Le Sénat vient de transmettre à la justice le dossier d’un pneumologue accusé d’avoir menti sous serment à l’occasion d’une commission d’enquête sur la pollution de l’air. Un exemple significatif à l’heure où la Cour des comptes dénonce « des failles majeures » dans le système de prévention des conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire.
Michel Aubier avait juré de « dire toute la vérité, rien que la vérité » devant les membres de la commission d’enquête sur le coût de la pollution atmosphérique. Il annonce alors qu’il n’a aucun lien d’intérêt avec les acteurs économiques puis minimise l’impact de la pollution de l’air sur le cancer du poumon. Sauf que le pneumologue n'avait pas déclaré qu’il était le conseiller médical de Total.
Contrôles inexistants
Cette situation révèle l’opacité qui existe dans le domaine de la santé vis à vis des conflits d’intérêts. La Cour des comptes a publié, voilà un mois, un rapport particulièrement alarmant, dénonçant « des failles majeures » dans le secteur. La transparence sur les liens entre l’industrie pharmaceutique et les experts médicaux est notamment déclarée insuffisante.
Ce rapport des sages de la rue Cambon, commandé par la commission des affaires sociales du Sénat, avait pour objectif de dresser un bilan de la loi « Bertrand » en date du 29 décembre 2011, qui avait institué un dispositif de transparence, faisant suite au scandale du Médiator. Si plusieurs avancées ont été réalisées depuis plus de quatre ans, les manquements restent toujours présents.
Ainsi les déclarations d’intérêts des médecins, réalisées par eux mêmes sur le site Transparence-santé.gouv, ne sont pas contrôlées. Ces derniers sont donc, dans les faits, libres de déclarer ce qu’ils veulent, voire de ne rien déclarer, sans voir le risque de se faire sanctionner, du fait des contrôles inexistants.
Conflits d’intérêts
Le lancement de la plateforme, le 26 juin 2014, avait pourtant été salué comme une avancée déterminante pour lutter contre la compromission dans le secteur de la santé. Partout était annoncée la fin du journalisme d’investigation – c’était, on le sait aujourd’hui, miser trop tôt sur la probité des praticiens.
Aujourd’hui, des cinq organismes vérifiés par la Cour des comptes, les manquements les plus importants concernent le Comité économique des produits de la santé (CEPS), organisme dont la mission est de fixer le prix des médicaments. En effet, le CEPS bénéficie d’un régime particulier, qui permet de rendre les déclarations d’intérêts plus souples. Ce qui a pour conséquence de rendre une opacité plus importante.
Autre organisme visé, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) est également touchée par des anomalies. Et pourtant, la justification avancée par l’organisme sur cette situation est véritablement problématique puisque l’ANSM a expliqué son « incapacité à trouver des experts de compétence équivalente, sans conflits d’intérêts ».
1 million d’euros d’amende
Le secteur est donc bel et bien malade, et la réglementation, à ce sujet, n’est pas totalement exempte de tous reproches si l’on se réfère aux données devant être justifiées. Si les rémunérations accordées dans le cadre de programmes de recherche sont optionnelles, les viennoiseries offertes par un laboratoire pharmaceutique doivent par exemple être déclarées. Au total, les anomalies représentent 22 % de l’ensemble des déclarations d’intérêts, sur un total de 3 953 contrôles.
Début avril dernier, le Sénat a souhaité durcir la législation contre les conflits d’intérêts et la corruption en matière de santé publique, au sein du projet de loi sur la réforme pénale. Pour Leïla Aïchi, sénatrice écologiste à l’origine des amendements, « la lutte contre les conflits d’intérêts dans le domaine de la santé ne fait que commencer ». Sous réserve d’une modification en Commission mixte paritaire de ces dispositions du projet de loi, les peines prévues dans le code pénal pour de tels faits seront donc désormais « portées à dix ans d’emprisonnement et à 1 000 000 euros d’amende, et au double du produit tiré de l’infraction », indiquent les amendements.
Michel Aubier, quant à lui, risque une peine allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Il sera entendu le 11 mai prochain par la commission des finances du Sénat pour évoquer son précédent témoignage. « C’est au vu du résultat de ces auditions que le bureau pourra éventuellement être saisi des suites à donner à cette affaire », affirme le président de la chambre haute, Gérard Larcher.