Les géants de l’industrie pharmaceutique et les biotechs rivalisent pour développer de nouveaux traitements contre les différentes formes de la sclérose en plaques. Aujourd’hui évalué à près de 20 milliards de dollars, ce marché, boosté par les innovations, devrait atteindre 33 milliards d’ici 2028.
2,5 millions de personnes dans le monde sont frappées par la sclérose en plaques (SEP), dont environ 500 000 aux Etats-Unis, autant en Europe, et plus de 100 000 en France. Se déclarant le plus souvent entre 25 et 35 ans et affectant trois fois plus les femmes que les hommes, la SEP est la première cause de handicap sévère non traumatique des jeunes adultes.
Cette maladie inflammatoire du système nerveux central (cerveau, moelle épinière, nerfs optiques) est dite auto-immune, car elle est causée par un dysfonctionnement du système immunitaire conduisant celui-ci à ne plus reconnaître certains constituants de l’organisme et à les attaquer (1). Dans le cas de la SEP, c’est la myéline, la gaine protectrice des fibres nerveuses, qui est ciblée et subit des lésions. Or celle-ci joue un rôle important dans la transmission de l’influx nerveux du cerveau aux différentes parties du corps. Selon l’emplacement des lésions, la maladie va se manifester par divers symptômes : fatigue, vertiges, troubles sensoriels, moteurs, visuels… Parallèlement, la destruction de l’enveloppe protectrice des neurones (démyélinisation) va conduire à une neurodégénérescence.
La SEP connaît deux formes principales selon l’évolution de la maladie : une forme dite « récurrente rémittente » (RR), marquée par une alternance de poussées et de rémissions, et une forme « progressive », caractérisée par une montée en puissance continue de la maladie.
La première forme (RR) progresse plus lentement, l’alternance de poussées et de rémissions contribuant à l’aggravation ponctuelle, puis à l’atténuation des symptômes. Elle concerne environ 85 % des diagnostics de SEP. Pour cette forme, il existe une dizaine de traitements thérapeutiques disponibles, et lorsqu’ils utilisent des traitements adéquats, les malades, bien qu’handicapés, peuvent limiter la perte de leur espérance de vie à environ sept ans.
La deuxième forme de la maladie, moins fréquente, est la SEP « progressive primaire » (PP), qui voit le développement des symptômes progresser de manière plus agressive dès le début – sans rechutes ni rémissions – entraînant un déclin neurodégénératif plus rapide. Les personnes atteintes risquent de développer des symptômes plus graves et leur qualité de vie et leur espérance de vie peuvent être davantage affectées. À l’heure actuelle, il n’existe qu’un nombre très limité de traitements thérapeutiques sur le marché pour cette forme de la maladie.
Au bout de plusieurs années (au plus tard au bout de 10 ans dans 50 % de cas et de 25 ans dans 90 % des cas) les malades atteints de la forme récurrente rémittente passent à une évolution plus sévère de la maladie, connue sous le nom de SEP « progressive secondaire » (SP), marquée par une aggravation progressive et continue de l’invalidité au fil du temps. La SEP progressive secondaire peut être soit « active », avec un schéma récidivant similaire à la forme récurrente rémittente et traitée à peu près de la même manière, soit « non active », avec une évolution plus proche de la forme progressive primaire et souffrant d’une pénurie similaire d’options de traitement.
Qu’il s’agisse de la forme « récurrente » ou « non récurrente », les traitements modernes posent généralement des problèmes liés à la toxicité immunosuppressive, qui limite la viabilité de tels traitements dans des thérapies prolongées dépassant trois ans.
Généralement, dans les premières années de la maladie, les symptômes sont donc transitoires. Après les poussées, l’inflammation disparaît et des mécanismes de réparation (remyélinisation) se mettent en place. Malheureusement, au cours de l’évolution de la maladie, la régénération devient insuffisante et les symptômes persistent, entraînant des séquelles, puis l’installation d’un handicap souvent très invalidant (2). La maladie peut en effet porter atteinte à toutes les fonctions du système nerveux central : marche, vision, mémoire, parole...
Des traitements à l’efficacité limitée
Les progrès thérapeutiques accomplis ces dernières années ne permettent pas de guérir la maladie, seulement de ralentir son évolution en diminuant la fréquence des poussées et en freinant la progression du handicap chez certains patients. Depuis 1993, les médicaments agissant sur le système immunitaire – pour diminuer son agressivité – ont montré un bénéfice significatif dans les formes rémittentes. Mais en l’absence de traitement alliant efficacité et faible toxicité, les médecins restent démunis face aux formes progressives de la maladie.
Les médicaments dits « immunomodulateurs » régulent l’activité du système immunitaire et diminuent l’inflammation et les lésions (3). Peu toxiques mais d’efficacité modérée, ces traitements dits « de première ligne » sont prescrits aux patients lors des premiers stades de la maladie. Les plus utilisés sont l’acétate de glatiramère (Copaxone), les interférons (Avonex, Betaferon, Extavia, Rebif) et les peginterférons (Plegridy). Le Copaxone, produit le plus vendu au monde, a longtemps fait le bonheur du laboratoire israélien Téva (4,2 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2016), mais celui-ci a vu ses ventes divisées par deux suite à l’autorisation de versions génériques (Glatiramer de Mylan). Dans la catégorie des interférons, Avonex et Plegridy restent des valeurs sûres de l’Américain Biogen.
En cas d’échec de ces premiers médicaments ou chez les patients présentant d’emblée des poussées rapprochées, on utilise des traitements dits « immunosuppresseurs » (4), à la toxicité plus élevée, comme la mitoxantrone (Elsep), le natalizumab (Tysabri) ou le fingolimod (Gilenya). Des traitements « de deuxième ligne » qui peuvent parfois exposer à des complications graves. Gilenya, du Suisse Novartis, administré par voie orale, a réalisé 3 milliards de dollars de ventes en 2017 et Tysabri, de Biogen, 2,3 milliards.
Nouveaux médicaments
De nouveaux immunosuppresseurs sont apparus plus récemment comme le diméthyl fumarate (Tecfidera) ou le tériflunomide (Aubagio), qui présentent l’avantage d’être administrés par voie orale. Tecfidera, de Biogen, est ainsi devenu un blockbuster (4,2 milliards de dollars en 2017), tandis qu’Aubagio, lancé par le groupe français Sanofi, a réalisé des débuts intéressants (1,8 milliard de dollars). L’alemtuzumab (Lemtrada), autre spécialité de Sanofi, est un anticorps monoclonal qui permet de détruire certains globules blancs, mais comme il peut s’accompagner d’effets indésirables graves, il est réservé aux formes les plus agressives de la maladie.
Homologué en 2017, l’ocrélizumab (Ocrevus), développé par Roche, constitue une véritable innovation car il a démontré une efficacité dans la forme « primaire progressive », qui touche 15 % des patients et se traduit souvent par un handicap moteur dès l’apparition de la maladie (5). Cet anticorps monoclonal cible certains globules blancs connus pour jouer un rôle dans le processus inflammatoire de la SEP.
Dès sa première année pleine de commercialisation, en 2018, le médicament a réalisé un chiffre d’affaires de 2,9 milliards de dollars et fait déjà partie des blockbusters du laboratoire suisse. Les analystes tablent pour ce produit sur des ventes de 4 milliards de dollars en 2023. D’autant qu’il est vendu à un prix de 20 % inférieur à celui de ses concurrents (65 000 dollars par an).
Un marché concurrentiel et innovant
Selon le dernier rapport de GlobalData (6), publié en décembre 2019, le marché thérapeutique de la SEP devrait passer de 19,8 milliards de dollars en 2018 à 32,9 milliards de dollars en 2028. Un taux de croissance annuel de 5,2 %, boosté par le lancement de nouveaux traitements.
Le marché actuel de la SEP est déjà très concurrentiel, avec 14 traitements disponibles. Mais la compétition devrait encore s’intensifier. Selon la société d’analyses, 11 produits prometteurs, offrant une large gamme de mécanismes d’action, sont en effet en phase finale des essais cliniques précédant l’autorisation de mise sur le marché. Et 14 autres médicaments, déjà à un stade assez avancé de développement, devraient également être lancés d’ici 2028 sur les sept principaux marchés (Etats-Unis, France, Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni et Japon). Enfin, 24 autres traitements en sont aux stades initiaux des essais cliniques.
Selon GlobalData, le lancement de Mayzent (siponimod) par Novartis en 2019 et l’arrivée potentielle de deux nouveaux inhibiteurs des récepteurs S1P – l’ozanimod (Celgene) et le ponesimod (Actelion) – vont stimuler la concurrence, en particulier pour le Gilenya de Novartis. Deux nouveaux anticorps monoclonaux, l’ofatumumab de Novartis et l’ublituximab de TG Therapeutics, devraient aussi être lancés d’ici 2028, malgré la percée d’Ocrevus (ocrelizumab).
Jusqu’ici, la majorité des traitements approuvés traitent les origines inflammatoires de la maladie, mais peu possèdent des effets neuroprotecteurs. Deux médicaments en cours de développement, l’opicinumab (Biogene) et l’élézanumab (AbbVie), actuellement en phase 2 des essais cliniques, pourraient combler ce manque car ils favoriseraient la régénération de la myéline (remyélinisation) et pourraient donc ralentir la neurodégénérescence.
Le traitement des formes de SEP progressives est aussi un objectif majeur de la recherche : selon GlobalData, 7 produits à un stade avancé de développement ciblent ce groupe de patients, afin de combler le manque d’options thérapeutiques dans ce domaine.
Du nouveau pour les formes progressives ?
Parmi les solutions les plus avancées, figure celle d’AB Science, une biotech française spécialisée dans les thérapies innovantes pour les maladies neurodégénératives (7). La société pourrait très prochainement annoncer que sa molécule phare, le masitinib, qui a déjà passé avec succès la phase 3 des tests cliniques relatifs à la sclérose latérale amyotrophique (SLA) (8), se révèle également l’un des traitements les plus pertinents pour les deux formes progressives de la sclérose en plaques, qui souffrent jusqu’ici d’un manque cruel de solutions thérapeutiques.
Alors qu’il existe une bonne dizaine de produits enregistrés pour la forme rémittente, seuls deux concernent à ce jour les formes progressives : l’ocrelizumab, de Roche, et le siponimod, de Novartis. Mais en raison de leur effet immunosuppresseur, ces deux produits présentent un niveau de toxicité assez élevé et ne sont donc pas adaptés à un traitement long, supérieur à trois ans. Or la sclérose en plaques est une malade chronique, nécessitant une prise en charge sur le long terme. L’un des intérêts du masitinib réside dans la possibilité de l’utiliser pour un traitement d’une durée supérieure à 10 ans, selon les données de tolérance actuelles.
Pour toutes les formes de SEP sans phase de rémission, qu’il s’agisse de la primaire-progressive, comme de la secondaire non-active, le besoin est immense et le marché énorme. En Europe, le nombre de patients à traiter atteindrait 90 000 pour la forme progressive primaire et 260 000 pour la SEP secondairement progressive. Et aux Etats-Unis, les chiffres seraient respectivement de 55 000 et de 170 000. Avec une hypothèse de prix de 60 000 € par an, le potentiel total pour ces deux grands marchés serait de… 35 milliards de dollars. Les entreprises qui réussiront à se positionner les premières avec une solution reconnue prendront une avance décisive. Si les résultats attendus se confirment, nul doute qu’ils devraient intéresser les investisseurs.
(1) : https://www.ffn-neurologie.fr/grand-public/maladies/scl%C3%A9rose-en-plaques
(3) : https://eurekasante.vidal.fr/maladies/systeme-nerveux/sclerose-plaques-sep.html?pb=traitement
(4) : https://www.arsep.org/fr/172-traitements.html
(5) : https://www.lerevenu.com/bataille-pharmaceutique-au-sommet-dans-la-sclerose-en-plaques