Santé : le racket des retraités par le gouvernement

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Par Eric Verhaeghe Publié le 20 octobre 2015 à 10h28
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@shutter - © Economie Matin
94 EUROSEn 2011 une mutuelle "sénior" coûtait en moyenne 94 euros par mois et par assuré.

La généralisation de la complémentaire santé pour les retraités, annoncée par François Hollande en juin et prévue par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, est en train de virer au racket en bonne et due forme de nos retraités. Le carnage, dû encore une fois à un mauvais texte de Marisol Touraine, se fait à l’abri des regards. Il n’en est pas moins sanglant et douloureux.

La santé des retraités pour sauver la mutualité

Peu se souviennent qu’au congrès de la mutualité (FNMF) à Nantes, en juin 2015, François Hollande avait annoncé une mesure énigmatique pour les retraités: la généralisation de la complémentaire santé à leur bénéfice, avec ces propos qui méritent d’être pesés:

« La généralisation de la complémentaire santé, ce n’est pas la généralisation de la loi du marché : c’est la généralisation de la solidarité envers tous les Français, pour que le marché soit laissé de côté sur certains aspects, notamment pour les plus âgés », a-t-il commenté.

François Hollande avait alors laissé penser que la généralisation de la complémentaire santé devait protéger les retraités contre des abus de la loi du marché. Il visait évidemment les pratiques des assureurs qui lient les tarifs de leurs contrats à l’âge des assurés. Lorsque ceux-ci vieillissent, ils consomment plus de soins et paient donc plus cher leur contrat santé.

L’idée implicite de François Hollande consistait donc à étendre la solidarité entre salariés aux retraités eux-mêmes pour alléger le fardeau du prix à payer pour l’accès aux soins.

Tout le monde avait évidemment compris que, derrière les postures solidaires, l’intention du président était d’offrir un nouveau segment de marché aux mutuelles de la FNMF, mises à mal par la concurrence qui fait rage sur la complémentaire santé des salariés. L’idée pouvait paraître contestable. Elle était claire comme de l’eau de roche.

Une désastreuse transcription en PLFSS

Lorsque Marisol Touraine a dévoilé le texte du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les mutualistes se sont pincés et osaient à peine y croire. La mesure qu’ils avaient portée et qui devait sauver leurs portefeuilles d’assurance santé individuelle se retournait brutalement contre eux.

L’article 21 du projet de loi prévoit en effet un dispositif de généralisation par appel d’offres d’assureurs « labellisés », dont la mise en place est prévue comme suit:

La procédure de mise en concurrence mentionnée à l’article L. 864-1 vise à sélectionner, selon un critère de montant des primes prépondérant ainsi que des critères relatifs à la qualité de service, des offres proposant aux personnes mentionnées à ce même article des contrats respectant les conditions fixées à l’article L. 871-1. Elle est régie par des dispositions définies par décret en Conseil d’État, dans le respect des principes de transparence, d’objectivité et de non-discrimination.

Pour la mutualité, c’en était trop! Alors que la généralisation de la complémentaire santé aux retraités devait prendre les allures d’un marché captif pour des mutuelles majoritaires dans le marché de l’assurance individuelle, la loi prévoyait une procédure d’assurance collective, avec une labellisation taillant la part belle au prix.

Pour un esprit naïf, cette prescription était conforme aux annonces du Président de la République: il s’agissait de garantir l’accès le moins cher possible à la santé pour les retraités. Pour la FNMF, l’ambition était un peu différente. Sous couvert de solidarité, il s’agissait bien de garantir du chiffre d’affaires en vendant des produits avec des marges substantielles.

Le précédent de l’ACS

Pour la FNMF, cette affaire prenait les allures d’un remake de l’aide à la complémentaire santé (ACS) pour les personnes disposant de peu de revenus. Là encore, Marisol Touraine avait décidé de mettre en place une mise en concurrence où la FNMF n’a pas présenté d’offres sous sa « marque », pendant que la FNIM, fédération concurrente, faisait agréer son propre dispositif.

Pour la FNMF, l’ACS a sonné comme une défaite, d’autant plus que le ministère a agréé des contrats avec des prix variables. Assez curieusement donc, le gouvernement reconnaît à un assuré le droit d’être aidé pour la souscription du contrat qui n’est pas le moins cher. Cette logique alambiquée n’a pas beaucoup de sens, mais elle a permis de satisfaire presque tout le monde.

Dans la pratique, la mutualité n’aime pas cette formule. Elle lui préfère une logique plus simple de « chèque santé » qui permet à chacun de disposer à sa guise d’un montant forfaitaire pour acquérir une complémentaire santé. Cette logique d’universalité du versement et de liberté de choix de l’assureur est conforme aux valeurs traditionnelles de la mutualité. En poussant le gouvernement à généraliser la complémentaire aux retraités, la FNMF n’avait manifestement pas compris qu’elle en creusait le lit, puisque la direction de la sécurité sociale, qui prépare le PLFSS, obéit à une idéologie inverse: universalité de la couverture et monopole de l’assureur.

Un bronca générale

Si l’article 21 a mécontenté la FNMF, il a aussi fait l’unanimité contre lui parmi les acteurs de la protection sociale complémentaire. Cette unanimité n’est une bonne nouvelle pour la FNMF qu’en apparence.

Facialement, en effet, la FNMF peut invoquer la vox populi pour reprocher au gouvernement d’appliquer une mesure qu’elle a voulue. Après tout, la mutualité peut s’abriter derrière le mécontentement général pour plaider en faveur d’une refonte d’un texte mort-né.

En réalité, l’unanimité des acteurs, et en particulier des intermédiaires d’assurance, sent le roussi pour la FNMF. Beaucoup de courtiers et d’agents généraux rêvent en effet d’être placés à égalité avec les mutuelles sur un marché où ils sont minoritaires. Ils estiment leur capacité commerciale meilleure et ils parient sur des gains rapides de parts de marché face à une FNMF où la culture de la vente n’est pas toujours maîtrisée.

En mentionnant que le « prix » doit être un élément déterminant, le PLFSS fait d’ailleurs un cadeau implicite à tous ceux qui sont capables de développer une politique commerciale percutante et concurrentielle.

Bapt et Delaunay sauvent le soldat FNMF

Dans la précipitation du débat en PLFSS, il a donc fallu parer au plus pressé. Les observateurs se sont donc amusés de l’amendement présenté par Gérard Bapt, le député socialiste de Haute-Garonne, médecin et ami de la mutualité, et Michèle Delaunay, l’ex-sous-ministre des petits vieux.

Michèle Delaunay a apporté une importante précision sur la notion de mise en concurrence:

il est proposé de supprimer les termes de « mise en concurrence » puisque la procédure proposée consiste à sélectionner toutes les offres répondant aux critères mentionnés aux articles L. 864-1 et L. 864-2 du code de la sécurité sociale.

Gérard Bapt a pour sa part argumenté:

Il est important d’éviter que le critère de prix soit prépondérant pour prévenir toute action de dumping. Des organismes qui ne sont que marginalement concernés par les contrats individuels auraient pu, à la faveur d’une baisse illégitime du prix, élargir leur marché en y intégrant d’autres éléments de prévoyance, que peuvent proposer des assurances ou des instituts de prévoyance.

Voilà qui va beaucoup mieux en le disant!

Autrement dit, tous les candidats seront reçus, quel que soit le prix qu’ils proposent. Voilà une belle notion de solidarité.

Le très inconséquent Gérard Bapt

On reviendra quand même sur le grotesque argument de Gérard Bapt, qui rappelle une fois de plus que certains députés ne s’occupent guère de l’intérêt général et ne se passionnent que pour les intérêts particuliers qu’ils représentent.

La logique de François Hollande consistait bien à faire baisser les prix pour les retraités. De façon extravagante, c’est un député de sa majorité qui soutient désormais que les prix bas relèvent du dumping et qu’une « baisse illégitime du prix » doit être évitée. Autrement dit, la majorité parlementaire lutte aujourd’hui contre une baisse des prix due aux « assurances » ou aux « instituts de prévoyance », ces grands méchants qui écornent les intérêts de la FNMF.

On avait rarement poussé aussi loin la partialité de la représentation nationale, étant entendu que, très régulièrement, les mêmes députés qui protestent contre le dumping répètent à l’envi que la gestion des contrats par ces mêmes assureurs est beaucoup plus chère que dans les autres organismes.

L’argument de Gérard Bapt se veut subtile: parce que les assurances et les instituts de prévoyance proposent aussi des contrats de prévoyance, ils récupèreraient sur ceux-ci les marges qu’ils sacrifient en santé. C’est oublier un peu vite que la FNMF dispose d’un outil pour faire de la prévoyance: l’ancienne UNPMF, devenue Mutex… une société anonyme dont les actionnaires sont des adhérents de la FNMF.

Mais de ces petites particularités et bizarreries, la vision manichéenne et mensongère du monde distillée par M. Bapt ne veut pas s’embarrasser.

Article paru sur Décider & Entreprendre.

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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