En France, la résilience des terres agricoles est mise en cause quand on produit du maïs des décennies durant sur les mêmes parcelles, même quand les rendements demeurent élevés. Cette résilience est également mise en cause dans toutes les zones céréalières dépourvues d'élevage et donc du fertilisant naturel qu'est le fumier obtenu par la fermentation des déjections animales mélangées à de la paille.
Inversement, une région comme la Bretagne doit gérer trop de déjections animales sur trop peu de superficie : en faisant venir d'ailleurs énormément d'aliments pour bétail à base de grain, elle concentre sur 7 % du territoire national plus de 25 % des productions issues de l'élevage, toutes branches confondues. Favorisée par les politiques spécifiques de gestion des marchés agricoles et les économies d'échelle dans l'agro-industrie, mais aussi par les aides compensatrices que l'Union européenne verse aux agriculteurs depuis les réformes de la Politique agricole commune de 1992 et 2003, la spécialisation de notre agriculture en filières cloisonnées a dégradé les paysages, fait reculer la biodiversité et altéré l'état des sols.
L'efficacité économique pâtit de la spécialisation de l'agriculture
Cette spécialisation est aujourd'hui porteuse de difficultés nouvelles sur le plan de l'efficacité économique dans un contexte de renchérissement rapide et prolongé du prix des énergies fossiles, des engrais et des produits de traitement des cultures. Dès lors, continuer de se référer à la théorie des avantages comparatifs de David Ricardo pour orienter la production agricole et le commerce des denrées alimentaires relève de l'irresponsabilité la plus folle. Il nous faut entendre et comprendre les observations de Jared Diamond** sur l'état de la planète pour concevoir et mettre en pratique une agriculture à la fois productive et réparatrice.
Le moment est venu de réinventer cette agriculture diversifiée qui permettra aux sociétés de s'en sortir. En raison de la diversité de ses sols, de ses paysages, de la richesse encore conséquente de ses terroirs et des savoir-faire préservés par une bonne partie du monde agricole, la France peut jouer un rôle pilote pour promouvoir un nouveau modèle agricole en phase avec les grands enjeux du xxie siècle. Il s'agira d'une aventure passionnante dans laquelle des paysans avisés se sont déjà engagés.
*Economiste anglais du XiXe siècle.
**Biologiste américain.
Extrait du livre "Produire mieux pour manger tous", par Gérard Le Puill, aux éditions Pascal Galodé.