Santé au travail : le monde d’après

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Par Catherine Davico-Hoarau et Myrtille Lapu Publié le 10 septembre 2021 à 5h56
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99%99% des entreprises en France sont des TPE.

Après plus d’un an de débat, la loi n°2021-1018 relative à la santé au travail du 2 août 2021 (la « Loi ») a été publiée le 3 août 2021.

Elle transpose notamment l'accord national interprofessionnel (ANI) conclu le 10 décembre 2020 par les partenaires sociaux en vue de réformer la santé au travail. C'est la première fois qu'un ANI est transposé par un texte présenté par des parlementaires.

La Loi prévoit 3 volets : la prévention au travail, le suivi médical et la formation sécurité.

Un objectif : la prévention

Comme l’indique le nouveau nom des services de santé au travail rebaptisés « services de prévention et de santé au travail », la Loi met l’accent sur la prévention.

Elle étend les missions des services de prévention et de santé au travail à l'accompagnement dans l'évaluation des risques professionnels et à la promotion de la santé sur le lieu de travail, dans un objectif de décloisonnement de la santé au travail et de la santé publique.

Les services de prévention et de santé au travail devront fournir à leurs entreprises adhérentes et à leurs travailleurs un ensemble de services obligatoires en matière de prévention des risques professionnels, de suivi individuel des travailleurs et de prévention de la désinsertion professionnelle, dont la liste et les modalités seront définies par le comité national de prévention et de santé au travail.

Ces services de prévention et de santé au travail font l’objet d’un agrément pour une durée de 5 ans, suite à une procédure de certification par un organisme indépendant.

Le suivi médical des salariés enrichi

La Loi impose une visite médicale de mi-carrière organisée à une échéance déterminée par accord de branche, ou, à défaut, durant l’année civile du 45ème anniversaire du salarié.

Cet examen médical vise :

  • à établir un état des lieux de l’adéquation entre le poste de travail et l’état de santé du travailleur, à date, en tenant compte des expositions à des facteurs de risques professionnels auxquels il a été soumis ;

  • à évaluer les risques de désinsertion professionnelle en prenant en compte l’évolution des capacités du travailleur en fonction, de son parcours professionnel, de son âge et de son état de santé ;

  • à sensibiliser le travailleur aux enjeux du vieillissement au travail et sur la prévention des risques professionnels.

Le médecin du travail peut proposer par écrit et après échange avec le travailleur et l’employeur des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d’aménagement du temps de travail.

Un outil existant renforcé : le DUERP

L’obligation d’évaluation des risques et de rédaction d’un document unique d’évaluation des risques professionnelles (DUERP) existe depuis 2002. Toutefois, l’effectivité de ces mesures restait très relative. La Loi vient donc renforcer le dispositif législatif.

La Loi étend le champ d’application de l’obligation d’évaluation des risques à l’organisation de travail qui n’était pas prévue jusqu’alors et associe de nouveaux acteurs à cette évaluation. Ainsi, le texte prévoit désormais qu’apportent leur contribution à l’évaluation des risques professionnels dans l’entreprise :

  • le comité social et économique (CSE) et sa commission santé sécurité et conditions de travail (CSSCT) ;

  • le ou les salariés compétents en matière de santé et de sécurité s’ils ont été désignés ;

  • le service de prévention et de santé au travail auquel l’employeur adhère alors qu’auparavant le DUERP devait simplement être mis à sa disposition.

La Loi instaure également, dans les entreprises de plus de 50 salariés, une obligation de consultation des CSE sur le DUERP et ses mises à jour.

Le contenu de le DUERP est légalement défini. Il est ainsi précisé que le DUERP répertorie l'ensemble des risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs et assure la traçabilité collective de ces expositions.

Les résultats de cette évaluation des risques doivent déboucher, pour les entreprises de 50 salariés et plus, sur un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail. Ce programme annuel de prévention des risques doit être intégré au DUERP. Il comprend la liste détaillée des mesures de prévention pour l’année à venir, les conditions d’exécution de ces mesures et l’estimation de leur coût. Il doit également contenir un calendrier de mise en œuvre et identifier les ressources de l’entreprise pouvant être mobilisées.

Pour les entreprises de moins de 50 salariés, l'employeur devra désormais obligatoirement définir et consigner dans le DUERP une liste "d’actions de prévention des risques et de protection des salariés".

Enfin, afin d’assurer la traçabilité des expositions aux risques, la Loi instaure une obligation de conservation et de mise à disposition du DUERP. Ce dernier dans ces différentes versions devra être conservé pendant une durée minimale de 40 ans. Le DUERP devra également faire l’objet d’un dépôt dématérialisé. Les modalités de conservation et de mise à disposition seront précisées par décret en Conseil d’Etat.

Création d’un passeport de prévention

La Loi créé le passeport de prévention inséré dans le Code du travail sous un nouvel article L.4141-5.

Les modalités de mise en œuvre du passeport de prévention et de sa mise à la disposition de l’employeur seront déterminées par le comité national de prévention et de santé au travail et approuvées par voie règlementaire. A défaut, ces modalités pourront être déterminées par décret en Conseil d’Etat.

Ce passeport de prévention comportera les attestations, certificats et diplômes obtenus par le travailleur, soit dans le cadre des formations relatives à la santé et à la sécurité au travail dispensées à l’initiative de son employeur, soit dans le cadre des formations suivies de sa propre initiative.

Les organismes de formations renseigneront le passeport selon les mêmes modalités dans le cadre des formations relatives à la santé et à la sécurité au travail qu’ils dispenseront.

Le travailleur pourra autoriser l’employeur à consulter l’ensemble des données contenues dans le passeport de prévention, y compris celles que l’employeur n’y a pas versé, pour les besoins du suivi des obligations de ce dernier en matière de formation à la santé et à la sécurité, sous réserve du respect des conditions de traitement des données à caractère personnel.

Un demandeur d’emploi pourra ouvrir un passeport de prévention et y inscrire les mêmes attestations, certificats et diplômes obtenus dans le cadre des formations qu’il a suivies.

Si le salarié ou le demandeur d’emploi dispose d’un passeport d’orientation de formation et de compétences, son passeport de prévention y sera intégré.

Les actions de formation renforcées

La Loi a également renforcé les obligations de formation en matière de santé et de sécurité :

  • obligation d’information des travailleurs quant aux risques pour leur santé et leur sécurité ;

  • formation appropriée des travailleurs à différents stades : l’embauche, le changement de poste ou à la demande du médecin du travail pour les travailleurs qui reprennent leur activité après un arrêt de travail supérieur à 21 jours ;

  • obligation renforcée de formations à la suite d’un certain nombre d’événements de la vie professionnelle, tels qu’accident de travail, maladie professionnelle ou arrêt supérieur à 21 jours, sans compter des formations particulières à la sécurité ;

  • obligation de formation des responsables de prévention ou préventeurs ;

  • obligation de formation des représentants du personnel portée à 5 jours minimum lors du 1er mandat, 3 jours en cas de renouvellement, 5 jours pour les membres de CSSCT dans les entreprises d’au moins 300 salariés.

Une notion de harcèlement sexuel précisée

La Loi élargie la définition de harcèlement sexuel en s’inspirant de la définition du droit pénal.

Sont à présent également considérés comme constitutifs de harcèlement sexuel :

  • les propos ou comportements à connotation sexiste (et non plus uniquement sexuelle)

  • les propos ou comportements sexuels ou sexistes lorsqu’ils sont subis par une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition

Le législateur a conservé le terme « subi » et non celui d’« imposé » existant dans le code pénal. L’infraction pourra donc être reconnue par le juge prud’homal même en l’absence d’élément intentionnel de l’auteur.

Date d’application de la Loi

Sauf dispositions contraires, la Loi entre en vigueur le 31 mars 2022. Ainsi notamment :

  • le passeport de prévention entrera en vigueur à une date déterminée par un décret, ou au plus tard au 1er octobre 2022

  • l’obligation de dépôt dématérialisé du document unique d’évaluation des risques professionnels entrera en vigueur au 1er juillet 2023 pour les entreprises dont l’effectif est supérieur ou égal à 150 salariés, et à compter de date fixée par décret en fonction des effectifs des entreprises, et au plus tard à compter du 1er juillet 2024 aux entreprises dont l’effectif est inférieur à 150 salariés

  • les dispositions relatives aux éléments nécessaires au développement de la prévention ainsi qu’à la coordination, à la qualité, et à la continuité des soins au sein du dossier médical en santé au travail qui seront versés sous réserve du consentement du travailleur préalablement informé, dans le dossier médical partagé au sein d’un volet relatif à la santé au travail seront applicables à une date fixée par décret et au plus tard le 1er janvier 2024.

A n’en pas douter cette Loi fait peser sur les entreprises de nouvelles et nombreuses obligations tout en étendant le rôle de leurs interlocuteurs internes et externes dont notamment le médecin du travail. L’ambition de cette Loi est-elle réaliste au regard, par exemple, des difficultés que les services de santé rencontrent déjà pour assurer leurs missions ?

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Myrtille Lapuelle - Avocat associé – Coblence avocats Myrtille Lapuelle a développé une expertise reconnue en droit social. Elle intervient sur l'ensemble des problématiques relatives à cette matière, tant en conseil qu'en contentieux, auprès d'une clientèle d’entreprises françaises et internationales et ce, tant dans la gestion de leurs relations individuelles que collectives. Elle a également développé un savoir-faire particulier dans la mise en oeuvre de projets plus complexes comme les restructurations et les opérations de fusions-acquisitions sur lesquelles elle accompagne ses clients aussi bien en phase d'audit et de planification stratégique que lors de la réalisation des opérations.   Catherine Davico-Hoarau - Avocat associé – Coblence avocats Catherine Davico-Hoarau est Avocat associé au sein du cabinet Coblence avocats. Elle accompagne les entreprises sur l'ensemble de leurs problématiques sociales et tout particulièrement lors de leurs opérations stratégiques et sur leurs enjeux RPS. Elle a acquis une expertise particulière en droit syndical et sur les contentieux à risques et / ou de masse et a, par ailleurs, développé un réel savoir-faire en droit pénal du travail.

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