Les médecins ne sont pas des pigeons : Lettre ouverte d’un interne en médecine à Marisol Touraine

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Par Guillaume Geslain Modifié le 7 novembre 2012 à 4h33

Madame la Ministre,

Je me permets de m’adresser à vous en qualité d’interne en médecine afin de vous alerter sur la situation critique qui s’amorce et le divorce qui s’annonce entre les médecins français et le gouvernement qu’ils soient hospitaliers, installés en secteur un ou en secteur deux. Vous ne pouvez pas ignorer le mouvement de contestation qui est en marche en balayant les revendications de mes confrères qui sont les miennes à l’aide de quelques interventions télévisuelles ou radiophoniques consenties par des médias n’ayant pas connaissance de la situation actuelle.

Madame la Ministre, les gouvernements français successifs de ces trente dernières années, de bords politiques différents, se sont gargarisés et se gargarisent de l’excellence de la médecine française et de la première place occupée par la France au classement de l’O.M.S. concernant les soins de santé. Ils n’ont cessé de vanter les mérites de notre système de sécurité sociale "à la française" et des performances de pointe de notre secteur public.

Malheureusement, la réalité dans les services de soins est toute autre. Avant de s’attaquer aux remboursements de la sécurité sociale plafonnés depuis une trentaine d’années, aux dépassements d’honoraires nécessaires à la survie de la médecine de ville et de proximité, dont certes une minorité de confrères abuse, et de contraindre les jeunes médecins à s’installer dans les déserts médicaux, le grand chantier de vos réformes doit s’atteler à sortir le service public d’une situation critique au bord de l’implosion.

Ces mêmes régions sous-médicalisées si souvent citées sont le résultat d’une politique inepte du numerus clausus pratiquée ces vingt dernières années, les médecins comme les patients en sont les victimes et non les responsables. Les lois actuelles qui régissent notre pays concernant les conditions de travail des médecins hospitaliers ne sont pas appliquées : repos de garde partiels, voire inexistants, non-respect des deux demi-journées de formation des internes, non-respect des 48 heures de travail hebdomadaires des internes, nombre de gardes par mois, sans vouloir être exhaustif.



L’hôpital public est à bout de souffle et ne doit sa survie qu’à un personnel dévoué et mal rémunéré, tout corps de métier confondu, personnel méprisé et ignoré par les pouvoirs publics. Nous voguons vers des dérives et une gestion technocratique dangereuses pour les patients et le personnel hospitalier en offrant sur un plateau d’agent un marché lucratif aux mutuelles de santé dont les intentions sont plus proches du mercantilisme. Avant de proposer de grandes réformes révolutionnaires visant à diminuer le déficit budgétaire de la France, il serait plus judicieux de commencer par appliquer de simples lois régissant nos conditions de travail afin de ne pas définitivement prononcer le divorce entre la France et le corps médical.

Madame la Ministre, comme beaucoup de mes confrères et concitoyens, j’aime mon pays, la France, et son système de santé inégalé et tant envié de par le monde, mais vous ne semblez pas prendre conscience du nombre de sacrifices réalisés pour exercer ce métier passionnant. Deux concours et une dizaine d’années d’études sont nécessaires afin de devenir médecin, des années estudiantines marquées par une charge de travail hospitalier considérable qui ne cesse de s’alourdir. Le gouvernement cherche à nous culpabiliser en justifiant certaines de ces réformes par la gratuité des études universitaires en France qui permettent à chacun d’accéder à l’enseignement supérieur et ainsi nous faire passer pour des "nantis" redevables auprès de l’État.

Cependant, la réalité est toute autre. Certes, un étudiant en médecine a un coût non négligeable pour la collectivité, mais un interne en médecine rend de grands services à l’hôpital public. Sans se hasarder dans de grandes théories mathématiques, de simples opérations arithmétiques permettent de clarifier la situation. Le salaire mensuel en première année d’internat est d’environ 1400 euros nets, si l’on ajoute les gardes et les week-ends le seuil des 2000 euros nets est péniblement dépassé pour en moyenne 80 heures par semaine, dont un week-end sur deux et un à deux soirs par semaine passés à l’hôpital.

Je connais peu de professions en France nécessitant autant de qualification, ayant autant de contraintes et étant si peu rémunérées. Les propos avancés afin de nous discréditer aux yeux de l’opinion générale sont infondés et mensongers. Monter nos concitoyens contre nous en prenant pour exemple des cas isolés ne reflétant pas la réalité n’est pas une stratégie viable à long terme.

Madame la Ministre, je ne m’étendrai pas davantage, mais j’espère vous avoir alertée sur le mauvais chemin que le gouvernement s’apprête à prendre pour réformer la santé en France. La politique de l’autruche exercée en ignorant nos revendications risque de mener à un exode de nos confrères, privant notre pays de médecins qui deviendront une denrée rare dans les années à venir marquées par une population vieillissante. Les premiers sacrifiés sur le grand autel de la réforme seront les patients.

Je vous prie d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de mes sentiments respectueux.

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Guillaume Geslain est interne en pédiatrie depuis un an maintenant en Ile de France. Il commence sa huitième année universitaire.

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