Marketing médical : ces maladies qu’on nous invente

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Par Sauveur Boukris Modifié le 14 janvier 2013 à 6h11

Depuis plusieurs années, les techniques marketing envahissent le domaine médical dans le seul but de transformer des biens portant en malades et d’engendrer de la surconsommation médicamenteuse en tests biologiques et examens radiologiques. Toutes les techniques de promotion, de marketing, de publicité, de conditionnements sont mises en œuvre pour générer de l’angoisse chez des personnes saines qui vont passer sur le versant maladie et pour inquiéter les patients qui iront consulter davantage et subir des examens de plus en plus coûteux et sophistiqués.

C’est ainsi que, par le marketing médical, on est conduit à rentrer dans l’engrenage médical avec l’illusion d’être bien traité et l’espoir d’être guéri. Le scénario est souvent identique : à partir d’éléments statistiques on met en valeur une maladie, si possible chronique et on mobilise les leaders d’opinion, chefs de service, experts, etc. qui évoquent le problème en citant des chiffres, en racontant des histoires de patients et en dernier lieu on sort le médicament miracle qui va soigner le trouble en question.

Les médias se mobilisent pour « faire de la mousse », les pages de rédactionnels sont publiées et les médecins contribuent à accentuer cette tendance à la surmédicalisation. « Toute personne bien portante est un malade qui s’ignore » disait le Dr Knock, aujourd’hui tout bien portant est quelqu’un qui n’a pas eu de dépistage.

Faire croire aux gens qu’ils sont malades, leur faire consommer des soins et des médicaments, tel est le leit-motiv des marchands de maladies. De nos jours le Dr Knock habite Wall street et utilise les méthodes de marketing de Madison avenue. On a crée la journée européenne de la dépression, la journée mondiale de la prévention du suicide, la journée mondiale du diabète, la journée mondiale de la bronchite chronique, la journée mondiale de l’obésité, de la ménopause, de l’herpès, du cancer de la prostate, du cancer du sein.

Pendant plusieurs mois, chaque année, les populations sont touchées par ces campagnes de sensibilisation qui bénéficient de promotions dans les médias. Et pendant cette période le citoyen est inondé d’informations, d’incitations à la consultation sans aucun esprit critique, sans aucune remise en cause du contenu du message.

Le marketing et la promotion sont les deux axes de la communication médicale. Cette activité se résume en une formule : « a pill for every ill », « Une pilule pour chaque maladie ».

Une autre stratégie consiste à créer un nouveau marché en abaissant les seuils. Revoir à la baisse les critères de définition du diabète, de l’hypertension, du cholestérol, ces maladies métaboliques qui occupent 40 % du marché, c’est créer de nouveaux malades consommateurs de médicaments et d’examens. Pour ces maladies on est passé de normes ou moyennes à des objectifs. L’hypertension était définie par une tension supérieure à 16/9,5. Aujourd’hui l’objectif est d’être en dessous de 14/9. Le diabète : on est diabétique lorsque les chiffres sont supérieurs à 1,26g, alors qu’ils étaient autrefois de 1,40g. Le cholestérol : pour l’hyper cholestérolémie on admettait des normes en fonction de l’âge. A 40 ans 2,40g, à 60 ans 2,60g. Aujourd’hui on demande à ce que le cholestérol soit inférieur à 2,20g.

On détermine des facteurs de risques et on affine le diagnostic en créant des nouvelles données biologiques, comme le LDL et le HDL, le bon et le mauvais cholestérol ou l’hémoglobine glyquée pour le diabète. On détermine des objectifs que le médecin et le malade doivent atteindre. Pour atteindre ces objectifs, il y a forcément une surconsommation de médicaments.

C’est ainsi que l’on voit des hypertendus consommer 3 à 4 anti hypertenseurs et de même chez les diabétiques. Ce marketing médical est source de surconsommation. On crée aussi le marché de la pré-hypertension, du pré-diabète. C'est-à-dire que l’on n’est pas malade, mais que l’on est potentiellement atteint et on est dans une zone intermédiaire qu’il faut surveiller. On crée une inquiétude chez ces patients qui est source de surconsommation d’actes biologiques.

On joue sur l’angoisse des patients et parfois sur la peur qui est le début de la sagesse mais aussi le début de la richesse des laboratoires. On dramatise les situations, on ne traite plus les patients à partir de symptômes, mais à partir de risques et on transforme le facteur de risque en maladie.

Le marketing médical utilise aussi la manipulation des médecins et de l’opinion publique. Cette manipulation se fait à plusieurs niveaux par l’intermédiaire des leaders d’opinion, par la publication d’articles tronqués. Le leader d’opinion est une personnalité connue du milieu médical, chef de service, professeur, qui va livrer son savoir, ses connaissances, son point de vue sur la maladie et son traitement. C’est une personne qui de par sa notoriété et son expertise dispose d’une légitimité et est reconnue par ses paires. Il va donner la bonne parole.

Elle est bien souvent rémunérée par les firmes pharmaceutiques qui se servent de sa notoriété et de son savoir pour en faire un VRP au profit du médicament du laboratoire qui le rémunère. Ces manipulations se font de façon insidieuse et le corps médical est bien souvent influencé sans le savoir.

Autre technique de marketing : certains articles sont falsifiés, sont tronqués. On ne met en valeur que les aspects positifs du médicament ou de la classe thérapeutique. Il y a eu dans ce domaine beaucoup de falsifications. On a même découvert que le Dr Scott Ruben a été reconnu comme coupable d’escroquerie intellectuelle. On l’appel le Dr Madoff de la pharmacie. Il avait publié des fausses enquêtes, des faux résultats, bénéfiques sur un médicament.

Ces études sont publiées dans des revues parfois de prestige, ce qui pose un problème sur leur crédibilité, mais surtout ce sont des publications qui peuvent servir à l’autorisation de mise sur le marché. Ainsi le marketing médical utilise tous les moyens pour influencer, conditionner, le corps médical, le grand public, de façon à accroître la consommation médicale.

Or cette surmédicalisation, cet excès de consommation peut-être nuisible à la santé. Ce livre « La fabrique de malades » montre les dessous et la face cachée du monde médico-industriel qui pousse à « toujours plus » plus de médicaments et d’actes médicaux. Ce livre fera polémique et suscitera les débats, mais l’auteur pense que le malade doit être la priorité essentielle de ceux qui travaillent sur le médicament.

La Fabrique de malades

La fabrique des malades - ces maladies qu'on nous invente, Sauveur Boukris, 14,99 €

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Le docteur Sauveur Boukris, médecin enseignant à l’université Diderot (Paris VII), est l’auteur de nombreux livres médicaux. Chroniqueur médical, il participe à différentes émissions de radio et de télévision sur les questions de santé et intervient régulièrement sur des sites Internet et autres réseaux sociaux.

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