Alors que dans le monde, les politiques répressives s’avèrent moins efficaces que les préventives, la France continue de miser sur la surtaxation et l’interdiction pour lutter contre le tabagisme. Ces politiques semblent néanmoins être particulièrement inefficaces chez les jeunes.
En 2013, lors de la publication du plan stratégique de lutte contre la drogue et la toxicomanie, François Hollande résumait ainsi la position du gouvernement sur ce sujet : « il s’agit de préférer le souci constant d’empêcher, de retarder ou de limiter les consommations, sans proposer de réponses hygiénistes ou moralisatrices, dont on sait qu’elles sont inefficaces, à des mesures plus répressives auprès des jeunes ». Pour le gouvernement, le dialogue et la formation à la prévention des pairs s’annonçaient comme les grandes lignes du plan stratégique.
Or, quelques années plus tard, force est de constater que l’action du gouvernement va à l’exact opposé de ce qu’il prônait, et que les mesures répressives, « dont on sait qu’elles sont inefficaces », ont pris le dessus sur la prévention et l’éducation. Il suffit de se rappeler les mots de la ministre de la Santé, Marisol Touraine, lors de son intervention sur RMC en mars. La ministre plaidait pour une nouvelle augmentation « forte et significative » du prix du tabac « d’ici à la fin du quinquennat de François Hollande ». Elle s’est même dite favorable à un paquet à 10 euros, et ce malgré les déclarations de François Hollande et Manuel Valls, qui s’étaient déclarés opposés à toute nouvelle hausse de la fiscalité sur le tabac.
Après l’instauration du paquet de cigarettes neutre, les mesures répressives semblent donc devoir se poursuivre, aussi inefficaces soient-elles ! En Australie, la mise en place du paquet neutre a fait progresser le marché parallèle de 25 %, et les pays où l’on trouve le plus de fumeurs au monde (l’Indonésie, la Corée du Sud, la Russie et la Chine) sont aussi ceux qui taxent le plus le tabac. En France, l’augmentation des prix favorise les trafics et le marché parallèle, comme le démontre, entre autres, une étude récente de l’Université de Nantes. Celle-ci souligne que la contrebande de tabac est un phénomène doublement inquiétant car il prive l’Etat d’importantes recettes fiscales tout en représentant un danger plus important pour la santé publique que la consommation régulière. D’une part, une partie des cigarettes commercialisées sur les marchés parallèles sont contrefaites, ce qui empêche de contrôler leur teneur en nicotine et en goudron. D’autre part, les vendeurs à la sauvette ne demandent évidemment pas les cartes d’identité des acheteurs pour vérifier s’ils sont bien majeurs.
Les mesures répressives peuvent même produire des effets contraires à ceux escomptés, notamment chez les adolescents. L’étude de l’Université de Nantes explique que le prix excessif des cigarettes fait qu’elles deviennent presque un produit de luxe. Cela fait craindre un attrait d’autant plus fort chez les jeunes, souvent tentés de contourner les prohibitions. Ainsi, Etienne Liebig, éducateur de prévention spécialisée en région parisienne, estime que les interdictions sont toujours un mauvais signe. « Quand on est à court de moyens pédagogiques, quand on ne sait plus parler aux jeunes, on se met à créer des lois, des interdits », affirme celui qui exerce son métier depuis plus de trente ans auprès des adolescents de tous milieux.
Les dernières informations qui nous parviennent d’Allemagne et des Etats-Unis semblent lui donner raison. Outre-Rhin, la prévalence tabagique des 12-17 ans ne cesse de baisser alors que le pays privilégie la prévention et que le prix du paquet de tabac y est moins élevé qu’en France. Chez nos voisins allemands, il n’y a pas de photos-choc sur les paquets de cigarettes et la politique d’interdiction de la publicité y est plus souple. Pourtant, les résultats de la lutte contre le tabagisme chez les jeunes sont de nature à faire pâlir d’envie Mme Touraine. Selon le Centre fédéral allemand pour l’éducation à la santé (BZgA), la consommation de tabac chez les 12-17 ans est passée de 27,5 % en 2001 à 15 % en 2008, 11 % en 2011 et seulement 7,8 % en 2015. Ces résultats « montrent que nous sommes sur la bonne voie avec nos politiques de prévention », selon les mots du BZgA, qui ne se prive pas de conseiller aux autres pays européens de suivre son exemple.
En France, certains continuent cependant à penser que l’on pourrait être le seul pays au monde où les mesures répressives et autoritaires seraient plus efficaces que la prévention et l’éducation. Voilà une version peu glorieuse de l’« exception française ».