartis sur l’ensemble du territoire, il convient de saisir toute la granularité et toutes les différences de cultures et contextes humains au sein d’une même administration. Le tour des régions entamé par Arnaud Mazier pour le Ministère de la Justice afin de collecter les meilleures pratiques sur la métropole mais aussi dans les domaines ultramarins montre que la démarche impulsée en interministérielle commence à porter ses fruits. De là à imaginer pour demain la Direction des Achats de l’État en pilote d’un super GIE pour les projets transverses la DINSIC, il n’y a qu’un pas. Avec une capacité affirmée à sourcer les prestataires dans une optique interministérielle pour des économies d’échelle, ces efforts sont soulignés par la récente présence de leur Directeur comme finaliste des Trophées des Achats.

La qualité du service public ne peut pas aller sans celle de l’expérience des agents

Il est important d’aller à l’encontre de certains préjugés qui veulent que l’administration soit frileuse, voire réfractaire au changement dans son fonctionnement interne. Plusieurs initiatives de très grande qualité montrent le contraire. Mais il ne faut pas nier pour autant le retard de modernisation qui caractérise certaines entités publiques. À l’image du secteur privé qui s’est d’abord occupé de l’expérience de ses clients finaux au détriment de ses collaborateurs, le secteur public doit aujourd’hui remettre les fonctionnaires et les agents publics au centre de sa démarche de transformation numérique par des outils, des moyens et des solutions que les administrations sauront inventer avec le soutien du secteur privé. Le secteur public est encore en quête de maturité numérique. L’échec est permis car on apprend aussi de ses tâtonnements. Avec les bonnes impulsions et en s’inspirant des pratiques qui ont fait leurs preuves dans le public comme dans le privé, il apprendra encore plus vite et trouvera de lui-même son point d’équilibre.

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